jeudi 5 décembre 2013


La Vie d’Adèle
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Les motivations pour aller voir le dernier film de Kechiche ne sont pas claires, voire même tout aussi obscures que les intentions du cinéaste.

Objectivement, qu’est-ce qui pousse à voir La Vie d’Adèle ? Le scandale ? Vérifier in situ que les comédiennes ont bien été poussées à bout par le Kubrick niçois ? La fameuse goutte de morve que Lea Seydoux aurait été obligé de lécher ? Ne faites pas les malins, on vous connait ! On sait bien que vous avez lu ces cancans. Depuis Cannes, la polémique traine comme un boulet aux basques du réalisateur de L’Esquive.

Et s’il n’y avait pas eu le scandale, les raisons ne seraient pas moins avouables : deux petits canons qui s’embrassent sur écran géant (et plus si affinités), dans le film le plus hot de l’année. Rien de nouveau sous le soleil : le cinéma, c’est un art fait par des voyeurs avec des exhibitionnistes, pour les voyeurs. Louise Brooks-Mae West-Élisabeth Taylor-Adjani-Kirsten Stewart. Rudolf Valentino-James Stewart-Hugh Grant-Tom Cruise : c’est ça le moteur pour aller au cinéma ; tomber amoureux de demi-dieux de celluloïd, et si possible les voir tous nus. One pound of flesh, no more, no less… un bout de sein, une fesse, le torse imberbe de Cary Grant. Le cinéma, cet art de foire, vend ce spectacle de strip-tease depuis toujours.

Comme Kechiche l’avait prévu, la polémique pollue le film. On met du temps à s’en détacher ; mais ensuite, le film déploie ses ailes de mini chef-d’œuvre.

Mini car tout n’est pas réussi dans La Vie d’Adèle, et en premier lieu, ces fameuses scènes de cul ; il y en a trop, elles sont trop longues et on ne croit pas une minute que Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos soient lesbiennes. Elles simulent, et c’est horrible. Il est évident qu’il aurait fallu deux actrices homosexuelles et mieux, un vrai couple, car il est impossible de mentir dans de telles circonstances intimes. Et on ne peut s’empêcher de penser que Kechiche réalise un fantasme en tournant cette scène; malheureusement, ça se voit.

Ceci mis à part La Vie d’Adèle est un grand film, tenu de bout en bout. Un film qui arrive à faire reposer sur les épaules d’une actrice débutante (Adèle Exarchopoulos, extraordinaire) le passage de l’adolescente à la femme, de la bachelière pleine d’espoir à la jeune prof. Cette métamorphose est très bien filmée, avec comme d’habitude un Kechiche très précis. On peut filmer caméra portée sans être un tâcheron.

Ensuite le réalisateur a un propos. Toujours le même, depuis L’Esquive ou La Graine et le Mulet. Clair et contestable, mais son film est au service de ce propos. On n’est pas prisonnier de son cœur, dit en substance Kechiche, ni de sa sexualité. On peut expérimenter et découvrir ce que l’on est. Mais les classes sociales sont un piège dont on ne peut s’extraire. Adèle est pauvre, Emma est riche et bourgeoise. Malgré l’amour, malgré le sexe, tout ça n’a pas vocation à changer. Emma peut changer la sexualité d’Adèle mais elle ne peut pas la changer, elle.

Si le propos peut sembler parfois caricatural ou un peu trop appuyé (la fête d’artiste chez Emma, le comédien beur), il n’empêche que ce décrit Kechiche, c’est la loi commune : les cadres font des cadres, les ouvriers font des ouvriers, et les profs font le plus souvent des profs, même si notre idéal démocratique s’accommode mal de cette réalité. La force de La Vie d’Adèle c’est de démontrer cela, implacablement.