mardi 24 décembre 2013


L’intelligence du spectateur
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films -Séries TV ]

On dit parfois d’un film ou d’une série qu’elle parle à l’intelligence du spectateur. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? C’est simple : le scénariste pense (ou sait) que le spectateur va remplir les blancs entre deux scènes. Le meilleur exemple de ce phénomène est sûrement Mad Men. L’équipe de scénaristes réunie autour de Matthew Weiner ne s’embarrasse pas d’explications superflues : Machine passe du temps avec Truc, un bébé naît : Truc est donc le père. Aucune ligne de dialogue ne viendra confirmer cela, aucune scène lourde de sens ne viendra certifier cela. De même, on attaque souvent les scènes in media res, c’est à dire au milieu de l’action, car le spectateur de Mad Men sait que le dialogue a peu d’importance dans la série ; nos pubeux sont sûrement en train de parler de la dernière campagne Sunkist, et de toutes façons, on va sauter du coq à l’âne dans quelques secondes, car c’est bien dans le style Mad Men.

A l’opposé, un cop show façon Esprits Criminels ne joue pas sur l’intelligence du spectateur ; il lui prémâche tout, de manière à ne jamais perdre personne en route. Le méchant est évidement méchant-arrogant-procédurier. Et le dialogue va venir expliciter le développement de l’intrigue, et surtout son dénouement.

Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas de mépris du spectateur mais bien de marketing. Mad Men, Game of Thrones, Sur Ecoute sont des produits de luxe qui servent des objectifs marketing précis ; ainsi The West Wing fut conservé dans les dernières saisons par ABC malgré des scores décevants parce que le show était très apprécié des CSP+. Nos politiciens de la Maison Blanche tiraient la chaîne vers le haut, et c’est aussi important qu’un bon rating. C’est toute l’histoire d’une émission comme C’est Pas Sorcier. Les scores ont souvent été mauvais, mais le show pédagogique de Jamy Gourmaud était inamovible car garant d’une certaine image « service public » pour France 3.

En restant abscons, Mad Men flatte l’intello qui sommeille en nous ; on n’a pas tout compris mais on est fiers de faire partie de ces spectateurs haut de gamme. A contrario, Esprits Criminels est un produit basique de la télévision ; il doit fournir la part de marché qu’il s’est engagé à délivrer. Donc pas question de faire dans le subtil. On ne doit perdre aucun spectateur en route, fut-ce au prix d’une intense simplification des intrigues et des situations. C’est ainsi que les plots et sub plots sont quasi standardisées, avec révélation d’indice programmée toutes les dix minutes, avant les pubs. Et que nos inspecteurs favoris expliquent à la fin de l’épisode – via un dialogue convenu – ce qu’il fallait comprendre.

Ce peut aussi être un plaisir régressif, non ?