Revoir Zodiac vingt ans après, c’est l’occasion de vérifier que le film, pas très impressionnant à l’époque, nous avait quand même laissé une impression tenace de cauchemar éveillé.
Aujourd’hui, à l’aune de ce que nous savons du génie de David Fincher, et en ayant vu le doc Netflix sur le Zodiac, il apparaît que nous sommes déjà en présence d’un premier chef-d’œuvre invisible. Ce qualificatif attribué au Social Network, qui sortira trois ans plus tard.
Il y a des similarités, des pistes du Fincher en devenir. Si les films n’ont rien à voir, c’est quand même une histoire de geeks, un dessinateur d’humour qui « s’amuse » à décoder les messages du Zodiac (Jake Gyllenhaal), un journaliste maniaque et caractériel (Robert Downey Jr.) et un flic star obsédé par l’affaire (Mark Ruffalo).
Il y a aussi une palanquée de petits rôles, dont on va retrouver les comédiens dans Social Network, le rédac-chef, l’avocat, le journaliste, le responsable informatique, etc. On pourrait même dire que le regard de Chloé Sévigny sur Jake Gyllenhaal s’apparente à celui que portera la jeune avocate sur Mark Zuckerberg.
Pour le reste le film fascine par sa capacité à faire un anti-Seven, un film de serial killer qui montre peu les meurtres. Son sujet, c’est plutôt les enquêteurs, rongés par l’énigme et qui finiront alcoolique, paria, divorcé. Nous sortons hébétés du film : tout en allant très vite, Fincher ne nous a jamais abandonné en route, et a su maintenir le rythme et l’intérêt.
Du grand art.
Il a fallu, après avoir vu le final de Ozark, retourner à la source, c’est-à-dire revoir le premier épisode pour s’assurer du chemin accompli. C’est-à-dire ce moment où un petit banquier falot, marié, deux enfants, mate du porn en plein rendez-vous professionnel, et se révèle être à blanchisseur de cartel.
Le propos : dévoiler le dessous de l’Amérique, qui, comme le dit un personnage, est obsédée par le fric. Derrière le remake d’Une Famille en Or, le démontage en règle de la famille américaine, de ses hypocrisies, de ses dépendances (sexe, alcool, opioïdes, religion), et le rôle implacable de l’argent dans une société qui ne cesse de clamer que la famille est au centre du tout.
Oui, mais quelle famille ? La famille Byrde, cadres sup urbains, bien sous tous rapports, mère au foyer, et gentil papa cadre ? La famille Langmore, rednecks paumés vivant dans une caravane au bord du magnifique Lac des Ozarks ? Ou la grande « famille », dans son sens le plus dévoyé, le cartel Navarro ?
Si la série a un seul défaut, c’est de jouer en permanence sur les coups de pression de manière parfois un peu mécanique. Mais c’est aussi pour notre plus grand plaisir mais car c’est ce qui rend la série addictive. Pour le reste tout est parfait. Les acteurs sont tous phénoménaux, en particulier les jeunes (Sofia Hublitz , Skylar Gaertner, Julia Garner…) Laura Linney est glaçante en mère de famille frustrée de sa carrière professionnelle, tout comme son mari, Jason Bateman, dans le contre-emploi d’une carrière.
La mise en scène est simple mais parfaite, basée sur de légers mouvements de caméras, de mises au point subtiles et de survol magnifiques de la nature sauvage des Ozarks. La musique, à l’unisson, est discrète et parfaite.
Le cinéma dans son plus pur classicisme, pour dépeindre l’horreur du monde.
Une leçon.