lundi 26 mars 2012


Cloclo
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

La théorie se vérifie ; moins on en sait, plus le biopic est bon.

Ainsi, Cloclo : on a beau avoir, au mitan des années soixante dix, découpé les photos Claude François dans Podium avec la voisine portugaise, porté les mêmes pantalons pattes d’eph’ en velours aux mariages des cousins, vu les parents danser sur Magnolias for Ever, on ne sait rien sur le Michael Jackson français. Ma génération est passée à côté du mythe, même si elle n’a pas été épargnée par les chansons ou les strings en cuir des Clodettes.

A l’époque (75-78), Claude François détonnait dans le reste de la production : Lenorman était sympa, Sheila était gentille, et son mari Ringo, trop beau, Sardou faisait la gueule en inventant le créneau de chanteur engagé de droite, Carlos faisait le rigolo avec les amis américains (Dassin, Shuman), sans parler de la famille royale (Jonisylvi)…

Mais Cloclo, c’était autre chose. Trop maquillé, Claude François avait l’air d’une poupée de plastique : GI Joe androgyne pour un spectacle camp, un rocky horror show extraterrestre avec androïde blond, plus terrifiant que le Roy Batty de Blade Runner… On était « impressionné » par les danseuses, et vaguement terrifié par lui. Trop beau pour être vrai. Je me rappelle ainsi que sa mort m’avait surpris, mais pas ému.

C’est donc la tête vide, mais prête à la nostalgie, que j’ai attaqué le biopic de l’année dans mon cinéma de quartier, dimanche soir.

A vrai dire Cloclo a tout pour déplaire. Comme d’habitude (eh oui !), le biopic, dûment validé et produit par les fils François, déroule les Grands Moments du Martyr de St Claude. L’Enfance Dorée à Suez, Le Départ Précipité, les Débuts Difficiles, les Premiers Succès, la Rencontre du Mentor (Paul Ledermann), Les Femmes de sa Vie, la Déchéance.

Comme d’habitude, l’acteur-titre est exceptionnel : ici, Renier endosse tous les Claude François avec un naturel saisissant, et comme d’habitude, les seconds rôles font pâle figure.

Mais, bizarrement la machine à énerver le Professore ne s’enclenche pas. Car Florent Emilio Siri (Nid de Guêpes, L’ennemi Intime) défend sa thèse, assez lourdement il est vrai : la recherche du père. Claude François essaie d’abord de plaire au sien, caricature de fonctionnaire coincé, puis tente de séduire des pères de substitution (Jacques Revaux, Paul Lederman) et n’ose pas bluffer le père de la profession (Sinatra), en lui fournissant pourtant l’une des plus grandes chansons (My Way – Comme d’habitude).

Deuxième finesse, Siri laisse entendre, plutôt finement pour le coup, que les chansons un peu bébêtes de CF ferait matière d’autobiographie. Ce qui fait qu’il emporte la mise sur le final dont – évidemment –  on ne dira rien ici.

Il reste à démêler la part de nostalgie dans l’appréciation de cet étrange biopic mutant. Une interrogation subsiste pourtant, à la fin du film. Quel notre rapport, nous français, avec le Succès ? Et nous, qui prônons ici la perfection US face à l’amateurisme parfois glandeur du cinéma français ? Avec la carrière de Claude François, nous faisons face à une étrange perfection : talent, travail, abnégation, perfectionnisme… pourquoi tant de haine, alors ? Aucun chanteur français n’a connu un tel succès : 67 millions de disques vendus, 1200 concerts, et des chansons qui résonnent encore aujourd’hui. Ce n’est pas faire injure à Sardou, à Lenorman, Hallyday, de dire que des chansons de la même période ne tiennent pas aussi bien la rampe que celles de « Cloclo », le seul véritable entertainer français, cumulant « à l’américaine » danse, show, girls, musique… à l’image de Motown (dans laquelle il pompa allègrement 3/4 de ses chansons)… Pourquoi vénérer tout Motown et mépriser tout Claude François ? Magnolias For Ever ne vaut-il pas It’s Raining Men ?

Le mérite du film est de refuser de faire l’impasse sur les défauts de l’artiste (infantilisme, mauvais goût, mégalomanie, méchanceté, machisme, mauvais père…), tout en nous réconciliant avec le monument Claude François.