lundi 1 décembre 2014


Borgia, dernière saison
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Argh ! O rage, ô désespoir. Les bras nous en tombent.

Maniaque as ever, le Professore Ludovico veut finir Borgia. S’en débarrasser, une fois pour toutes. Par respect pour Nicolas Machiavel, Marcel Brion, Ivan Cloulas, tous ces historiens qui ont voulu raconter la geste de Cesare Borgia, Cardinal, Gonfalonier, et Capitaine Général de l’Église.

Mais quel supplice. La troisième et dernière saison est un cauchemar. Un immonde bâclage. La télé pédagogique, façon année soixante. Chaque scène bâtie sur le même modèle : introduction des personnes, bonjour Votre Grâce, bonjour Caterine Sforza. Exposition. Faenza vient d’être reprise. Conclusion. Regard féroce de Cesare, qui menace. Je les tuerais. Scène suivante.

Borgia est un immense gâchis et c’est la faute de Canal, de Canal, et encore de Canal. De l’ego de la chaine payante, comme toujours surdimensionné. Qui veut faire comme les Tudors (histoire + sexe) : ça a marché, ça marchera encore. Qui prend un wonderboy des séries US au chômage, Tom Fontana, Mr Oz, Mr Homicide. Sans se demander pourquoi, justement, il est au chômage. Et va le laisser faire, parce que c’est un Aââârtiste.

Mais les artistes, c’est des fainéants. Même les artistes américains. C’est pour ça qu’on a inventé les Producteurs. Et ça, ça aurait du être le boulot de Canal.

Voir tout ce gâchis est un crève cœur. Un sujet en or. Des acteurs formidables. Une lumière parfaite, éclairant un magnifique travail de déco et de costumes. Le tout gâché par un scénario lamentable et une mise en scène en mode automatique.

Hier, dans l’épisode 1502, arrive l’épisode tant attendu par le Professore, le chapitre 7 du prince. Machiavel y décrit une anecdote à propos de Cesare Borgia, un exemple à suivre si l’on veut bien gouverner*. Le valentinois a confié à l’un de ses homme, Remirro de Orco, mission de pacifier la région de Rome (la Romagne), en proie à de nombreux troubles. Ce qu’il fait, selon sa manière, c’est à dire assez expéditive. Pour montrer qu’il est l’auteur du résultat (la paix et l’ordre) mais qu’il désapprouve la méthode (expropriations et exécutions diverses), il fait tuer son ministre. Un conseil repris depuis – de manière moins sanglante – par tous les gouvernements et conseils d’administration du monde. Un premier ministre, un directeur fait le sale boulot, réforme, licencie, restructure à la hache. Quand il a suffisamment bien travaillé et devient trop haï, on le démet. Sinon, c’est nous (le Président de la République, le PDG) qui sommes haïs.

Tom Fontana adapte cette anecdote en faisant une fois de plus un contresens total: Cesare, horrifié du comportement de son ministre, le fait découper en morceaux. Cesare, homme de valeurs morales. Tout le contraire du Prince qui « doit ne pas se départir du Bien, s’il le peut, mais savoir entrer dans le Mal, si c’est nécessaire« …

A ce moment-là, nous aurions bien mis Tom Fontana à la place de Remirro de Orco. Et nous aurions volontiers accepté « la férocité de ce spectacle », à force de rester devant notre téléviseur « à la fois satisfait et stupide »…

* « Quand le duc eut pris la Romagne, trouvant qu’elle avait été gouvernée par des seigneurs impuissants, qui avaient dépouillé leurs sujets plutôt qu’ils ne les avaient corrigés, et leur avait donné matière à désunion, non à union – si bien que cette province était pleine de brigandages, de querelles, et de toutes sortes d’insolences – il jugea qu’il était nécessaire, pour la rendre pacifique et obéissante au bras royal, de lui donner un bon gouvernement : c’est pourquoi il y préposa messire Remirro de Orco, homme cruel et expéditif, à qui il donna les pleins pouvoirs. Celui-ci la rendit en peu de temps pacifique et unie, pour sa grande réputation.

Après quoi, le duc jugea qu’une autorité si excessive n’était pas nécessaire, parce qu’il craignait qu’elle ne devint odieuse, et il établit au centre de la province un tribunal civil avec un président excellent, où chaque cité avait son avocat.

Et comme il savait que les rigueurs passées avaient engendré quelque haine, afin de purger les esprits et de se les gagner complètement, il voulut montrer, que s’il y avait eu quelque cruauté, elle n’avait pas été causée par lui, mais par la nature violente du ministre. Et prenant aussitôt cette occasion, il le fit un matin, à Cesena, mettre en deux morceaux sur la place, avec un billot de bois et un couteau ensanglanté à côté de lui : la férocité de ce spectacle fit que le peuple resta à la fois satisfait et stupide. »