mercredi 10 décembre 2014


Interstellar
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il n’y a rien de pire que le génie sous-exploité. Comme si Léonard de Vinci avait consacré sa vie à dessiner Largo Winch, Michel-Ange à la poterie et Victor Hugo au Club des Cinq

Le talent de Christopher Nolan est indiscutable. C’est un grand metteur en scène, un grand directeur d’acteurs. Ses films sont magnifiques (Le Prestige, Insomnia), la musique y est formidable. Mais il semble faire carrière à l’envers : après un premier film excellent (Memento), Nolan, comme le héros de son film, est en train d’échouer à rebours. Ses films sont de plus en plus adolescents, de plus en plus débiles (au sens de du manque de force) sur le fond, tout en étant de plus en plus sublimes sur la forme.

Car Interstellar est magnifique : tout y est indéniablement parfait : acteur, musique, photo. Mais c’est un nanar. Un effroyable et sublime nanar. Tout en squattant une des grandes idées de la science-fiction (dans La Guerre Eternelle, Joe Haldeman pose déjà la question de revenir sur Terre plus jeune que ses enfants), Nolan gâche le travail par son incroyable prétention. Ce qui n’est pas une nouveauté puisque sa série Batman, unanimement salué ici et là, n’est qu’un indigeste pudding où l’on peine à découvrir l’intention artistique, malgré, encore une fois, l’accumulation de talents (Bale, Caine, Ledger).

Le cinéma de Nolan pose, une fois de plus, l’éternel problème de l’ambition artistique. Que veut faire l’Artiste ? Sculpter la plus belle pietà de tous les temps ? Ou faire une statuette pour votre jardin ? L’Artiste est toujours jugé à l’aune de l’ambition affichée. S’il en a peu, on le louera toujours s’il la dépasse (Scott, tendance Tony). Mais s’il dit vouloir faire son Grand Film (Scott, tendance Ridley), il a vraiment intérêt à le réussir.

C’est ce que semble nous dire Nolan dans les vingt premières minutes – remarquables – d’Interstellar. La Terre se meurt, sous les effets du réchauffement climatique. L’Homme refuse de l’accepter, espérant toujours « la prochaine récolte » qui viendra le sauver. Ce début magnifique pose la question ontologique de notre présence dans l’espace infini. Que faisons-nous là, au milieu de « ces noirs océans d’infinitude » selon la belle formule de Lovecraft ? Que se passera-t-il à la fin des temps ? Ou ira l’humanité quand la terre disparaitra ?

Nolan ajoute alors un deuxième enjeu fantastique (le « fantôme » communiquant avec la fille du héros, Cooper, l’astronaute devenu fermier (Matthew McConaughey) … en morse (sic). Et c’est là, en à peine vingt minutes, que Nolan « saute le requin ». Car sans rien révéler, le morse décodé met le père et la fille sur la piste d’une mystérieuse base secrète. Voilà nos héros arrêtés, mis au secret et conduits devant le Grand Patron (Michael Caine, of course) : « Ça tombe bien, nous cherchions à vous contacter… » (resic)

C’est là, vous l’avez compris, que ça devient du Cinéma Adolescent. Interstellar va se couvrir de comédons en quelques minutes. Car le Cinéma Adolescent, c’est le cinéma que l’on peut faire à quinze ans, et à quinze ans seulement : un cinéma qui ose tout, sans recul, sans perspective, sans sagesse, sûr de lui et dominateur, qui se croit tout permis parce qu’il est jeune et beau…

Nolan, c’est cela, un adolescent mégalo à qui Hollywood a confié les clefs de la Mustang sans vérifier s’il avait le permis. Comment lui reprocher ? Le wonderboy rapporte des zillions de dollars avec ses Batman fichus à l’as de pique. Si le petit Christopher veut jouer avec une maquette de Navette Spatiale, on va quand même pas l’en priver…

C’est donc parti pour le Grand Huit interstellaire : Nolan a envie de tout et Hollywood lui donne tout : théorie de la relativité, fermiers dustbowl au bord de la crise de nerfs, temps qui passe, réchauffement climatique, voyage spatial, virée dans le champ de maïs, relation père-fille (x2), paradoxes temporels, explorations planétaires, civilisation extraterrestre en dimensions (reresic)… On mélange tout et ça devient un horrible cake aux fruits indigeste. Après un quart d’heure de ce traitement indigne d’un spectateur adulte, on décroche et on se met alors à chercher à retenir, cruels que nous sommes, les phrases cultes, dites sans rire par des acteurs formidablement bons*.

Le plus drôle restant évidemment les cours de physique quantique, Nolan découvrant les brouillons des frères Bogdanoff** et les filmant tels quels : deux heures cinquante de dialogues abscons qui feraient passer Matrix pour du Labiche. C’est le deuxième indice du pouvoir de Nolan à Hollywood. Qu’aucun producteur ne lui ait demandé de couper dans son salmigondis pseudo-scientifique est tout à fait remarquable.

Le troisième indice de sa mégalomanie galopante est malheureusement assez fréquent à Hollywood : c’est la mégalomanie Kubrickophile. A quarante ans, si t’as pas fait 2001, t’as raté ta vie. Nolan veut faire son Kubrick ; il veut faire son 2001. Mais là où Kubrick (au même âge) invente tout et ne s’embarrasse pas d’explications scientifiques quand il ne peut pas en donner (la Porte des Etoiles, les Extraterrestres, le Monolithe), Nolan surexplique : le Tesseract. Le Trou Noir. Le Trou de Ver. La gravité dans la cinquième dimension au carré de la puissance. Et pompe allègrement dans le répertoire 2001. Un robot intelligent (mais drôle cette fois-ci) qui s’appelle TARS (hé hé, quatre lettres écrites en majuscule)… en forme de monolithe. Ça serait juste pathétique si ce n’était pas l’une des créatures visuellement les plus ridicules de ces dix dernières années (une sorte de Rubiks cube habillé par Paco Rabanne qui se déplie. C’est indescriptible, il faut aller voire Interstellar juste pour ça). Et on passera sur les plans silencieux dans l’espace, le souffle haletant, et tutti quanti

Autre mégalo Kubrickophile, Spielberg devait initialement réaliser Interstellar ; il y a finalement renoncé. Car Spielberg a beaucoup de défauts, mais il sait ce qu’il peut faire, et ce qu’il ne sait pas faire. Il sait jusqu’où faire l’Artiste, et quand il faut s’y arrêter, sous peine de ridicule. Il sait aussi quel âge il a, et quel âge il faut avoir pour faire un film. Qu’il faut avoir trente ans pour faire Les Dents de la Mer et soixante ans pour faire Munich. Et qui comprend à coup sûr que celui qui marche dans les pas de l’autre ne laisse pas de traces.

* Au hasard : « The bulk beings are closing the tesseract »
** En fait le film est co produit par Kip Thorne, un physicien expert de la théorie de la relativité