vendredi 14 juin 2024


Rio Bravo, le livre
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Très bon petit livre de Robin Wood, dans la collection du British Film Institute, où l’auteur retrace les connexions, les liens, les motifs qui irriguent Rio Bravo, mais aussi toute l’œuvre d’Howard Hawks.

Il repère par exemple – ce qui nous avait échappé – que Hawks utilise trois fois la même réplique dans trois films différents (Le Port de l’Angoisse, Seuls les Anges ont des Ailes, Rio Bravo…) : « Je suis une fille difficile à avoir. Il suffit de demander* »

Mais aussi des motifs récurrents, l’Ennemi Invisible (les nazis, la montagne, le clan Burdette…), la Femme (qui n’est jamais une ménagère ou une mère de famille, mais l’égale du protagoniste masculin**), l’Ami Encombré (l’alcoolisme de Dean Martin, l’aveugle de Seuls les Anges ont des Ailes, l’alcoolo du Port de l’Angoisse) ou le Sidekick Sympa et Ridicule (ici, Stumpy (Walter Brennan, qui prendra ce rôle dans beaucoup de Hawks)). Ce genre de connexions, vous le savez, ravit le CineFaster.

Comme le soutenait la Nouvelle Vague, Howard Hawks est un véritable auteur, même s’il s’en défendait. Comme le pense le Professore, Michael Bay est un auteur, même s’il s’en défend.

Rio Bravo, de Robin Wood
BFI : Les classiques du cinéma

* « I’m hard to get, Steve. All you have to do is ask me.  »
Slim (Lauren Bacall) dans Le Port de l’Angoisse

** Et où l’inversion sexuelle joue à plein : une fille au caractère bien trempé (ici Angie Dickinson) prend les devants pour expliquer à ce penaud de John Wayne que « quand on le fait à deux, c’est mieux »




mardi 4 juin 2024


Love & Death
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Pendant un moment – la moitié de la série en fait – on a cru que David E. Kelley (Ally McBeal, The Practice, Big Little Lies) avait perdu la main, avec cette description caricaturale de bondieusards Texans des seventies. Ça sentait trop la reconstitution disco et le mépris de classe new-yorkais.

Et puis voilà, épisode 4, au mitan de la série, c’est la métamorphose splendide de l’héroïne, miraculeusement interprétée par Elizabeth Olsen, qui va devenir, c’est certain, une des plus grandes actrices américaines

Oui, la description caricaturale de ces hypocrites, god-loving texans avait du sens, pour faire contraste avec la suite : adultère, orgasme, et coups de haches.

Comment passe-t-on en effet d’une bonne chrétienne à une massacreuse de voisine ? David E. Kelley a l’élégance de ne pas répondre franchement à cette question. Il fait quelque part ce qu’il sait mieux faire : un film de procès.  Nous ne sommes ni Texan, ni bondieusard, ni mère au foyer des 70s. Pourtant, nous comprenons cette femme (ces femmes et ces hommes) coincés dans le puritanisme et les exigences de leur micro-société. Le mensonge, l’adultère, l’obsession de paraître, d’être une bonne personne : David E. Kelley s’attaque, comme dans Big Little Lies – mais dans un autre milieu social – aux hypocrisies de l’Amérique. En cela, il offre à Olsen une incroyable palette de sentiments à incarner (la bêtise, le mensonge, la colère, la peur, etc.) et l’oppose, coup de génie, au menhir Jesse Plemons. L’acteur sait faire bien d‘autre choses, nous le savons, depuis que Coach Taylor lui a demandé de taper ce kick pour les Panthers**… Lui aussi l’incarne cet enfermement dans les valeurs sociales, la famille, la foi, le couple, jusqu’à l’absurde et à la tragédie. Il va ainsi, dans une scène destinée à devenir culte, répondre NON une dizaine de fois à l’avocat qui l’interroge, avec ce regard buté qui est sa signature. Ça a l’air simple, mais pourtant, dans les yeux de Jesse Plemons, il y a le résumé de toute cette tragédie sociale.

*Martha Marcy May Marlène, Godzilla, Wind River, Wandavision…

**Une carrière tout aussi impressionante au cinema (Battleship, The Master, The Program, Le Pont des Espions, Hostiles, Pentagon Papers, The Irishman, Killers of the Flower Moon…) qu’à la télé (Friday Night Lights, Fargo, Breaking Bad, Black Mirror…)




lundi 3 juin 2024


Le Deuxième Acte
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Chez Quentin Dupieux, il y a toujours des idées, de sorte qu’on est rarement mécontent d’être venu. Mais il y a aussi les bons crus et les vins de table.

Ici l’idée, c’est une mise en abîme. Des comédiens qui jouent des comédiens qui leur ressemblent, un peu. Lindon fait du Lindon, Seydoux du Seydoux… Ou au moins, l’idée qu’on s’en fait. Ça  fonctionne : il y a un propos, Dupieux a quelque chose à dire sur l’époque comme d’habitude, mais voilà c’est trop long, même selon les standards Dupieusiens. 1h20 c’est court, mais si c’est du bavardage, c’est ennuyeux.

On a déjà compris, mais le film se traîne, à l’instar du plan final…

Pas grave, Quentin. A la prochaine !




vendredi 31 mai 2024


La Tragédie de Macbeth
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

On voit l’idée. Rendre hommage à la divinité tutélaire des cinéastes, le génie maudit castré par les producteurs, Mr Orson Welles lui-même, le formidable illustrateur du grand Will : Macbeth, Othello, Falstaff. On voit l’idée, donc : tirer de l’argent chez le grand méchant Apple et concrétiser une nouvelle fois le rêve d’Orson Welles, adapter Macbeth, version arty.

Avec des sous, mais dans le même esprit : décors minimalistes façon Chirico, noir et blanc classieux du chef op’ Bruno Delbonnel et acteurs AAA à tous les étages, Denzel Washington et Frances McDormand en  couple-titre, Brendan Gleeson en Duncan, etc.

Ils sont parfaits les acteurs ; ils arrivent d’un geste à faire comprendre la poésie de Shakespeare, mais ce qui manque, c’est tout simplement du cinéma… On attend plus de Joel Coen, où est-il là-dedans ? Quel est son propos ? Son Macbeth ? Qu’a-t-il gardé ? Qu’a-t-il coupé ? Comment souhaite-t-il raconter son histoire, au delà de filmer des dialogues ? Ses choix de réalisateur restent invisibles.

C’est magnifique, mais c’est du théâtre filmé…




jeudi 23 mai 2024


Oppenheimer, deuxième explosion
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

La lecture, pendant les vacances, du livre de Virginie Ollagnier, Ils ont tué Robert Oppenheimer, a donné au Professore Ludovico (qui a aussi une chaire de Physique Nucléaire à l’Université de Bruyères-Le-Châtel) une brutale envie de revoir le film.

Même si la dernière heure nous avait plutôt convaincus, le Professorino et moi, pourquoi s’infliger trois heures de Nolan ?

Une fois qu’on connaît bien l’histoire, bizarrement, la tendance s’inverse : les deux premiers tiers sont intéressants, en ce qu’ils amènent brillamment tous les éléments du mythe prométhéo-Oppenheimerien (la pomme, le sexe, le communisme) et introduit remarquablement les protagonistes (l’homme, ses femmes, ses collègues, jaloux ou compatissants)

La troisième partie, bizarrement, fonctionne cette fois-ci un peu moins bien. La superposition des auditions d’Oppenheimer/Lewis Strauss, malgré les passages au noir et blanc, sont soudain moins clairs… que le livre d’Ollagnier.

Mais voilà, au cinéma, chaque perception est différente, et ce qui compte dans 99 % des cas, c’est la première fois où l’on reçoit le film. Tant pis si on est mal luné, si on sait tout sur Oppenheimer ou que l’on n’a jamais entendu parler de ce type, si on vient voir Cillian Murphy ou Florence Pugh… C’est comme ça qu’on est censés recevoir un film, tel quel, pas après avoir lu un livre ou vu le film plusieurs fois…




mercredi 22 mai 2024


Barbarella
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Brèves de bobines -Les films ]

Il n’y a pas grand-chose à dire d’un film dont l’unique objectif semble être pour Roger Vadim de filmer sa femme dans toutes les positions possibles, en commençant par un strip-tease spatial. Jane Fonda, on la verra donc dans toutes les positions. Et comme par hasard, souvent humiliée, attachée, mordue. Puis comme c’est lassant au bout d’un moment, ce sera le tour d’Anita Pallenberg, autre top model des sixties.

Dans Barbarella, il n’y a pas de scénario, tout est idiot, et tout est moche. On retiendra juste que le grand méchant Durand Durand a donné son nom un groupe rigolo des années 80.




jeudi 16 mai 2024


Le Problème à Trois Corps
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Comme on dit, il n’y a pas de gens, il y a juste des systèmes. D’un côté, le système HBO, qui avec Weiss et Benioff* produit le coup de génie Game of Thrones, au niveau de qualité inégalé, tant sur le plan du scénario, des décors, et de la mise en scène, de la maturité générale du propos.

On prend les mêmes chez Netflix, et ça sort Le Problème à Trois Corps. Tout le contraire, en fait : immature, bizarrement adapté – paraît-il -du roman d’origine, et bourré d’erreurs à tous les étages. Erreurs de casting en veux tu en voilà (une actrice très jeune et très jolie en spécialiste des nanofibres absolument pas crédible, un acteur aimé et apprécié de Game of Thrones (John Bradley « Samwell Tarly ») dont on se débarrasse après trois épisodes), des astuces scénaristiques digne d’un film pour ado dans un film prétendument mature, des décors en CGI qui piquent les yeux alors que chaque épisode coûte 20M$…

Au milieu de tout ça, une ou deux fulgurances, deux ou trois acteurs impeccables (Liam Cunningham, Alex Sharp, Benedict Wong) et un personnage et demi (le scientifique malade, le flic bourru…)

Tout ça ne fait pas une série…

* Scénariste établi et respecté depuis longtemps aussi bien dans le blockbuster (Troie, Stay, X-Men Origins: Wolverine,) que dans le film sensible (La 25e Heure, Les Cerfs-Volants de Kaboul, Brothers)




mercredi 15 mai 2024


Le Procès Goldman
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Documentaire -Les films ]

Dès les premières secondes, la cause est entendue. Les plans fixes, format 1:33, le 35 mm : on est dans le fatras intellectuel minimalo-naturaliste, en mode surligné Stabilo. Refaire le procès tel quel, sur la base des transcriptions de l’époque, et où rien ne manque, ni les pantalon patte d’eph, les petites lunettes dorées et les pull multicolores, ni les barbichettes et les chignons, voilà l’ambition cinématographique de Cédric Kahn*.

On subira pendant 1h50 le jeu théâtral des acteurs, qui débitent leur texte à la mitraillette, entrecoupés de silence lourds de sens. À aucun moment, on ne sera touché par un personnage : ni Goldman, ni son avocat, ni ses victimes.  

Kahn crée finalement un genre inédit de documentaire reconstitué avec acteurs, façon Secrets d’Histoire, mais sans Stéphane Bern. Pas de musique, pas de plan d’exposition, pas de mouvements de caméra… La réalité brute, si chère au cinéma français en mal de cinéma.

Ou d’imagination tout court.

* Le réalisateur a notamment déclaré au Monde :  « C’est de la fiction, mais avec beaucoup de vrai » : l’habituelle excuse des rois de l’autofiction, de Yann Moix à Christine Angot.




mardi 14 mai 2024


Usual Suspects
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films -Pour en finir avec ... ]

Comme nous, les films vieillissent…

Regarder aujourd’hui Usual Suspects, c’est voir ce que le temps fait aux films, aux spectateurs, voire aux deux. C’est mesurer bizarrement qu’il y a des films qui vieillissent et d’autres pas. Usual Supects et Heat sont sortis tous deux en 1995 avec des accueils radicalement différents. Usual Suspects a immédiatement été encensé par la critique : « très grand film policier » pour Positif, « plus beau thriller de l’année » pour Télérama. Le film prenait par surprise le spectateur, on y retournait pour démêler le vrai du faux, tâche quasi impossible. Ce fut donc un grand succès public.

Pour Heat, la critique fut plus mesurée : « inégalement réussi » pour Positif, « sorte de film noir « new age », fondé sur une suite de sensations » pour les Cahiers du cinéma, « honnête série B. où Michael Mann a la main lourde » pour Télérama. D’un côté un petit film de 6M$, de l‘autre la grosse machine Hollywoodienne. Les deux, chacun dans leur catégories, furent de beaux succès au box office (67M$ et 187M$).

Trente ans après, la donne critique a changé. Heat est devenu un classique du cinéma, et Usual Suspects un film malin, mais qui a beaucoup vieilli. Le style maniéré des acteurs (qui nous plaisait tant en 1995 !) ne passe plus. Le côté malin de l’intrigue s’est un peu éventé. Avec ses petits décors, le petit budget du film se voit maintenant. En face, Heat est devenu ce monument minéral, imputrescible, classique et éternel.

Life is a bitch.




dimanche 12 mai 2024


Michel Ciment
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Cette chronique aurait dû paraitre à la mort de Michel Ciment, le 13 novembre 2023*. Et puis on est passé à autre chose, les films et les séries se sont empilées, et on a oublié. Pour autant, cette histoire mérite d’être contée. C’était au lycée de Rambouillet, en 1980. Nous avions 15 ans, et un accès extrêmement limité aux films : pas de magnétoscope : le cinéma, c’était à la télé, en direct. La cinéphilie, tard le soir avec le Cinéclub de Claude-Jean Philippe et le Cinéma de minuit de Patrick Brion.

Et en 1980, il y avait ce film qui arrivait, et dont on parlait déjà beaucoup. Shining. Christophe, un ami me dit : « Tu sais, Stanley Kubrick, j’ai un bouquin sur lui, il a fait plein d’autres films, faut que je te montre… »

Rapidement, j’ai acquis ce livre, qui évidemment était le Kubrick de Michel Ciment, un livre qui, je ne le savais pas, était une référence dans l’histoire des livres de cinéma.

Ce livre a tout simplement changé ma vie. Ça peut paraître prétentieux, pourtant presque tout vient de là. Pas seulement la cinéphilie, l’envie de regarder les films dans le cadre d’une œuvre, l’analyse d’un plan, d’une séquence, d’un motif… Ciment était un intellectuel, et un passeur. Son livre incitait à s’intéresser à la musique classique (Beethoven et Orange Mécanique), à la philosophie (Nietzsche et 2001), à la psychanalyse (Bruno Bettelheim et Shining), à l’histoire (Rome, La Guerre de Sept Ans, la Première Guerre Mondiale…)

Ensuite, j’ai compris que ce livre était mondialement connu. En vacances dans le Montana en 2005, j’en ai fait l’expérience en trouvant dans le petit Barnes & Nobles de Missoula, un Hitchcock/Truffaut et le Kubrick de Ciment.

Pourquoi ce livre est-il exceptionnel ? D’abord parce que Kubrick s’est très rarement laissé interviewer. Pourtant, une complicité s’est nouée entre le directeur de Positif et l’ermite de Childwickbury… Ciment comprenait Kubrick, et dans les nombreux interviews-fleuves qu’il lui a consacrés, la proximité intellectuelle se sent. Ciment a lu les livres que Kubrick adapte, il maitrise souvent l’époque historique, ou le genre du film, il connait les problèmes techniques, et ne pose que des questions intelligentes**.

Ensuite, ce livre est un beau livre. Grâce à Kubrick, toutes les photos sont des photogrammes issus des films ; elles respectent le cadre et les couleurs, ce ne sont pas des photos de plateau. D’où l’analyse précise des motifs kubrickiens : le Kubrick stare, ce regard d’en dessous préludant la folie, les perspectives millimétrés de ses travellings, des Sentiers de la Gloire à Eyes Wide Shut, ou la colorimétrie précise de Barry Lyndon, cherchant à reproduire la peinture du XVIII° siècle…

Ensuite, ce que Ciment a fait, et c’est son principal apport, c’est de considérer que Kubrick faisait une œuvre et pas une série de films avec quelques points communs. Qu’il avait des obsessions : le Masque, le Conte de fées, Eros et Thanatos, l’Humanité perdue face à la machine… tout en restant toujours, comme il l’a si justement rappelé dans un Masque et la Plume, du côté des victimes…

Faire œuvre, on pourrait dire cela de plein d’auteurs. Mais si ses films ne sont pas les meilleurs du monde, l’œuvre Kubrickienne est, elle, pleine et entière.

* C’est par ailleurs l’anniversaire du Professore Ludovico. Coïncidence ? Je ne crois pas.

** C’est quoi une question intelligente ? C’est aider un artiste à repérer ses motifs, ses obsessions… Dans une célèbre question dans Première à la sortie de Full Metal Jacket, Ciment interroge Kubrick sur la présence d’un monolithe noir dans la scène de Hué. « Quel monolithe ? », répond  Kubrick, éberlué