lundi 9 septembre 2013


Grand Central
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

– « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » dit un esclave amputé à Candide*.

– « Nous apportons la lumière » dit un ouvrier de Grand Central, mais il pourrait ajouter « C’est à ce prix que vous avez de l’électricité en Europe ».

Car derrière les 19 centrales rutilantes et sûres de l’Empire Électronucléaire français, se cache une réalité plus sordide, faite de sous-traitance à outrance et de travail au rabais, au mépris des règles de sécurité qu’impose le nucléaire. Cet univers a été magistralement décrit dans La Centrale, publié en 2010**.

Dans son livre, Élisabeth Filhol décrit cette arrière-cour du nucléaire civil, loin du discours rassurant et lénifiant d’EDF. A la recherche de la rentabilité maximum, l’entreprise publique sous-traite l’entretien de ses centrales à des agences d’intérim spécialisées, qui elles-mêmes sous-traitent, ce qui diminue le suivi des ouvriers et favorise les magouilles. Un système à deux vitesses se met en place : celui des ouvriers d’EDF, protégé et sûr, avec peu de missions et un suivi drastique de l’exposition au rayonnements des ouvriers, et un système plus flou, fait d’intérimaires itinérants qui naviguent de centrale en centrale, et, par appât du gain, trichent sur leur dosimètre pour décrocher une mission supplémentaire. S’ils trichent, ils perdent leur job et leur suivi médical ; s’ils ne trichent pas, ils ne gagnent pas assez.

C’est le portrait de ces trompe-la-mort qu’a choisi de dresser Rebecca Zlotowski, déjà auteure de Belle Epine. Une fresque des gitans du nucléaire, qui vivent en clan dans des mobile homes, s’aiment et se haïssent à l’abri des cheminées de refroidissement. Gary (Tahar Rahim) est de ceux-là : un peu voyou sur les bords, il cherche un vrai boulot. Il va trouver une famille : Gilles, le chef du clan (Olivier Gourmet), Toni, le dur à qui l’on peut faire confiance (Denis Ménochet) et sa copine un peu chaudasse, Karole (Léa Seydoux). Tous affrontent « la dose » avec courage et solidarité, parce qu’on n’a pas le choix dans cet enfer ; il faut se tenir les coudes ou mourir.

L’amour – comme toujours – va venir briser les liens qui unissaient cette petite communauté, cet eden de paix à côté de l’abyme nucléaire. Le Paradis, où ce qui s’en approche le plus : une forêt, une rivière, un champ de blé, et… Une pomme.

Mais nos Adam et Eve ne sont pas si purs, leurs motivations ne sont pas si claires, chacun est coupable d’un péché plus vaste. D’une histoire simple – une femme partagée entre deux hommes – Rebecca Zlotowski tire un grand film, simplement en plongeant cette intrigue dans le cœur du réacteur, où tout s’accélère. Très bien interprété, mais surtout formidablement réalisé. Une mise en scène qui n’a peur de rien, une photographie à la limite de la peinture (le banquet).

Du cinéma français qui ose, socialement, politiquement, esthétiquement. Que demande le peuple ?

* En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois ?
– J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
– Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ?
– Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. »

** C’est le seul bémol qu’on mettra à Grand Central : ne pas citer ses sources. Du bout des lèvres, dans quelques interviews, Rebecca Zlotowski a admis avoir eu envie de faire ce film après avoir lu La Centrale. Pourtant (hormis l’intrigue), tout le contexte nucléaire sort directement du livre d’Élisabeth Filhol.




dimanche 8 septembre 2013


Snatch
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Et si Guy Ritchie était le Michel Audiard anglais ? Le chroniqueur des petits gangsters cockney des années 2000, leur dialoguiste de surdoué ? C’est particulièrement vrai dans Snatch, parfaitement drôle et bien écrit.

Certes, Snatch est moins réussi au niveau de la (dé)construction de l’histoire, plus brouillon, moins pur que Arnaques, Crimes et Botanique. Certains défauts apparaissant désormais au grand jour, comme la Loi d’Olivier, par exemple, qui interdit au metteur en scène d’être le dieu omniscient de son univers : dans Snatch, il n’est pas possible au spectateur de prévoir certains événements, comme le plan final de Mickey, le gitan. Ça passait dans Arnaques, Crimes et Botanique, parce que l’histoire, circulaire, mettait le spectateur en connivence avec le réalisateur : vous allez voir ce qui va se passer, les gars, Vinnie va en prendre plein la figure ! Et d’attendre avec jubilation la prochaine scène avec Vinnie.

Dans Snatch, ce défaut est certes amoindri par la voix off permanente (que l’on retrouve dans les 3 films (Arnaques, Crimes et Botanique, Snatch, Layer Cake)). Mais la voix off, c’est le signe d’une certaine défaite cinématographique : je n’arrive pas à raconter cette histoire avec le film, donc je vous offre l’audioguide.

Cette jubilation-là n’est plus dans Snatch : au bout d’une demi-heure, le spectateur à renoncer à comprendre quelque chose à l’arnaque dans l’arnaque. Évidemment c’est confortable pour le réalisateur, désormais libre de faire n’importe quoi. Mais le spectateur sent ce n’importe quoi, et se désintéresse un peu de l’intrigue, il « sort » du film. Et dans ce genre de film-puzzle, où le principal plaisir le spectateur est de démêler l’intrigue, c’est un crime.

Mais bon, Snatch reste un délicieux bonbon sucré grâce à ses gueules (Jason Statham, Brad Pitt, Alan Ford, Dennis Farina, Vinnie Jones), ses répliques qui tuent, et une réalisation ambitieuse, complexe, graphique, qui – c’est une rareté – ne tourne pas à vide mais sert à chaque fois le propos.




jeudi 5 septembre 2013


Generation War
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Séries TV ]

Rarement a-t-on vu aussi mauvaise traduction. On pourrait croire que Generation War est un nouveau documentaire de Ken Burns, ou une série américaine sur la guerre en Irak. Mais cette mini-série en trois épisodes est allemande et s’appelle en réalité Unsere Mütter, Unsere Väter (nos mères, nos pères). Son sujet : un groupe de jeunes allemands confrontés à la guerre sur le front de l’est.

Un peu d’histoire : en juin 41, tout réussit à Hitler ; il a conquis l’Europe sans difficulté, il s’étend au Moyen Orient, l’Amérique n’est pas entrée en guerre et les généraux allemands sont encore sous le charme de son « génie » stratégique. Il est temps pour lui de s’attaquer à son véritable objectif, la Russie. Des plans sont établis depuis longtemps, camouflés sous le pacte de non-agression germano-soviétique. Seule ombre au tableau : il faut attaquer les russes vite, car ils sont encore affaiblis économiquement et militairement. Au plus tard fin avril – début mai, pour avoir le temps de parcourir les 2000 km jusqu’à Moscou. Après ce sera l’automne, saison des pluies et des pistes boueuses. Les plans sont prêts, mais la logistique patine, et finalement ce sera juin. On sait déjà que c’est trop tard, mais on y va quand même… Le Reich vient de sceller sa chute, mais il ne le sait pas encore.

C’est dans cet état d’esprit que commence Unsere Mütter, Unsere Väter. Cinq amis berlinois, un peu caricaturaux (l’officier honnête, le petit frère séditieux, la beauté qui veut percer dans la chanson, l’infirmière secrètement amoureuse, l’ami juif que l’on protège), cinq berlinois convaincus de la victoire prochaine, car qui peut battre désormais la Grande Allemagne ? Et qui a plus raison de se battre que l’Allemagne, menacée de l’intérieur comme de l’extérieur par les communistes et les juifs ? A noël, on se retrouvera pour fêter la victoire à Berlin. De ces caricatures, les acteurs tirent le meilleur et notamment Tom Schilling, excellent en petit frère antinazi qui finit par démontrer personnellement que « la guerre ne fait que révéler nos côtés les plus obscurs ». Pour cela, on pardonnera de menus défauts : un peu de naïveté, un montage racoleur, et des invraisemblances scénaristiques. Dans l’idéal, on mixerait Un Village Français et Unsere Mütter, Unsere Väter. L’intelligence et la subtilité du premier, le punch, la religion du cinéma du second.

Car c’est la reconstitution de l’ambiance du front russe qui est sûrement la plus grande réussite de Unsere Mütter, Unsere Väter. Une partie méconnue de la Seconde Guerre Mondiale, mise sous le boisseau de l’hégémonisme culturel américain de ces soixante-dix dernières années, où l’on nous a fait croire que la guerre avait été gagnée à l’ouest, par le débarquement de Normandie. Une nécessité de la Guerre Froide, appuyé par Hollywood, pas en manque d’épiques reconstitutions de l’héroïsme yankee : Le Jour le Plus Long, Les Canons de Navaronne (on y revient prochainement), Quand les Aigles Attaquent, etc. etc. Et donc, évidemment, très peu de films sur le front de l’est : une version française et allemande de Stalingrad, et le Croix de Fer de Peckinpah*.

A l’heure où – pour le meilleur et pour le pire – l’Europe se débarrasse de l’influence américaine, un nouveau regard est posé sur la guerre à l’est. Sans l’erreur d’Hitler, et sans l’engagement total des russes (53% des pertes alliées) qui « fixèrent » à la fois les troupes et les moyens économiques allemands à l’est, les nazis aurait annexé l’Europe.

Cette guerre à l’est fut exceptionnelle à plus d’un titre : immensité des moyens engagés, intensité des combats, mais surtout, sauvagerie absolue de part et d’autre. La non-signature par les russes de la Convention de Genève servit de prétexte aux allemands pour ne pas l’appliquer non plus, contrairement à ce qu’ils faisaient à l’ouest. D’où, évidemment, Shoah par balles pour les allemands et représailles anti-ukrainiennes de l’autre côté.

Ce que réussit à faire Unsere Mütter, Unsere Väter, c’est de filmer ça à hauteur d’hommes ; filmer l’enfer de la guerre, bien sûr, mais filmer aussi la spécificité de ce conflit qui marqua durablement les esprits allemands : non l’Allemagne n’était pas invincible, non l’Allemagne n’avait pas raison, non la Wehrmacht n’était pas le dépositaire du vieil honneur prussien.

* Mais évidemment, plein de films côté russe : La Ballade du soldat, Quand Passent les Cigognes, Ils ont Combattu pour la Patrie, L’Enfance d’Ivan, et récemment : Requiem pour un massacre ou Dans la Brume




mardi 3 septembre 2013


House of Cards
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Voilà donc la série tant attendue, le série événement qui n’a jamais autant mérité son nom. Écoutons le buzz : la série de David Fincher (il semble qu’il soit plutôt coproducteur de la série, adaptée par Beau Willimon d’une série anglaise), la série de Kevin Spacey, la version noire d’A La Maison Blanche, la révolution Netflix (tous les épisodes disponibles d’un seul coup), etc., etc.

L’attente est énorme. Attention, la déception peut l’être aussi. Après 3 épisodes, premier bilan mi-chèvre, mi-chou.

L’événement n’est pas là…
Rien de révolutionnaire dans House of Cards, sauf si vous vous êtes contentés ces dernières années de regarder Castle et NCIS. Un arc feuilletonnant (Frank Underwood voulait les Affaires Étrangères, il ne les a pas eu, il veut se venger et il n’est pas content), trois ou quatre personnages annexes très typés, une visite dans les coulisses de Washington (où – scoop – il se passe des choses pas nettes), un peu de cruauté (moins que dans Dexter), un peu de sexe (moins que dans Game of Thrones), un peu de pédagogie sur les arcanes de la politique américaine (moins que dans A La Maison Blanche). Bref rien qui casse la baraque.

… Mais l’image est sublime
Depuis Seven, Fincher a créé cette ambiance qui portera un jour son nom, le « Noir Fincherien« . Comme le Harvard de Social Network, la Suède de Millénium, Fincher filme Washington comme un film d’horreur gothique. Même la maison de Robin Wright fait peur… Que fait-elle donc la nuit avec ce rameur mécanique ?

Des acteurs au top…
Spacey, Wright, les acteurs sont – évidemment – formidables. La jeune journaliste (interprétée par Kate Mara, la sœur de Rooney Mara), une révélation. Comme le moindre second rôle. Comme d’habitude chez Fincher.

… Mais leurs personnages sont des classiques resucés
Kevin Spacey n’a rien d’étonnant en politicard comploteur ; pire il ressemble à ses précédentes incarnations de grand méchant (Seven ou Usual Suspects). Mara ressemble à une Lisbeth Salander soft. Seule Robin Wright crée un personnage extraordinaire, en patronne glaciale d’une association humanitaire.

In petto, l’idée de trop…
Faire parler le héros au public s’avère une idée toute rassise, vieille comme Molière. Là aussi, on ne peut s’empêcher de penser à une des performances précédentes de Spacey, American Beauty. Si l’on accepte la volonté pédagogique de ce in petto, on est déçu par la faiblesse du procédé. A la Maison Blanche avait les mêmes volontés pédagogiques, mais l’incluait dans les dialogues et dans l’intrigue.

… Pour des machinations trop faciles
Ce qui pique le plus les yeux, c’est que tout semble réussir à Frank Underwood. Un problème se présente (réforme de l’éducation ou château d’eau disgracieux en forme de pêche géante), Frank sort sa boule de billard et les trois bandes pour le résoudre. Si c’est si facile, pourquoi a-t-il échoué ailleurs ?

Reste pourtant que House of Cards est assez addictif pour le moment, suffisamment pour qu’on en redemande toutes les semaines. Ce qui sauve la série, c’est évidemment sa perfection formelle, un très beau paquet cadeau, que l’on a envie d’ouvrir. En sachant aussi qu’on y trouvera la trace des obsessions fincheriennes. Depuis Seven, on sait qu’un moraliste exigeant se cache derrière David Fincher. Et le Frank Underwood de House of Cards n’est pas loin du psychopathe moralisateur de Seven, joué par le même Spacey. John Doe fustigeait les obèses qui ne se contrôlent pas, les avides du Marché qui veulent tout, les femmes qui cherchent la perfection physique plutôt que morale. Le voilà réincarné en Représentant fâché avec le pouvoir, et qui s’est donné pour mission, comme John Doe, de nous faire la leçon. La fausse foi (épisode 3), l’épouse au corps parfait mais à l’âme monstrueuse, et la jeune journaliste prête à tout pour réussir. Dans un plan magnifique, où la jeune journaliste du Washington Herald va passer pour la première fois à la télé, on la voit d’abord au naturel, petite belette butée, rêche, coincée, les lèvres serrées… Mais les lumières s’allument, la voilà en direct, et un magnifique sourire éclaire son visage.

Fincher filme cela depuis toujours, l’hypocrisie de l’Amérique. C’est une bonne nouvelle : David Fincher est encore un jeune homme en colère.




dimanche 1 septembre 2013


Arnaques, Crimes et Botanique
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Tout arrive à point à qui sait attendre. J’avais toujours rechigné devant Arnaques, Crimes et Botanique : trop clip, trop brit spirit, trop montage-haché-sur-une-musique-hip, bref, trop Dannyboylic.

Il a fallu une fatwa lancée d’Annonay par Notre-Dame-de-l’Ardéchoise, sur le thème tu me rends mon coffret Guy Ritchie ou je t’atomise, pour que le Professore se mette au travail. En insérant le DVD, il s’est rappelé – comme pour se donner du courage – qu’il avait bien aimé le Sherlock Holmes de Monsieur Ritchie…

En fait, nul besoin. Arnaques, Crimes et Botanique est tout ce qui est écrit ci-dessus, mais c’est parfaitement mené. Un film d’arnaque comme il y en a plein, version La Ronde de Max Ophuls, où des bandits A tentent de voler des bandits B qui ont volé aux bandits C ce dont les bandits A voulaient s’emparer. Ce qui pourrait être totalement artificiel s’avère particulièrement brillant, servi par des dialogues witty et les « gueules » du cinéma anglais.

Quant à Guy Ritchie, qui signait là son premier film avant de devenir clippeur – puis bien plus – de Madonna, il montrait son sens parfait du timing, aucune scène ne s’embarrassant de secondes inutiles. Ce qui peut s’avérer gadgetique ailleurs, notamment chez les derniers Danny Boyle, est parfaitement maîtrisé ici, jusqu’à son cliffhanger final.

Passons à Snatch.




vendredi 30 août 2013


Master of my domain
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

C’est encore un peu l’été, et pour des raisons assez inexplicables (pas d’enfants, retour progressif au travail), nous regardons chaque année quelques épisodes de Seinfeld.

Re-regardons, plus exactement, puisque nous avons eu l’honneur et l’avantage de découvrir les sitcoms (Dream On, puis Seinfeld, sur l’excellente Canal Jimmy, avant que la maison mère (Canal+) ne découvre qu’elle était assise sur un tas d’or, dépouille sa filiale et se réapproprie les séries à succès, tuant Jimmy au passage.

Hier soir, hasard du calendrier, nous tombons sur l’épisode The Contest (saison 4, épisode 11) qui va bâtir la saga Seinfeldienne, grâce à une réplique culte, une seule :

I’m the master of my domain !

De quoi s’agit-il ? D’un concours que se sont lancé nos quatre compères : qui, le premier, renoncera à se faire plaisir tout seul et restera le « maître de son domaine ».

Le sujet, extraordinaire, inédit, scandaleux, bouscule le diffuseur, NBC, finit par accepter à condition que le mot ne soit jamais prononcé. De cette contrainte, Larry David – le compère scénariste de Jerry Seinfeld – va tirer le meilleur, multipliant les métaphores (Queen of the Castle, King of the County, Lord of the Manor...) et signer peut-être le meilleur épisode de la série. Il va d’ailleurs gagner 2 Emmy Award, et prouver qu’on peut faire rire à la télé américaine avec des sujets un peu plus adultes.

Mais surtout l’expression Master of My Domain va entrer dans le vocabulaire courant, avec le joyeux sous-entendu qu’elle comporte désormais. Vingt après, l’expression orne toujours des T-shirt, des mug, vendus au Rockfeller Center, à la boutique NBC.




mercredi 28 août 2013


Les Enfants de Dune
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Bon, voilà, c’est fini. A vrai dire, finir les Enfants de Dune, le dernier livre lisible de la saga d’Arrakis, est plus facile que d’en terminer l’adaptation télé. Autant la première partie (tirée du Messie de Dune) était plutôt réussie, autant celle-là se traîne lamentablement.

On délaye, et ça se voit. Les rebelles du Sietch Tabr, Alia qui organise la répression tandis que l’Abomination mérite de plus en plus son nom, puis un petit tour sur Salusa Secundus, puis on repart au Sietch Tabr. Ça manque de dramaturgie, de rebondissements, et de sens.

Il est vrai que cette adaptation est sûrement la plus ésotérique ; le sacrifice d’un de ces enfants de Dune, les concepts qui y sont asssociés, les plus difficiles à expliquer. Mais bon, nous on est spectateurs, on a payé : les petits problèmes des scénaristes, on s’en fout.

Reste, comme toujours après un voyage sur Arrakis, qu’il est difficile de s’endormir sans se mettre à rêver de la planète des sables.




lundi 26 août 2013


Ma Meilleure Amie, Sa Sœur et Moi
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il ne faut pas se mentir : malgré ce qu’on dit, ici ou là, les probabilités d’aller voir un film comme Ma Meilleure Amie, Sa Sœur et Moi est infinitésimal. Malgré les conseils des copains du bureau (sur le mode « ça devrait te plaire » ou « un film pour toi », l’appel des grosses machines reste le plus fort. Pacific Rim ? Lone Ranger ? On a beau savoir qu’on sera déçus, on a beau crier sur tous les toits du web le déclin de l’empire américain, l’appel du divertissement est le plus fort.

Il faut donc une conjonction particulière d’événements favorables (pas d’enfants, l’envie d’aller au cinéma avec la Professora) pour aller voir un petit film, ce Your Sister’s Sister de Lynn Shelton, sans star, et sans hélicoptère, ni odeur du napalm au petit matin. Mais seulement un type dépressif, Jack (Mark Duplass) à qui sa meilleure amie Iris (Emily Blunt) prête le chalet familial, histoire de se refaire une santé. Direction le Puget Sound, les fjords de Seattle. Pas de bol, la sœur aînée, Hannah (Rosemarie DeWitt) a préempté le chalet.

De ce triangle, Lynn Shelton tire un très joli film, très inspiré de la Nouvelle Vague (dialogues quasi improvisés et son direct) mais aussi très tenu : un début, une fin, et trois histoires qui s’entrechoquent. Il serait dommageable d’aller plus loin dans le pitch, puisqu’il y a beaucoup de petites surprises dans ce scénario. Il suffit de dire qu’on ressort tout étonné de cette douche fraîche totalement inattendue au cœur de l’été*.

* On a bien fait – comme d’habitude – de ne pas se documenter avant : Lynn Shelton est une des réalisatrices de Mad Men, et c’est probablement là qu’elle a rencontré la lumineuse Rosemarie DeWitt qui jouait la maîtresse bohème de Dan Draper dans la première saison. Emily Blunt jouait quant à elle la mère de Looper.




dimanche 25 août 2013


Le Messie de Dune
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Séries TV ]

Le Professore, défenseur du monde libre, avait échappé aux griffes de Karl Ferenc Scorpios dans l’épisode précédent. Ce qu’il ne savait pas, c’est que l’agent du SPECTRE lui avait implanté sous hypnose un mot-commande dans les profondeurs de son cerveau. Dès que Ludovico entendrait les mots « Parle-moi de ton monde natal, Usul », il ne contrôlerait plus ses actes.

C’est ainsi que je me retrouvais, tout jugement suspendu, à introduire dans mon lecteur Blu-Ray Sony dernier cri, le DVD de Children of Dune. Oui, la suite de la série TV honnie, l’adaptation au scandaleux succès du plus grand livre jamais écrit*.

J’étais resté abasourdi devant le premier chapitre, Dune, ses cadrages improbable, sa déco à deux francs, ses acteurs en plastique et ses images de synthèse réalisées sur Amiga. Hors de question de voir la suite, malgré les exhortations d’un ami de Montreuil, DAF d’une grande société informatique française. Mais quelqu’un avait fait sauté mon conditionnement impérial, et j’étais bien en train de regarder la suite. Impossible de faire demi-tour. Susan Sarandon était là, dans un fauteuil Conran, sur une Salusa Secundus en 3D dans le rôle de Wensica Corrino. Trop tard pour faire demi-tour…

Mes pensées se troublèrent de plus en plus quand je me mis à penser que certes moche, ce second chapitre, Le Messie de Dune, était diablement fidèle au livre. Pas seulement à l’intrigue, mais aussi à l’esprit du Messie de Dune. Un livre qui torpille l’idée de héros. Paul Atréides, devenu Muad’ Dib, a lancé ses Feydakin dans l’univers ; ils mettent ces planètes à feu et à sang et les convertissent l’une après l’autre à cette dictature théocratique.

Qu’est-ce que ça fait de passer de libérateur à tyran, c’est le sujet du livre, diablement bien illustré dans ce Messie de Dune TV. Il faut juste éviter de regarder les images, atroces. Car cette adaptation télé a – sciemment – pris le contre-pied du film de Lynch, qui avait été un atroce bide aux Etats Unis. Elle a respecté le livre à la lettre, mais au passage, a parfaitement raté le look du film, ce qui était – et reste – le principal atout du film de Lynch.

Me voilà en tout cas obligé de regarder Les Enfants de Dune.

* C’est ce que croyais à quinze ans, en tout cas.




vendredi 23 août 2013


Jobs
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

En 1912, Joseph Conrad – l’auteur d’Au Cœur des Ténèbres et de Nostromo mais surtout ancien marin au long cours -, couvre pour The English Review l’enquête, puis le procès du naufrage du Titanic. Il écrit notamment ceci, pour, devant les rodomontades de la White Star Line :

« Une entreprise est un commerce, même si, à la manière dont parlent et se comportent ses représentants, on pourrait bien voir en eux des bienfaiteurs de l’humanité, mystérieusement engagés dans quelque noble et extraordinaire entreprise. »

On pourrait parfaitement appliquer cette formule au fétichisme qui entoure Apple depuis trente ans. Le fétichisme, rappelons-le, consiste à doter un objet banal de capacités magiques : un sac Vuitton serait plus solide qu’un sac de cuir normal, un Mac ne planterait « jamais », etc.

Jobs, le film, n’arrive pas finalement à se débarrasser complètement de ce fétichisme applemaniaque. A l’instar du citoyen lambda, à la fois fasciné et irrité par l’aventure Apple. Les révolutions technologiques et sociétales dont Apple a fait partie, mais pas seuls, du micro-ordinateur, de l’organiseur personnel, du smartphone. Il n’y a pas eu qu’Apple, mais aussi Microsoft, Palm, Nokia… Seul Jobs a réussi (et voulu) faire de sa vie un roman. Et maintenant, un film.

Jobs fait donc l’éloge, en demi-teinte, mais l’éloge quand même du « génie » Steve, l’Homme-qui-a-Changé le Monde-et-l’a-Rendu-Plus-Cool. Il est également assez malin pour chercher à satisfaire les anti-Steve Jobs, les contempteurs du très paranoïaque, très égoïste, très dur en affaires Mister Jobs. Procès à charge et à décharge, Jobs alterne les banderilles (patron égoïste, designer hystérique, père irresponsable) et les bouquets de fleurs (visionnaire, seul contre tous, victime des grosses corporations…) : sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur.

C’est malin, parce qu’il est difficile de juger le film, au final. Tellement équilibré qu’il n’offre que peu de prises à l’analyse critique.

Jobs est pourtant filmé n’importe comment (le plan LSD dans les champs de blés), lourdement dramatisé à certains moments (le départ de Wozniak), sous dramatisé à d’autres (le retour de sa fille Lisa) : Jobs est un mauvais film, techniquement parlant. Qui souffre affreusement de la comparaison avec une tentative récente de biopic hi-tech. Mesurer Jobs à l’aune de The Social Network démontre le génie de Fincher, si quelqu’un en doutait encore.

Mais pour son bonheur, le film de Joshua Michael Stern est porté par Jobs lui-même, c’est à dire Ashton Kutcher, qui est tout simplement extraordinaire. Pour cela, et pour revivre avec un peu de distance trente ans de storytelling Apple, ça vaut le coup d’aller voir Jobs.