vendredi 29 février 2008


La Graine et le Mulet
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Euuhh ? La Graine et le Mulet, n’y aurait-il pas comme une erreur quelque part ? La Graine et le Mulet, le film français multi-césarisé, dans CineFast ?? Ça sent le camp de rééducation Professor Ludovico !

En fait, chaque année, pendant les vacances scolaires, sous la pression de madame la Professore, le Signore Ludovico remplit son quota d’obligations envers le cinéma français (2%) et va voir UN film français. Pour le meilleur (Le Fils de l’Epicier) et ou pour le pire (Lady Chatterley).

Cette fois-ci, animée des meilleures intentions (elle est amoureuse d’Abdel Kechiche), nous sommes donc allé voir La Graine et le Mulet. Et là, (demie) surprise : c’est un très bon film. Demie, parce que L’Esquive, c’était déjà bien. La Graine et le Mulet, c’est bien aussi, parfois beaucoup mieux, parfois beaucoup moins bien.

D’abord, c’est trop long. On enchaîne des scènes qui ne sont pas inintéressantes, mais par souci de cinéma vérité, sont poussés jusqu’à leur intégrale langueur (le dîner en famille, la conversation sur les couches, la poursuite finale). Ensuite, c’est filmé à la française, monté au sécateur, et bien sûr, joué par des comédiens amateurs. On voit bien que l’on est en train de proposer le parfait repoussoir à CineFaster !

Mais chez Kechiche, il y a trois différences, et de taille. Un, c’est un raconteur d’histoires. Derrière une technique (volontairement ?) hésitante, il y a une histoire. On veut savoir ce qui va arriver à ces personnages. Un père d’abord, que l’on croit timide, parce qu’il vit le schéma classique du vieil ouvrier maghrebin, mis sur la touche de son chantier naval. Mais qui va redresser la tête : il veut monter un restaurant. Mais qui va aussi se révéler un monstre d’orgueil, incapable d’affronter sa double vie. Il en paiera, chèrement, les conséquences.

Ensuite, il y a un propos, très fort, sur l’immigration, la communauté, la famille. Enfin, un film où il n’y a pas l’angélisme, la condescendance habituelle des films sur les immigrés. Ici, les personnages ne sont pas différents de nous, ils ne sont ni bons ni mauvais, ni particulièrement oppressés ni particulièrement choyés. Ils n’ont pas d’excuse, pas de justification, pas de révolte romantique.

Un exemple, parmi d’autres. Au début du film, l’aîné de la famille baise une bourgeoise sur un bateau. Scène plutôt drôle. Au milieu du film, changement de ton, on comprend que l’aîné est aussi père de famille, et qu’il délaisse sa femme (russe) et son bébé. Celle-ci refuse de se joindre au déjeuner dominical. Mais la sœur de l’aîné, maternante, la console, et l’incite à « faire un effort ». On résoudra ça après. Plus tard, la jeune russe découvre que les maîtresses de son mari appellent sans vergogne chez la mère, que ses belles-sœurs sont au courant, mais couvrent leur frère. Et vers la fin, lors d’une hallucinante scène d’hystérie, la russe explose littéralement, démontant d’un seul coup le complot familial, et donnant ainsi un sens peu reluisant au mot « communauté », tout en bouclant l’intrigue…

Et si c’était ça, la force de Kechiche ? En avançant ainsi discrètement, sans manichéisme, il fait cent fois plus pour l’égalité que tous les plaidoyers du monde pour cette population invisible, qui, comme il est dit dans Fight Club « cuisinent vos plats, vident vos ordures, conduisent vos ambulances, gardent vos immeubles ». S’impose alors un des plus beaux plans du films : caché dans le noir, à l’intérieur de leur bateau-restaurant, les maghrébins attendant leur premiers clients sétois (ennemis pour la plupart). Mais soudain, au moment où l’on ouvre les portes, les voilà illuminés…


Un commentaire à “La Graine et le Mulet”

  1. CineFast » Adieu Berri, on t’aimait bien… écrit :

    […] monter Germinal, ou Uranus. Le seul aussi qui pouvait réaliser l’improbable carton critique (La Graine et le Mulet) et financier (Bienvenue chez les Ch’tis) la même […]

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