dimanche 25 mars 2012


Possessions
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

C’est l’histoire d’un BOATS réussi, l’histoire d’un réalisateur qui ne se laisse pas influencer par l’Histoire, mais qui au contraire bâtir sa propre histoire. Le réalisateur, c’est Eric Guirado, auteur du déjà talentueux Fils de l’Epicier.

Ici, Guirado aurait pu couler avec la reconstitution (c’est de l’affaire Flactif dont il s’agit), il aurait pu se faire manger tout cru par le cast (Jérémie Renier, Julie Depardieu, Lucien Jean-Baptiste, Alexandra Lamy), trembler devant le budget (3 fois le Fils de l’Epicier). Mais non, Guirado est sur sa ligne droite, comme le pauvre Bruno Caron (Renier).

Rappelons les faits : une famille de prolos (les Caron, donc, Jérémie Renier, et Julie Depardieu) déménage du Nord aux Alpes, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils sont accueillis par la famille Castang (Lucien Jean-Baptiste, Alexandra Lamy), qui leur loue un appartement. Patrick Castang est promoteur immobilier, il construit des chalets de luxe dans la vallée. Comme leur appartement n’est pas prêt, il leur met à disposition un de ses chalets, et engage Maryline comme femme de ménage. C’est le sommet de leur relation, car tout le reste ne va être qu’une inéluctable descente aux enfers. C’est ce que filme parfaitement Guirado ; la lente série d’humiliations sociales, (pourtant bien légères) que vont subir les Caron, et qui va nourrir une fureur meurtrière.

Et c’est là qu’Eric Guirado est particulièrement habile : les riches ne sont pas caricaturés, ils sont même plutôt pastelisés : croyant faire le bien autour d’eux, ils ne peuvent pas voir que chacune de leurs actions n’est qu’un pas de plus vers le massacre. Du fils qui bat Renier à un jeu de bagnoles sur Playstation (alors que justement, la bagnole, c’est le point fort de Bruno Caron), aux cadeaux d’Alexandra Lamy vécus comme une aumône, tout fait sens pour le couple paranoïaque. Et de ce côté-là, Guirado n’hésite pas à charger la barque. Incultes, moches, mal habillés, apôtres de la malbouffe (raviolis en boite, McDo et pizzas), Guirado ne commet pas l’erreur commune du cinéma français, c’est-à-dire faire l’apologie de la classe ouvrière, parce qu’elle ne la connaît pas.

Non, Guirado enlaidit au contraire psychologiquement ses personnages (frustrations diverses, sexuelles ou financières), et visuellement (le bide de Rénier, le maquillage de Depardieu). La reconstitution est tout aussi implacable (fringues Tachini et Golf GTI tunée). En les montrant comme ils sont, c’est le plus beau cadeau qu’il puisse leur faire ; quelque part, Guirado les respecte mieux que la plupart des films français et réussit à créer de l’empathie pour ces meurtriers qui n’ont rien pour eux, dans tous les sens du terme.

Quand l’insupportable survient, Guirado a aussi l’intuition de filmer a minima le massacre, pour ne pas tomber dans le film US. Possessions n’est pas un film sur les victimes, mais un film sur les meurtriers. On regrettera même que cela ne dure pas plus, pour assister à l’emménagement des Caron dans l’appartement des victimes, aux interrogatoires de police où Bruno Caron/David Hotyat mentira effrontément, évoquant les « Mystérieux Hommes en Noir » qui l’auraient forcé à commettre le meurtre…

Mais la grande réussite de Possessions, c’est justement de s’être affranchi des faits. Guirado a une thèse, et il la défend. Sa thèse, c’est que la femme (toute à ses frustrations) a entraîné un mari faible vers l’apocalypse finale. Est-ce vrai? Peu importe. Qui sait ce qui se joue vraiment dans un couple ? Guirado a cette idée, s’y tient, se moque de la réalité : il préfère filmer la petite Caron, émerveillée, devant une descente aux flambeaux.