lundi 25 juin 2012


Petit cours de montage
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

C’est un fait peu connu, mais le Professore a eu une véritable carrière cinématographique. Essentiellement, avouons-le, dans le Super8. J’entends déjà des rires au fond de la salle, mais le Super8, c’est l’école même du cinéma, un Hollywood miniature. Et les plus grands – pas seulement le Professore – sont passés par là : Spielberg, Coppola, etc.

En dehors d’apprendre la lumière, le cadrage, et – dernière dictature du monde civilisé – la direction d’acteur, le Super8 permet de découvrir le véritable Art du Cinéma, j’ai nommé le montage. Pour avoir passé des soirs entiers à couper une petite bande de celluloïd de 8mm de large, avec mon monteur fétiche (James Malakansar) et ma prof de montage (Dolly Kastenbaum), à poncer puis encoller, pour découvrir ensuite le résultat sur une visionneuse, je peux vous assurer que c’est ce qui vous rapproche le plus de Martin Scorcese et de Thelma Schoonmaker.

Car si la magie du cinéma repose, depuis le XIXème siècle, sur ces vingt-quatre images par secondes, cette cadence qui le rend indétectable à l’œil nu, le montage ne supporte pas l’approximation : couper une image de plus ou de moins fait la différence. Ça se voit. Aujourd’hui, me direz-vous, on monte en numérique, mais le résultat est le même, et les lois du montage s’appliquent toujours.

Deux exemples.

D’abord, on « double » toujours un mouvement. Si Mike Hammer ouvre une porte, on prend ce mouvement en plan large, et on reprend ce mouvement en gros plan. Sinon, l’œil est troublé, et le cerveau s’en rend compte. Cela peut être voulu, pour justement provoquer ce trouble (chez Lynch ou Lars von Trier, par exemple).

Autre loi, on ne coupe un plan que sur une action bien identifiable à l’écran. Par exemple, sur un plan fixe d’un personnage silencieux, on attend qu’il cligne de l’œil, ou qu’il détourne son regard, pour couper.

Deux lois que semblent ignorer les monteurs d’Un Village français. Exemples pris dans un épisode vu hier avec le Professorino.

Avant le prégénérique, une scène très importante résout le cliffhanger de la saison précédente. Gros plan sur la stupéfaction de l’actrice. Paf ! On coupe et on lance le tonitruant générique d’Ein Französisch Dorf, au lieu de laisser au spectateur le temps de goûter à cet effet de stupeur. On aurait pu aisément raccourcir la ridicule intrigue de l’exposition de peinture de Madame Larcher pour nous offrir une ou deux précieuses secondes ici.

Autre exemple, trente minutes plus tard. L’inspecteur Marchetti, qui devient un personnage clef de la série par sa troublante ambiguïté, est en planque sur une place de Villeneuve. Objectif : piéger un jeune résistant grâce à son amoureuse, arrêtée la veille par la police vichyste. Le piège fonctionne et Marchetti croise le regard de la jeune fille au moment où celle-ci trahit le jeune homme. Un pur moment de tragédie, qui répond en chœur aux propres errements de Marchetti, collabo, maréchaliste, mais amoureux d’une juive et assailli par le doute. Evidemment, cet échange doit durer, voire être souligné musicalement. Mais non, on coupe brusquement, à contre temps.

Il ne s’agit pas ici de pinailler, mais bien d’excellence du geste, une question fondamentalement artistique : une fausse note, un mot maladroit, un trait hésitant, le béotien s’en rend souvent plus compte qu’un mauvais montage cinéma…

Pendant ces maladresses, je me suis mis à rêver tout haut à Lost, le contraire absolu d’Un Village Français : une série écervelée, mais exécutée avec tellement de talent.

Il vous suffit d’imaginer ces mêmes scènes avec Kate, Sawyer et Jack pour comprendre le fossé technique qui sépare ces antipodes de la production…