Bon, les gars, c’est quoi votre truc avec James Bond ? D’où vient cette passion aveuglante, débilitante, autour de l’agent 007 ? Pourquoi les meilleurs esprits perdent tout sens commun, tout goût cinéphilique, toute élémentaire capacité de jugement dès qu’il s’agit de Mister Bond ? Comment concilier une passion pour Le Trône de Fer, The Wire, Les Sopranos, l’œuvre de Moebius, les écrits de James Ellroy, de Howard Philips Lovecraft, les films de Kubrick et de Lynch, les chansons de Jagger/Richards, j’en passe et des meilleures, et les aventures pathétiques de l’agent 007 ?
Moi, je déteste James Bond. Pire, je l’ignore.
Pour moi, la franchise a toujours été minable, et son succès, incompréhensible.
C’est pourquoi j’avais jeté un regard amical – et surpris – au reboot. Casino Royale ou Quantum of Solace avait le mérite de nettoyer tout ça et de proposer un nouveau départ. Mais là, le ciel nous tombe sur la tête.
Comment en effet, gaspiller autant de talents au service d’une histoire aussi ridicule ? Car du talent, il y en a. Sam Mendes, d’abord, que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, mais qui fait là preuve d’une véritable compétence, tant dans les scènes d’action que dans la direction d’acteur, et dans l’émotion brute, composante rare dans l’univers flemingien.
Les comédiens ensuite, qui sont tous excellents, à commencer par Daniel Craig, immense dans la première partie du film. Et la déco. Et les cascades. Et les images, exceptionnelles, qui – malgré tout – vont rester dans nos têtes, comme par exemple Javier Bardem courant dans le crépuscule d’une maison en flammes.
Mais tout cela est mis au service d’une histoire ridicule, un scénario à la San Ku Kai ou à Goldorak, ce que le Professore appelle le cinéma enfantin.
D’où sort une intrigue aussi minable, si ce n’est d’une cour d’école primaire ? Qui d’autre, à part un enfant de sept ans, peut créer un méchant aussi pathétique que Javier Bardem ? Affublé de la pire perruque de la franchise, dont Nicolas Cage ne voudrait même pas, le blondinet Tiago Rodriguez a pour ambition de dominer le monde. Tiago veut aussi se venger du MI6, car c’est un ancien des services secrets, et M l’a « trahi ».
Et plutôt que de la tuer d’une balle de 45 dans la tête, comme John McLane le ferait en toute simplicité, le blondinet préfère faire sauter une bombe dans le bureau de M quand elle n’est pas là, pour attirer l’attention des médias sur le fait qu’il a en sa possession l’identité de tous les agents de l’OTAN infiltrés dans des organisations terroristes, ce qui va amener le gouvernement anglais à convoquer M à une audience publique à Westminster, et ce sera donc plus facile de la tuer (il y aura dix fois plus de gardes, NDLR). Entre temps, James Bond, attiré par un mystérieux jeton de casino trouvé sur un type qu’il vient de tuer à Shanghai, se rendra à Macao et arrêtera Tiago (mais en fait, c’est fait exprès), pasque Tiago, il a tout prévu, et justement, quand il s’échappera par les égouts de l’ancien bunker de Churchill (puisqu’il a détruit les locaux du MI6, vous suivez ?), il aura placé une bombe pile là où James Bond se tiendra, et comme ça 007 prendra une rame de métro sur la tête qui arrivera pile au bon moment. Entre temps, Tiago se sera déguisé en policier parce que deux types à l’attendront pile à la bonne station…
Oui, je spoile, et j’en ai rien à foutre.
Le reste sera tout aussi grotesque : l’évasion vers l’Ecosse pour se retrouver seul contre tous (sic), l’assaut tout en finesse des tueurs chevronnés (tous en ligne, comme dans Barry Lyndon), la maison qui explose, l’hélicoptère, l’Aston Martin, etc., etc.
Dommage, parce que la première demi-heure de Skyfall est extraordinaire. Une formidable poursuite, une James Bond Girl enfin crédible (Naomie Harris), la mort de James Bond et sa difficile résurrection. Et une remise en cause passionnante de l’espionnage à papa, où Craig, Fiennes et Dench excellent. Sans parler de la scène d’anthologie à Shanghai, où Sam Mendes en appelle aux mânes d’Orson Welles, et à la scène aux miroirs de La Dame de Shanghai.
Voilà ce qu’aurait pu être James Bond, dans les mains d’un auteur, et ce, qu’évidemment, il ne sera jamais.