jeudi 31 juillet 2025


First Man, lune de contraste
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

First Man, c’est l’autre chef d’œuvre invisible, le film méprisé par la critique qui n’a ramassé qu’un Oscar technique. La Grande Œuvre (à date) de Damien Chazelle reste néanmoins un continent stylistique à découvrir.

Contrairement à d’autres films qui offrent une profondeur dans les détails, tout est au premier plan dans l’anti-biopic de Neil Armstrong. Tour à tour film années 60, 16mm à gros grain, puis HD IMAX pour les scènes spatiales* ; engins qui vibrent jusqu’à rendre l’image illisible, puis plans fixes ultra nets, bruits tonitruants, puis musiques célestes, tous ces choix ne sont pas anodins. Ce sont ceux d’un cinéaste. Et d’un grand.

A l’évidence, Chazelle a voulu marquer le genre, très rebattu, du film spatial. Face aux décors proprets de 2001, il oppose la saleté industrielle des fusées. Face à l’épopée patriotique de L’Etoffe des Héros, il met en scène le drame familial. Face au buddy movie d’Apollo XIII, il joue la compétition amère entre astronautes. Cette volonté de démonter les clichés se traduit par une réalisation nerveuse, ponctuée de motifs récurrents.

Revue de détail de cette accumulation de contrastes.

Saccadé / fixe

Dès le premier plan, ça secoue. Neil Armstrong n’est encore qu’un pilote d’essai de l’Air Force, aux commandes de l’avion fusée X-15, mais Chazelle lance sa dialectique. Ça va secouer, vous allez avoir peur, et ensuite, je vous émerveillerais.

L’image tressaute dans un vacarme indescriptible, Neil Armstrong lance ses moteurs, l’engin vibre, la caméra à l’unisson. Quand la poussée s’arrête, l’image devient immobile, silencieuse, déposant le spectateur dans les frontières bleutées de l’atmosphère. Plus tard, le X-15 se pose dans le désert du Mojave. Des trombes de poussière jaillissent en une explosion tonitruante, l’engin glisse à toute vitesse sur ses patins jusqu’à s’immobiliser, là aussi, dans un plan fixe. Motif réutilisé quand Gemini accélère, quand le LEM alunit, alignant à chaque fois une séquence frénétique puis un moment de paix absolue.  

Intérieur / Extérieur

Qu’est-ce que la Conquête de l’Espace, sinon jeter des hommes en scaphandre dans le vide inhospitalier, assis sur cent tonnes d’explosifs, et protégés d’une minuscule cabine de métal ? Le film joue entièrement sur cette dialectique, et filme à l’envi des barrières qui permettent de voir, mais pas de toucher (Casques / Hublots / Fenêtres).

L’habitacle du X-15 offre, comme le dit Lovecraft, « des perspectives terrifiantes sur le réel, et sur l’effroyable position que nous y occupons ». Pour la première fois, nous voyons, un peu effrayés, notre petite boule bleue qui flotte dans l’univers. Le fuselage, le hublot, le casque, sont censés protéger Neil Armstrong, mais on comprend que ces protections sont dérisoires. Rebondissant sur une autre paroi, celle de l’atmosphère, Major Tom flotte dans sa tin can, capable de voir la terre, mais incapable d’y revenir.

Cette paroi invisible revient à de nombreuses reprises, indiquant l’inaccessible  : fenêtres des voisins qui s’épient, hublot qui cachent puis révèlent (les mouettes de Cape Canaveral, le ciel bleu puis noir, l’AGENA, la Terre, la Lune, puis l’épouse, lors de la quarantaine finale).

Casques / yeux

Quantité de casques eux aussi, cachent ou révèlent des regards, dans des plans souvent filmés à la limite de l’expérimental. Deux points jaunes qui cherchent l’AGENA en orbite. Deux yeux affolés quand elle part en vrille. Deux yeux bleus, regard de la femme aimée ou des enfants… Et deux points bleus qui jouissent de l’obscurité et découvrent, comme une bête apeurée, la Lune pour la première fois.

Il y a une exception, tout aussi notable : quand le casque ne sert à rien. Lors de l’accident du vol d’essai du LEM, Armstrong est blessé et pour une fois, on voit son visage sans protection. Blessé et noir de fumée, il devient à moitié fou, retourne chez lui, puis repart au travail : rare exemple de perte de contrôle du personnage.

Bruit / musique

Le son est aussi un terrain d’innovation. Le film est parsemé de clinquements, de grincements, d’explosions brutales, qu’on ne voit jamais dans les autres films sur le sujet. La musique – basique mais magnifique – de Justin Hurwitz, (un ou deux thèmes réorchestrés) vient apporter le contrepoint. Face à l’inquiétude technique, il y a l’humanité, il y a la valse. Citation Kubrickienne (Le Danube Bleu de 2001), la valse Hurwitzienne est en même temps sa contradiction. Chez Kubrick, la valse est mortifère, c’est une stagnation. Ici, c’est le signe de l’humanité, de l’amour et des sentiments. C’est la danse de l’amour, des engins et des humains qui s’emboîtent (Gemini et l’AGENA, Neil et Janet). C’est l’âge d’or d’Egelloc, du College, où Armstrong « composait » des comédies musicales et séduisait Janet, sa future femme**. Dans une scène très Chazellienne, le couple danse devant des rideaux, comme dans La La Land. Lunar Rhapsody, un jazz des années 40 : « Je croyais que tu avais oublié », dit Janet. On verra plus loin que ce n’était pas le cas.

Mais parfois, le fou de musique qu’est Chazelle joue de l’absence totale de son. Il sait que le silence est aussi important que la musique elle-même, qu’il créé une tension qu’il faudra résoudre.

Lors du Premier Pas, il applique cette règle de manière extrême. La poigné du sas grince, mais, une fois ouvert, plus aucun son. La caméra, comme emportée par l’air qui se vide du LEM, file vers la surface de la Lune dans un plan – littéralement – à couper le souffle.

Le cinéaste triche, car la lune est en HD alors que les astronautes à l’intérieur sont encore filmés en 16mm. C’est pour mettre le spectateur dans cette sidération, une sidération qu’il fait durer avant qu’on entende la respiration diégétique de l’astronaute.  

Net / Flou

C’est l’un des autres contrastes voulus par le cinéaste. Le 16mm/35mm pour la vie, la famille, les astronautes, les fusées. La Haute Définition pour l’espace, pour la lune, filmée comme l’Astre de la Mort. Il y a le choc de la découverte bien sûr, ce plan que le spectateur attend depuis le début, mais aussi – préoccupation très contemporaine – montrer que la seule vie possible c’est la terre, et pas le fantasme technologique que d’une vie outre-espace***. La lune est morte, je vous la montre en IMAX, mais voilà la vie, les souvenirs, un pique-nique au bord de la rivière, filmé comme un Super8 amateur.  

Indicible / Jargon

S’il y a bien un thème à First Man, c’est l’incommunicabilité. Le couple, les enfants, la presse, les politiques, la NASA sont autant de champs de bataille. Comment communiquer l’incommunicable, quand on va réaliser le plus grand exploit de l’humanité ? Que dire à sa femme, à ses enfants ? Que répondre aux questions idiotes des ingénieurs, des journalistes, des politiques ? Que dire à ses collègues, alors qu’on a tout fait pour être choisi ?

On pourrait parler, bien sûr… On pourrait dire ses angoisses, sa douleur, ou sa foi en Dieu. On pourrait détourner tout cela en blaguant, comme Buzz Aldrin. On pourrait aussi parler de choses personnelles, de sa famille, de Karen, sa fille morte d’une tumeur maligne. On serait dans la culture américano-psy de « dire les choses », de poser ses sentiments, de se livrer.

Pas de ça avec Neil Armstrong, ni avec Damien Chazelle dont la filmographie semble traversée par cette idée (batteur autiste de Whiplash, couple mal assorti de La La Land). Ryan Gosling est le parfait véhicule du refus de se livrer, refus qu’il assumera à trois reprises (entretien d’embauche, enterrement de Elliot See, discussion avec Ed White).

Mais comme le film ne parle finalement que de ça, de la douleur incommunicable de la perte d’un enfant, Chazelle garde le drama pour la fin. On verra donc Armstrong/Gosling de plus en plus buté, totalement concentré vers sa mission, de plus en plus machine, de moins en moins humain, au risque de briser sa famille.

Comment filmer le laconisme armstrongien ? En ne gardant pour dialogue que le jargon de la NASA : « 3000 à 70. Alarme 12 01 ? Reçu. 540 pieds, Descente à 3. 5. En avant 9 ». En jouant avec les clichés et en ânonnant la citation de circonstance « C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’humanité » : le côté com’ de l’affaire. En faisant confiance à Ryan Gosling, bloc de volonté autiste dans la très belle séquence d’alunissage.

Faire absolument confiance à Gosling, comédien très fin quoi qu’on en dise, car Chazelle va l’utiliser pour ramener l’humain (Il ne l’a jamais oublié), dans les deux scènes finales : la séquence du cratère et les inattendues « retrouvailles »…

Au Cratère Ouest, dans une scène magnifique mais inventée****, Armstrong/Gosling vient dénouer le film. Une scène renversante, qui utilise toutes les ressources du cinéma, en jouant avec les thématiques évoquées plus haut (Intérieur/extérieur et Casque).

Neil Armstrong enlève son couvre-casque doré ; il pleure. Venu déposer le bracelet de Karen, pour la première fois le personnage se dévoile. Toute peine retenue depuis sept ans, seul avec son chagrin, il peut enfin laisser parler les larmes.

Puis l’astronaute remet son couvre-casque, ce qui fait apparaître le reflet du cratère : un immense trou, métaphore 1. Contrechamp sur son ombre dans le cratère, métaphore 2 : le fantôme de l’enfant défunt (« un seul être vous manque et tout est dépeuplé ») tandis que s’intercale, le super8 des souvenirs familiaux.

On enchaîne sur l’étrange scène de retrouvailles. Après avoir montré un couple heureux, franchissant les difficultés ensemble, Chazelle prend à contrepied le spectateur dans le final. Au lieu de l’attendu « I love you/I Iove you too », le retour de Neil Armstrong à Ithaque devient une scène très amère. Le grand homme est incapable de dire un mot à son Hélène, dans un décor ironiquement américain (murs bleus, chemisier blanc, jupe rouge). Chazelle laisse le temps filer.

Armstrong a réalisé le plus grand exploit de l’humanité, mais il n’a pas les mots : il est out of this world, comme l’a dit Janet précédemment. Que dire à sa femme qui l’a cru mort cent fois ? Comment raconter une telle expérience ? Juste avant, Chazelle nous a prévenu par le biais voix off d’un journaliste anonyme : « Cette beauté sera peut-être impossible à léguer aux futurs observateurs. Ces premiers hommes sur la Lune ont vu quelque chose que leurs successeurs ne verront pas, ils ont contemplé une autre vie, qui nous échappe »

L’homme est devenu machine, comme chez Kubrick. Mais au contraire de l’ermite de Childwickbury, l’humanité revient… En gros plan, les yeux magnifiques des comédiens se cherchent, se jaugent, s’épient. Mais tel l’Adam de Michel-Ange, Neil tend le doigt (et un baiser) vers son épouse, à travers (encore) la barrière vitrée de la quarantaine. À contrecœur, Janet finit par s’approcher, et toucher la main de son mari, dans un plan sublime : sa tête se surimprime en reflet sur la tête de son mari.

I always had you on my mind.

* Chazelle et son chef Op’ Linus Sandgren ont tourné en trois formats différents : Super 16mm, 35mm Techniscope & Super 35 3-perf, IMAX 70mm pour la séquence sur la Lune. Le format 16mm a été utilisé principalement pour les scènes à l’intérieur des vaisseaux spatiaux, tandis que le 35mm servait pour celles à la maison des Armstrong ou autour des installations de la NASA. (source Wikipedia)
** Sublime Claire Foy, dans son meilleur rôle après The Crown
*** Le cinéaste donne d’ailleurs à trois reprises la parole aux anti- (Kurt Vonnegut, une jeune fille, et le protest singer qui chante Gil Scott Heron, « Whitey on the Moon »

**** On ne sait pas ce qu’a fait Neil Armstrong pendant qu’il était au Little West Crater.  




mardi 29 juillet 2025


L’Effondrement
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

On a mis du temps à regarder L’Effondrement, malgré les appels du pied répétés de James Malakansar. Peut-être tout simplement parce que le thème est déprimant : l’effondrement de notre société, de notre vie quotidienne wi-fi, chauffage et petites bouffes entre amis. Un thème qui a le désagréable avantage d’être en permanence à la télé. Donc quand on regarde une série, on a envie de penser à autre chose.

Créée, écrite et réalisée par le collectif Les Parasites : (Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard et Bastien Ughetto), L’Effondrement démonte notre petit confort en huit épisodes saignants de 20 minutes, constitué à chaque fois d’un seul plan séquence. Ce gimmick, devenu à la mode pour montrer qu’on est cinéaste (Birdman, The Revenant, 1917…*), c’est un peu l’Orson Welles du pauvre. Mais ici, loin de l’afféterie, c’est un concept. Balayer un thème en vingt minutes, dans un lieu iconique de la vie quotidienne (le supermarché, la station d’essence, le hameau…) et c’est absolument impressionnant. Parce que l’émotion est là, parce qu’elle supplante la technique, parce que les comédiens jouent juste (pour la plupart inconnus, sauf quelques guests).

On regrettera juste un épisode final maladroit, moins subtil comparé au reste, mais qui a la charge (peut-être trop lourde) de résumer le propos politique du film.

L’effondrement n’est peut-être pas pour après-demain, mais ça vaut le coup de s’y plonger… après les vacances !




lundi 28 juillet 2025


Harris Yulin
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Cette nuit, j’ai pensé à Harris Yulin. Là, vous vous dites mais qu’est-ce qu’il a le Ludovico à penser à Harris Machin-Truc à deux heures du matin ? Mais le Professore vit cinéma, pense cinéma, rêve cinéma.

En réalité, j’ai pensé à cet acteur sans retrouver son nom. Et dès le réveil comme il se doit, Ludovico a consulté IMDb : Harris Yulin, c’est bien ce flic pourri dans Scarface, le seul à résister à Pacino sous cocaïne. « Fuck you Tony ! » : en quelques lignes, Yulin emporte le morceau.

La cinéphilie est une affaire de fantômes. Des images, des répliques, des acteurs, qui vous hantent jour et nuit. Ce type nous accompagne en fait depuis cinquante ans, il est dans Kojak, dans les X-Files, La Petite Maison dans la Prairie, mais aussi dans Ghostbusters 2, Les Envoutés, Sang Chaud pour Meurtre de Sang-Froid Looking for Richard, Star Trek Deep Space Nine, Buffy, 24 Heures Chrono… Et récemment, il fait un prêtre pendant deux minutes dans I Know This Much is True , ou tient pendant quatre saisons le vieil homme attachant dans Ozark.

Harris Yulin, c’est le bon soldat de Hollywood, le gars qui n’a jamais décroché un premier rôle, mais a traîné sa carcasse, sa gueule – souvent dans des rôles de ripoux – parce qu’il en avait la physique et, comme on dit, un emploi.  

Il avait l’air subclaquant dans Ozark en 2018, et le Professore Ludovico – nécrophile comme tout cinéphile – s’est demandé quand Harris Yulin était décédé.

Il vient de mourir, il y a un mois à peine, le 25 juin 2025.

Adieu l’artiste.




jeudi 24 juillet 2025


La Poursuite Infernale
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Brèves de bobines -Les films ]

Des éleveurs volés, une chanteuse mexicaine, une ingénue qui débarque, un médecin alcoolique ? On n’est pas chez Howard Hawks, mais chez John Ford, dans La Poursuite Infernale, My Darling Clementine pour être précis, un des plus beaux westerns qui soit.

Certes ce n’est pas très clairement mené, on a du mal à comprendre qui veut quoi, ce que Shakespeare vient faire dans cette galère, mais le sujet n’est pas là. C’est, comme d’habitude chez John Ford, rédemption, vengeance, amour impossible et émerveillement devant l’Ouest sauvage.

Et c’est par sa forme que La Poursuite Infernale éblouit. Enième relecture du règlement de compte à OK Corral (qui s’est déroulé 400 km plus bas), My Darling Clementine fascine par sa beauté sublime, dans un noir et blanc ahurissant de netteté. Le chef op’ Joseph MacDonald tire le maximum des ciels bleus, des nuages, des contre-jours. Il n’y a quasiment pas de mouvement de caméra – Ford les réserve aux scènes d’action.

Un pur moment de cinéma.




mercredi 23 juillet 2025


L’espion qui Venait du Froid
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Pour le Professore Ludovico, la seule véritable ambiance d’espionnage, c’est celle de John le Carré. Contrairement à Karl Ferenc, qui en pince toujours (30 ans après la Chute du Mur !) pour James Bond. Nous aimons l’ambiance Le Carré, mais pas vraiment les livres du Monsieur (sauf Le Tunnel aux Pigeons, sa géniale autobiographie).

L’an dernier, sur l’insistance de quelques amis, nous sommes retournés à la source, L’espion qui Venait du Froid, le livre. Encore agent du MI6 à l’époque, Le Carré décrit en 1964 les magouilles de la Guerre Froide avec une précision clinique.. Comment intoxiquer les Russes, comment faire passer les transfuges à l’Ouest… Le livre rencontre un immense succès, et surtout la reconnaissance de ses pairs. Martin Ritt en tire immédiatement un film, qui a autant de succès. Qu’en reste-t-il, soixante ans après ?  

Le propos est toujours abscons, et on a du mal aujourd’hui à suivre les circonvolutions des protagonistes. Mais il y a Richard Burton, impressionnant bloc de violence contenue, dans ce rôle de brute avinée qu’il tiendra partout, de Cléopâtre à Quand les Aigles Attaquent

Leamas (Richard Burton) est un agent du MI6 basé à Berlin Ouest. Riemeck, une source de Leamas, se fait tuer alors qu’il essaie de passer le Mur, et Leamas veut se venger. Le MI6 lui propose de passer à l’Est, et créé pour cela une « légende » : licencié, il devient un alcoolique, un asocial, vite pris sous son aile par une jeune militante communiste (Claire Bloom, pas terrible) qu’il entraine, malgré lui, dans cette aventure…

Mais il y a évidemment un plan dans le plan, ce que va découvrir Leamas, et c’est seulement là que le livre (et le film) deviennent intéressants.

Le principal mérite du film de Martin Ritt, c’est probablement d’offrir la matrice des films d’espionnage qui vont suivre. Cet éclairage expressionniste, ce noir et blanc poisseux, et ces zones de gris. Dans les dernières scènes, un blanc aveuglant évoque les projecteurs des miradors, qui piègent les protagonistes comme de mouches.

Et dans un final magnifique, parfaite métaphore de ce monde des ombres : un plan fixe du Mur de Berlin, éclairé par des lumières fantomatiques, comme la mort qui rode.




lundi 21 juillet 2025


Andor
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Il faut être un génie.

Oui, un génie absolu pour avoir réussi à transformer une saga ridicule en chef-d’œuvre sériel. Que pouvait-on espérer tirer du space opera, ce genre oublié sorti des poubelles de la SF par George Lucas ? Conçu à l’époque comme un hommage aux serials de son enfance (John Carter from Mars, Flash Gordon, ces courts-métrages d’une demie-heure que l’on passait avant les films dans les salles de cinéma), Star Wars a dépassé l’intention initiale de son créateur, et est devenu, bien malgré lui, LA Science-Fiction…

Il fallait un gars musclé, Tony Gilroy, scénariste sexagénaire d’Armageddon, et des Jason Bourne, et fin réalisateur de Michael Clayton, mais aussi une productrice inflexible, Kathleen Kennedy, l’amie des Lucas/Spielberg, la productrice de leurs plus grands succès (E.T., Indiana Jones, Star Wars, Jurassic Park) mais aussi de grands films (Retour vers le Futur, Munich, Sur la Route de Madison, Sixième Sens, La Liste Schindler).

Aujourd’hui, Kathleen Kennedy est présidente de LucasFilm, et donc Madame Star Wars chez Disney, avec les pleins pouvoirs. On peut donc lui reprocher les épisodes 7, 8 9 mais elle est aussi derrière Rogue One (Tony Gilroy , Gareth Edwards) et Solo.

C’est donc elle qui a signé le projet Rogue One / Andor, en partant d’une toute petite idée : expliquer qui a dérobé les plans de l’Etoile Noire, c’est à dire les premières secondes de La Guerre des Etoiles, premier du nom. Gilroy, lui, a posé ses exigences. Ce sera un Star Wars adulte, avec de la boue sur les stormtroopers, et des protagonistes équivoques, qui tombent en résistance, plutôt que des personnages de BD tirés du Parcours du Héros.

Banco, répliqua Kathleen Kennedy.

Mais il fallait néanmoins une sacrée paire de couilles pour s’attaquer aussi frontalement à Star Wars, une saga qui travaille, elle, un certain merveilleux enfantin, Magicien d’Oz de l’espace, avec robot doré à la place de l’Epouvantail, et Chewbacca en Lion Peureux. Not in Aldebaran anymore

En 2016, Rogue One resterait un film d’aventures, plutôt simpliste sur la caractérisation des personnages. Mais c’est Andor, six ans plus tard, qui fit vraiment le travail. Motivations creusées (et ambiguës) des personnages, du sexe et de la drogue, et des trahisons à tous les étages. Pas vraiment l’univers propret de G. Lucas, ses vaisseaux Ikea, ses princesses en bikini, ses héros costumés en judoka, et ses extraterrestres en plastique…

Tout cela ne serait rien si ce n’était au service d’un propos fort, qu’on colle trop rapidement à la situation americano-trumpiste. Conçu depuis les années 2010, Rogue One/Andor est traversé par un sujet bien plus universel, celui de la révolte, ou de l’acceptation de la domination.

Montrer qu’entrer en résistance est souvent le fruit du hasard, parce qu’on est touché personnellement, ou que l’on a plus le choix. Ou qu’au contraire, on se met du côté des vainqueurs pour protéger sa famille, sa carrière : par opportunisme, ou par conviction idéologique …

Tout cela serait bien joli, mais ne mènerait nulle part si on n’arrivait pas à incarner ces idées. Pour cela Tony Gilroy a réuni (et réussi) une galerie de personnages absolument parfaite, tout autant du côté de l’Empire que de la Rébellion. Pas des personnages unidimensionnels, mais des vrais gens qui hésitent, qui doutent, et peuvent être attachants ou horripilants, peu importe le camp qu’ils servent. Signe qui ne trompe pas, on s’attache aussi bien aux rebelles qu’aux factotums impériaux.

Paradoxalement, Andor, le personnage principal (Diego Luna) est peut-être le plus falot. Un Han Solo au rabais, sans charisme, parfois détestable, mais qui sert de mètre-étalon aux autres. Car le monde tourne autour de lui, proposant un échantillon de trajectoires : Luthen Rael, leader implacable, cynique et désespéré (Stellan Skarsgård), Mon Mothma, la Sénatrice perdant ses illusions les unes après les autres (Genevieve O’Reilly), le Lieutenant de l’Empire Dedra Meero, SS blonde, entièrement consacrée à sa mission, rouage implacable du totalitarisme (Denise Gough)… On pourrait multiplier ces exemples à l’envi, tant chaque personnage, impeccablement écrit, impeccablement joué, vient nourrir cette immense saga… contenue en seulement une vingtaine d’heures.

Car c’est aussi la force d’Andor. Singulièrement boudée par la geekosphère, Andor s’est vue obligée de conclure sur sa deuxième saison. Tout bénéfice en réalité : c’est ramassé, musclé et cela finit au bon moment.

Aucun jedi d’ailleurs ne traine dans ces vingt-quatre épisodes.

C’était inutile : la Force était avec eux.




mardi 15 juillet 2025


Memories of Murder
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Brèves de bobines -Les films -Pour en finir avec ... ]

S’agit-il d’un gouffre culturel ? Car on ne comprend rien au cinéma de Bong Joon Ho. Mickey 17 nous avait déjà assommé par sa bouffonnerie, nous n’avions pas été estomaqués par Parasite et ces Souvenirs de Meurtre ne sont pas impérissables. Problème de l’acting coréen ? Squid Game laissait aussi cette impression de surjeu. Mais on cherche aussi à comprendre dans quel film se trouve Bong Joon Ho.

Ça commence comme Seven, sauf que les deux flics se comportent comme dans Y’a-t-il Un Flic pour Sauver la Reine… Dès qu’on a un suspect, retardé mental, il faut en faire un coupable. Taloches, coups de pied, reconstitution à l’arrache, et flics incompétents qui bousillent la scène de crime : serait-on dans une comédie ? Et puis un jeune flic arrive de Séoul, avec des méthodes plus sérieuses, mais la bouffonnerie continue. Puis, dans un brusque changement du genre, on se tourne vers la folie et la tragédie. Les pistes ne mènent à rien, au grand désespoir du trio…

Arrive alors le final, tendu et désenchanté, qui donne une idée du grand film qu’aurait pu être Memories of Murder.

Si quelqu’un a une explication, on prend.




vendredi 4 juillet 2025


Le Roman de Jim
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -Les films ]

Au bout de cinq minutes du Roman de Jim, un amateur de littérature sait qu’il est face à un grand livre, profond et généreux. Au bout de cinq minutes du Roman de Jim, l’adaptation des frères Larrieux, on sait qu’on est face à une bouse.

Les acteurs jouent à plat. Le maquillage est raté. La déco est nulle. Les dialogues, purement descriptifs ; la mise en scène, inexistante. Ce niveau de fainéantise dans un certain cinéma français est tellement insupportable. Les 3,8M€, où sont-ils passés ? Avec 800 000 € de moins, Antoine Chevrollier fait La Pampa.

Au bout de ces cinq minutes, nous avons arrêté le massacre, et nous ne saurons donc jamais pourquoi Karim Leklou a eu le César du Meilleur Acteur.

Nous avions mieux à faire : dormir.




mercredi 2 juillet 2025


L’Apocalypse selon Mad Max
posté par Professor Ludovico dans [ Documentaire ]

À signaler sur Arte, un bon documentaire sur la saga de Max Rockatansky, le Guerrier de la Route qui hante notre cinéphilie depuis 1979.

Du premier Mad Max, terriblement nihiliste, au cinquième, Furiosa, résolument féministe. Si le doc s’attarde un peu trop sur le revival des années 2020, il valorise néanmoins l’impact culturel de Mad Max 1&2&3&4&5 sur ces quarante dernières années…

Et il intéresse le cinéphile, via ses anecdotes sur le making of (et les risques insensés pris par les cascadeurs de l’époque) et surtout, via des interviews assez révélateurs sur George Miller, dont la carrière protéiforme ne cesse d’étonner : Lorenzo’s Oil, Les Sorcières d’Eastwick mais aussi Babe, le Cochon devenu Berger et Happy Feet 1&2 !

L’Apocalypse selon Mad Max

Disponible sur Arte Replay et ici : https://www.arte.tv/fr/videos/119946-000-A/l-apocalypse-selon-mad-max/




lundi 30 juin 2025


Footloose
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

« Been working so hard
I’m punching my card
Eight hours, for what?
Oh, tell me what I got
I’ve got this feeling
That time’s just holding me down
»

En 1984, nous n’avions pas suffisamment porté attention aux paroles de Footloose, la chanson – assez dégueulasse il faut dire – du film éponyme. Oui, nous étions déjà snobs. Ces paroles étaient évocatrices de la teneur du film, que nous découvrons quatre décennies plus tard grâce à la lecture de l’excellente autobiographie de Paul Hirsch, le monteur de Footloose*.

Et la surprise est là, dès les premiers plans de l’Utah, dans le bled où débarque Ren McCormack (le débutant Kevin Bacon) et sa mère. Le grain du film, les premiers dialogues, renseignent le connaisseur : ne serait-on pas dans un film indé caché derrière un film d’exploitation ? En fait, un peu des deux. Footloose est signé Herbert Ross, un bon faiseur de Hollywood, plutôt fin (Funny Lady, Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express, Potins de Femmes…) C’est en même temps une machine de guerre, l’exploitation teen d’une époque, sur le modèle Simpson/Bruckheimer lancé peu de temps auparavant.

Un concept marketing, à vrai dire, incroyablement simpliste vu d’aujourd’hui : au lieu de composer une BO, intégrer la musique de la génération concernée, et vendre les deux à la fois : Breakfast Club, Flashdance, Dirty Dancing… La BO de Footloose, composée de grosses sucreries qui n’ont pas dépassé le vingtième siècle, (sauf le hit éponyme signé Kenny Loggins), sera une des plus grosses ventes de disques de l’époque…

Et si on oublie les scènes de danse totalement artificielles, totalement cucul la praline, mais qui réjouissaient les ados des années 80, le film exsude une profondeur plutôt étonnante. Un désespoir tranquille qui imprègne la petite ville redneck où se situe l’action. A Bomont, Utah, le jeune citadin Ren McCormack (Kevin Bacon) cherche à s’intégrer tout en défendant une grande cause : la liberté de danser (sic). Il est en effet interdit d’écouter du rock’n’roll dans cette ville très religieuse. On interdit des livres à la bibliothèque, et même, on les brûle !

Incarnant ce teenage angst, Willard (Chris Penn), bouseux local, sait qu’il ne fera jamais rien de mieux que le collège, et puis qu’il faudra bosser à la ferme, et porter des sacs de farine à la minoterie. Ren va essayer de le libérer… en lui apprenant des chorégraphies ! Le film finit donc par défendre la danse d’un point de vue philosophique, comme libération des mœurs et émancipation de la jeunesse.

Propos Springsteenien s’il en est…

* Paul Hirsch
Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine…
Ed. Carlotta Films