samedi 24 novembre 2018


First Man
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Même si on reconnaissait l’immense talent wünderkind de Damien Chazelle, il manquait toujours quelque chose à ses films. Un peu de maturité psychologique à Whiplash, une retenue dans la mise en scène dans La La Land.

Dans l’artillerie, on tire toujours deux coups « d’approche » pour régler la mire. Ensuite, on tire. C’est exactement ce qu’est First Man, le coup au but après deux coups d’approche.

First Man, c’est tout simplement un très grand film, et peut-être le premier chef-d’œuvre de Damien Chazelle. Parce qu’il s’attaque à la plus grande des histoires, parce qu’il s’attaque au biopic, parce qu’il est attendu au tournant par tout le monde, la performance n’en est que plus immense. Car Chazelle sait ce qu’il faut éviter : l’illustration grotesque des faits du Grand Homme, mais aussi le film d’action, par lequel d’autres cinéastes prestigieux sont déjà passés ; le Ron Howard d’Apollo13 et le Tom Hanks de La Terre à La Lune.

Non, Damien Chazelle va parler d’un seul homme, Neil Amstrong, de sa femme et de ses enfants. De ce que ça fait sur une famille d’avoir peur tout le temps. De ce que ça fait à l’homme de s’enfermer dans une petite boîte de conserve et d’appuyer sur le bouton qui déclenche cent tonnes d’explosifs. De ce que ça fait, vraiment. Le bruit de la porte, l’écaille sur le boulon. La vision brouillée par la sueur et par la peur. De la culpabilité de penser aux copains d’Apollo morts brûlés dans le même engin. Ou au contraire, de ce que ça fait de ne pas avoir de culpabilité.

Dès la scène d’ouverture dans le X 15, on sait que First Man ne va pas être une partie de plaisir, pas un acte héroïque, pas une épopée. Les vaisseaux ne siffleront pas, immaculés, dans la ténèbre de 2001. Les astronautes ne seront pas une bande d’héroïques cowboys possédant The Right Stuff au service de l’Amérique triomphante des sixties. Au contraire, la conquête de la lune est vue comme un immense voyage mental. Une lutte psychologique contre le monde, contre la vie : femmes et enfants, journalistes et collègues, cadres de la NASA et opinion publique. Il faudra se battre pour être le premier sur la Lune, tout en prétendant hypocritement le contraire, car c’est avant tout l’esprit d’équipe que recherche la NASA. C’est avant tout une lutte contre soi-même. Il faudra donc qu’Armstrong s’extraie de tout sentiment pour avoir le mental tourné vers ce seul et unique but.

Dans Chapitre 21, William Burroughs fustigeait ces astronautes sans cœur et sans âme, ces ingénieurs, ces militaires inaptes à comprendre l’immense odyssée poétique qu’ils entreprenaient. Il fallait, selon l’écrivain beat, « laisser derrière soi toutes les ordures verbales » pour entreprendre le grand voyage. First Man ne le détrompe qu’à moitié ; Neil Armstrong était un ingénieur et un militaire, charismatique comme une huitre. Mais il a dû en effet s’extraire du monde pour franchir l’immensité glacée, se poser sur le caillou lunaire et revenir. Humain.

Evidemment, Ryan Gosling est le véhicule parfait pour ce voyage. Mais le travail du cinéaste est immense. Délaissant ses afféteries artistiques habituelles (plan séquence virtuose, image ultra léchée), Chazelle choisit l’angle du quasi reportage. Caméra portée, image à gros grain sixties, crème de la crème des acteurs (Claire Foy, Corey Stoll, Kyle Chandler, Shea Whigham, Jason Clarke…) magnifiés par une mise en scène sobre et classique : Chazelle met toutes les ressources du cinéma au service de son histoire, et non l’inverse. Et réserve toute la beauté du film pour la Lune.

Bravo Monsieur Chazelle pour nous avoir montré cela.




samedi 24 novembre 2018


Kursk
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -Les films ]

Il est franchement étonnant de voir un film des années soixante sortir finalement en 2018. C’est pourtant le cas avec Kursk. Casting europudding, dialogues en anglais oxfordien*, russian-bashing digne de la guerre froide, et des clichés à la pelle dans la salle des torpilles. C’est même un best of : le petit garçon qui récupère la montre de son père (oui, comme Pulp Fiction !), le même père qui met la photo de sa petite famille sur son poste de travail (signant à coup sûr son arrêt de mort), le méchant général à qui on ne serre pas la main et qui essuie une larme ; on aura compris que le petit garçon est vraiment très en colère.

Pourtant il y a plusieurs choses sympathiques dans ce film. Quelques scènes à surprenantes, drôles ou émouvantes, de bons acteurs (Matthias Schoenaerts, Colin Firth, Léa Seydoux) et une véracité historique assez appréciable, vu qu’on sait maintenant à peu près ce qui s’est passé. Seul le russian bashing demeure gênant. Rappelons que si jamais Le Téméraire ou Le Vigilant coulait au large de Ouistreham, on refuserait tout autant l’aide de Poutine que les russes ont refusé celles des anglais en 2000.

Si vous êtes fan de film de sous-marin, vous êtes bien sûr obligé de voir Kursk, sinon évidemment, il y a First Man

On y vient.

* Ce qui réévalue à la hausse les pathétiques imitations d’accent russe des acteurs américains, de K-19 à la Poursuite d’Octobre Rouge