mercredi 3 janvier 2007


« Nice guy for a brit »
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

C’est par cette phrase, assénée à ma compagne lors d’une fête aux Etats-Unis, que j’ai compris la haine tenace qui liait les américains aux anglais. Dans le contexte, il s’agissait juste d’étudiants, et l’étudiant anglais, finalement, était un nice guy… Mais ici, on parle de cinéma et particulièrement de cinéma américain. La question n’est pas innocente, puisque le cinéma, ce n’est juste que l’extension visible de nos psychés nationales, de nos problèmes du moment, ou de nos névroses d’hier. Le cinéma français est bourgeois, et ce n’est pas pour rien. Le cinéma US, lui, ne veut pas parler de son histoire, mais le fait indirectement, au travers de son cinéma le plus commercial.

S’impose alors une évidence toute simple : l’ennemi, c’est l’anglais. Pas l’ennemi physique (aucun film ne se propose d’envahir la Grande Bretagne et de venger les persécutés du Mayflower !). Non, il s’agit de l’ennemi intérieur, le brit qui est en nous.

Donc, la conséquence sur la production US est simple, l’ennemi sera… joué par des anglais. Un exemple récent, Pirates des Caraïbes , illustre parfaitement ce propos : les héros sont joués par des américains (Johnny Depp, Orlando Bloom), les méchants par des anglais (Christopher Norrington, Jonathan Pryce). Les héros, l’un gentil, l’autre gentil-roublard, sont en butte aux persécutions permanentes des anglais. Pourtant, ils se comportent « bien » : ils tentent de sauver une jeune fille, de trouver des solutions, etc. Bref, ils sont dans l’action, constructifs, américains. Les anglais sont lâches, idiots, velléitaires. Européens.

Quelques exemples : Johhny Depp vient de sauver sa fille (« Tuez le ! » dit le gouverneur, peu reconnaissant). Orlando Bloom se propose de partir à la poursuite des pirates qui l’ont enlevé « Vous n’êtes ni marin, ni militaire, monsieur Turner, vous n’êtes qu’un Forgeron ! ».

Cette phrase d’apparence anodine révèle toute l’opposition des deux cultures. Les USA se prétendent société sans classe : le plus riche des PDG se balade en jean et aime bien manger son burger. En Europe, au contraire, on vient d’une société de castes. Nous avons eu la noblesse, et la différenciation que cela suppose. On admet donc que les classes sociales existent, et même, on crée des conventions qui régissent ces classes*. Ainsi, le pirate Barbossa convie la jolie Keira Knightley à dîner avec lui. D’ascendance noble, elle pique précautionneusement avec sa fourchette le bout de poulet qu’on lui tend. Mais quand Barbossa lui dit qu’il n’y a personne à impressionner ici, que les conventions sont inutiles, elle se met à dévorer gloutonnement, à pleines mains, sa cuisse de poulet. Prouvant, par là, qu’elle est une vraie héroïne. Américaine. Le reste du film est ainsi parsemé d’humiliations anti-britanniques diverses, ou les Habits Rouges se prennent trempe sur trempe, tout en se ridiculisant à chaque fois.

Mais Pirates des Caraïbes n’est pas un exemple isolé : Alan Rickman a joué le méchant dans Die Hard, Robin des Bois et Harry Potter. Dans Star Wars, l’empereur est joué par Ian McDiarmid, un acteur écossais. Ian McKellen joue le méchant dans X-Men, et Da Vinci Code, etc.

On le voit, cela ne touche que la production à grand spectacle, mais c’est bien celle qui touche le plus les américains.

* c’est d’ailleurs tout l’exercice de déconstruction auquel se livre Borat, notamment dans la scène du repas.