samedi 31 mars 2012


La Chose d’un Autre Monde
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

On évite en général à CineFast d’utiliser le mot « séminal ». On va l’utiliser ici, parce qu’il est difficile de mieux définir The Thing from Another World autrement. Petit film (87 mn) de 1951, produit par Howard Hawks, probablement réalisé par lui (mais signé de son assistant, Christian Nyby), La Chose fait partie des films cultes. Il ne casse pourtant pas deux pattes à un canard : pas d’acteur connus, des effets spéciaux faméliques, une histoire pas franchement prise au sérieux. En deux mots : un truc (a thing) est tombée au pôle nord. Un aviateur décolle de l’Alaska pour enquêter à la base arctique. Il en profite pour dragouiller la séduisante secrétaire du Professeur Carrington*. Pendant ce temps, ils découvrent une soucoupe volante, la font malencontreusement sauter (et ça les fait plutôt rigoler !) mais ils récupèrent une créature (le pilote ?) à moitié congelée. La bête va se réveiller, bouloter deux ou trois militaires, apitoyer le Pr Carrington (tous des cocos inconscients, ces scientifiques !), puis être vaincue… On le voit, pas de pattes, mêmes issues d’un canard mutant, à casser…

Pourtant, l’héritage est immense : The Thing, de Carpenter, autrement plus psychotique (l’ennemi est intérieur !), mais aussi Alien (les couloirs, le compteur Geiger), X-Files, une flopée de films 50’s (Invasion Diverses de Profanateurs de Sépultures Venus du fond de l’Espace). Et une autre flopée de films arctiques : de pauvres humains coincés au pôle (Alien vs Predator, Whiteout, sans contact radio et servant de mangeaille à la vermine extraterrestre (le téléfilm A Cold Night’s Death, (Terreur dans la montagne) par exemple).

C’est aussi un plaisir personnel : revoir enfin cette scène qui me hante depuis 1980, quand la bête défonce la porte, et, arrosée d’essence, se met à  flamber…

*avec une petite scène SM, quand même : Margaret Sheridan attachant Kenneth Tobey et lui donnant à manger à la petite cuiller vaut le détour




mardi 27 mars 2012


Un Village Français, saison 4 (1942)
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Comme d’habitude, France 3 lance dans la plus grande discrétion son meilleur programme à ce jour.

Battons donc le rappel à sa place : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? »

Un Village Français, c’est ce soir (et tous les mardis) à 20h35, deuxième épisode à 21h30.




lundi 26 mars 2012


Cloclo
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

La théorie se vérifie ; moins on en sait, plus le biopic est bon.

Ainsi, Cloclo : on a beau avoir, au mitan des années soixante dix, découpé les photos Claude François dans Podium avec la voisine portugaise, porté les mêmes pantalons pattes d’eph’ en velours aux mariages des cousins, vu les parents danser sur Magnolias for Ever, on ne sait rien sur le Michael Jackson français. Ma génération est passée à côté du mythe, même si elle n’a pas été épargnée par les chansons ou les strings en cuir des Clodettes.

A l’époque (75-78), Claude François détonnait dans le reste de la production : Lenorman était sympa, Sheila était gentille, et son mari Ringo, trop beau, Sardou faisait la gueule en inventant le créneau de chanteur engagé de droite, Carlos faisait le rigolo avec les amis américains (Dassin, Shuman), sans parler de la famille royale (Jonisylvi)…

Mais Cloclo, c’était autre chose. Trop maquillé, Claude François avait l’air d’une poupée de plastique : GI Joe androgyne pour un spectacle camp, un rocky horror show extraterrestre avec androïde blond, plus terrifiant que le Roy Batty de Blade Runner… On était « impressionné » par les danseuses, et vaguement terrifié par lui. Trop beau pour être vrai. Je me rappelle ainsi que sa mort m’avait surpris, mais pas ému.

C’est donc la tête vide, mais prête à la nostalgie, que j’ai attaqué le biopic de l’année dans mon cinéma de quartier, dimanche soir.

A vrai dire Cloclo a tout pour déplaire. Comme d’habitude (eh oui !), le biopic, dûment validé et produit par les fils François, déroule les Grands Moments du Martyr de St Claude. L’Enfance Dorée à Suez, Le Départ Précipité, les Débuts Difficiles, les Premiers Succès, la Rencontre du Mentor (Paul Ledermann), Les Femmes de sa Vie, la Déchéance.

Comme d’habitude, l’acteur-titre est exceptionnel : ici, Renier endosse tous les Claude François avec un naturel saisissant, et comme d’habitude, les seconds rôles font pâle figure.

Mais, bizarrement la machine à énerver le Professore ne s’enclenche pas. Car Florent Emilio Siri (Nid de Guêpes, L’ennemi Intime) défend sa thèse, assez lourdement il est vrai : la recherche du père. Claude François essaie d’abord de plaire au sien, caricature de fonctionnaire coincé, puis tente de séduire des pères de substitution (Jacques Revaux, Paul Lederman) et n’ose pas bluffer le père de la profession (Sinatra), en lui fournissant pourtant l’une des plus grandes chansons (My Way – Comme d’habitude).

Deuxième finesse, Siri laisse entendre, plutôt finement pour le coup, que les chansons un peu bébêtes de CF ferait matière d’autobiographie. Ce qui fait qu’il emporte la mise sur le final dont – évidemment –  on ne dira rien ici.

Il reste à démêler la part de nostalgie dans l’appréciation de cet étrange biopic mutant. Une interrogation subsiste pourtant, à la fin du film. Quel notre rapport, nous français, avec le Succès ? Et nous, qui prônons ici la perfection US face à l’amateurisme parfois glandeur du cinéma français ? Avec la carrière de Claude François, nous faisons face à une étrange perfection : talent, travail, abnégation, perfectionnisme… pourquoi tant de haine, alors ? Aucun chanteur français n’a connu un tel succès : 67 millions de disques vendus, 1200 concerts, et des chansons qui résonnent encore aujourd’hui. Ce n’est pas faire injure à Sardou, à Lenorman, Hallyday, de dire que des chansons de la même période ne tiennent pas aussi bien la rampe que celles de « Cloclo », le seul véritable entertainer français, cumulant « à l’américaine » danse, show, girls, musique… à l’image de Motown (dans laquelle il pompa allègrement 3/4 de ses chansons)… Pourquoi vénérer tout Motown et mépriser tout Claude François ? Magnolias For Ever ne vaut-il pas It’s Raining Men ?

Le mérite du film est de refuser de faire l’impasse sur les défauts de l’artiste (infantilisme, mauvais goût, mégalomanie, méchanceté, machisme, mauvais père…), tout en nous réconciliant avec le monument Claude François.




dimanche 25 mars 2012


Possessions
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

C’est l’histoire d’un BOATS réussi, l’histoire d’un réalisateur qui ne se laisse pas influencer par l’Histoire, mais qui au contraire bâtir sa propre histoire. Le réalisateur, c’est Eric Guirado, auteur du déjà talentueux Fils de l’Epicier.

Ici, Guirado aurait pu couler avec la reconstitution (c’est de l’affaire Flactif dont il s’agit), il aurait pu se faire manger tout cru par le cast (Jérémie Renier, Julie Depardieu, Lucien Jean-Baptiste, Alexandra Lamy), trembler devant le budget (3 fois le Fils de l’Epicier). Mais non, Guirado est sur sa ligne droite, comme le pauvre Bruno Caron (Renier).

Rappelons les faits : une famille de prolos (les Caron, donc, Jérémie Renier, et Julie Depardieu) déménage du Nord aux Alpes, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils sont accueillis par la famille Castang (Lucien Jean-Baptiste, Alexandra Lamy), qui leur loue un appartement. Patrick Castang est promoteur immobilier, il construit des chalets de luxe dans la vallée. Comme leur appartement n’est pas prêt, il leur met à disposition un de ses chalets, et engage Maryline comme femme de ménage. C’est le sommet de leur relation, car tout le reste ne va être qu’une inéluctable descente aux enfers. C’est ce que filme parfaitement Guirado ; la lente série d’humiliations sociales, (pourtant bien légères) que vont subir les Caron, et qui va nourrir une fureur meurtrière.

Et c’est là qu’Eric Guirado est particulièrement habile : les riches ne sont pas caricaturés, ils sont même plutôt pastelisés : croyant faire le bien autour d’eux, ils ne peuvent pas voir que chacune de leurs actions n’est qu’un pas de plus vers le massacre. Du fils qui bat Renier à un jeu de bagnoles sur Playstation (alors que justement, la bagnole, c’est le point fort de Bruno Caron), aux cadeaux d’Alexandra Lamy vécus comme une aumône, tout fait sens pour le couple paranoïaque. Et de ce côté-là, Guirado n’hésite pas à charger la barque. Incultes, moches, mal habillés, apôtres de la malbouffe (raviolis en boite, McDo et pizzas), Guirado ne commet pas l’erreur commune du cinéma français, c’est-à-dire faire l’apologie de la classe ouvrière, parce qu’elle ne la connaît pas.

Non, Guirado enlaidit au contraire psychologiquement ses personnages (frustrations diverses, sexuelles ou financières), et visuellement (le bide de Rénier, le maquillage de Depardieu). La reconstitution est tout aussi implacable (fringues Tachini et Golf GTI tunée). En les montrant comme ils sont, c’est le plus beau cadeau qu’il puisse leur faire ; quelque part, Guirado les respecte mieux que la plupart des films français et réussit à créer de l’empathie pour ces meurtriers qui n’ont rien pour eux, dans tous les sens du terme.

Quand l’insupportable survient, Guirado a aussi l’intuition de filmer a minima le massacre, pour ne pas tomber dans le film US. Possessions n’est pas un film sur les victimes, mais un film sur les meurtriers. On regrettera même que cela ne dure pas plus, pour assister à l’emménagement des Caron dans l’appartement des victimes, aux interrogatoires de police où Bruno Caron/David Hotyat mentira effrontément, évoquant les « Mystérieux Hommes en Noir » qui l’auraient forcé à commettre le meurtre…

Mais la grande réussite de Possessions, c’est justement de s’être affranchi des faits. Guirado a une thèse, et il la défend. Sa thèse, c’est que la femme (toute à ses frustrations) a entraîné un mari faible vers l’apocalypse finale. Est-ce vrai? Peu importe. Qui sait ce qui se joue vraiment dans un couple ? Guirado a cette idée, s’y tient, se moque de la réalité : il préfère filmer la petite Caron, émerveillée, devant une descente aux flambeaux.

 




jeudi 22 mars 2012


Harvey Milk
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Quelle mouche a donc piqué Notre Agent au Kremlin ? Après avoir été retournée par les communistes (J. Edgar), la voila devenue passionaria de la cause homosexuelle. Ou partage-t-elle (honteusement, comme le Professore) une adoration sans faille pour Sean Penn ?

Car il faut l’aimer très fort notre Sean, pour se taper les 120 mn d’Harvey Milk ! 120 mn de propagande, de feelgood dégoulinant, d’images d’Epinal sur la cause homosexuelle, sans la moindre distance, le moindre humour…

Heureusement, il y a Sean Penn, impérial comme toujours, encore plus impérial que jamais, qui surnage au milieu de performances sans âme. Notre Sean à nous est là, omniprésent à l’écran, et c’est tant mieux.




lundi 19 mars 2012


Le Pont de la Rivière Kwai
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Avec le temps, une GCA multi-oscarisée devient un film d’auteur. On se gargarise aujourd’hui avec David Lean, mais ses films étaient des superproductions Hollywoodiennes, les vrais auteurs de l’époque (Welles entre autres) essayaient d’imposer des films autrement plus difficiles.

Mais Le Pont de la Rivière Kwai, c’est justement l’exemple de la GCA qui a bien tourné, comme d’autres films le feront un jour, ceux de Spielberg par exemple.

Le revisionnage de cette madeleine familiale le confirme (Le Pont de la Rivière Kwai fait partie de la petite dizaine de films que j’ai pu voir en salle avant d’avoir 15 ans)

Ça commence comme une GCA, un film où l’héroïsme a le beau rôle, et le héros semble s’appeler Alec Guiness. Le colonel Nicholson, en effet, résiste au méchant colonel japonais Saïto, qui le détient prisonnier dans un camp de Birmanie. Saïto tue ses prisonniers à petit feu en leur imposant la construction d’une voie de chemin de fer, et d’un pont sur la rivière Kwai. Mais Nicholson (Guiness) ne fléchit pas : les officiers ne doivent pas travailler, la Convention de Genève l’exige.

En contrepoint, Shears, un capitaine de frégate américain, réussit à s’évader. Il manque de mourir mais finit par être recueilli par l’armée anglaise. Une fois sur pied, on lui demande de retourner sur la rivière Kwai, pour détruire le pont. Mais Shears est un lâche, il fait tout pour se soustraire à cette tâche, et pourtant, paradoxalement, devient le héros du Pont de la Rivière Kwai. Car entre temps, le colonel Nicholson a gagné, et pété les plombs. Non content d’avoir soustrait ses officiers au travail forcé, il veut donner une leçon à Saïto, sur la supériorité occidentale : il va bâtir le pont, et le bâtir bien. Malgré l’opposition de son médecin-chef, qui tente de lui faire prendre conscience du risque de collaboration avec l’ennemi.

C’est là le génie du film de David Lean. Il réussit quelque chose de rare ; nous faire changer de point de vue au milieu du film. Tandis que Shears apparaît de plus en plus héroïque, Nicholson incarne l’absurdité de la guerre, et également, l’absurdité anglaise. Car évidemment, comme dans toute bonne GCA, les « méchants » sont anglais, et les « gentils » sont américains (Shears), écossais (le medecin-chef) ou canadiens (le jeune commando héroïque). Une vérification supplémentaire du brit-bashing en vigueur à Hollywood.

La scène de fin est de toute beauté, vingt minutes de silence absolu pendant le sabotage du pont, une technique osée mais qui nous met dans l’eau, avec les commandos. Et un final ambigu, qui laisse la part belle à l’interprétation : rédemption du colonel Nicholson ou simple hasard ? En tout cas le pont saute et tout le monde meurt.

« Madness ! Madness! » Le film s’achève comme il avait commencé, par un oiseau, et des morts.




vendredi 16 mars 2012


Jurassic Park 2, Le Monde Perdu
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films -Les gens ]

S’il devait rester un seul film pour démontrer le génie de Steven Spielberg, ce serait sûrement celui-là. Car Jurassic Park, 2ème du nom, n’a a priori rien pour lui : pas de background historique qui vous pose un homme (La Liste Schindler, Amistad, Munich), pas d’acteur-phare consensuel (Tom Hanks dans Il Faut Sauver le Soldat Ryan), pas de concept-hero qui déchire (Indiana Jones), ou de magie de l’enfance (E.T.), pas de suburb américaine (La Guerre des Mondes) ou de monstres captivants (Rencontres du 3ème Type), pas de révolution technologique (la 3D de Jurassic Park) ; non, Le Monde Perdu n’a rien pour lui. Juste une volonté : faire du pognon, vendre des jouets, sucer la moelle de la franchise jusqu’à l’os.

C’est là que l’incroyable talent de Spielberg se manifeste, en magnifiant cette feuille de route vaste comme un ticket de métro. Un talent omniprésent, de la mise en scène au scénario (signé David Koepp), des acteurs principaux (Jeff Goldblum) aux seconds rôles (Julianne Moore, Pete Postlethwaite, Peter Stormare…)

Commençons justement par les acteurs. Dans Jurassic Park, Goldblum jouait le rôle du sidekick de luxe. Dans Le Monde Perdu, il devient le héros, doté lui-même d’une sidekick, son improbable fillette, noire (Vanessa Lee Chester), d’une épouse (Julianne Moore, qu’il n’embrassera pas une seule fois, Spielberg a décidément un problème avec le sexe), d’un reporter de guerre activiste écologique (sic, Vince Vaughn dans un de ses premiers blockbusters), et d’un scientifique craintif (Richard Schiff, pas encore notre Toby A La Maison Blanche).

Goldblum est parfait, comme d’habitude, mais il est parfaitement parfait dans ce Jurassic Park-là ; car il faut toute sa décontraction classieuse pour participer à cet horrible projet de sequel et s’en moquer en même temps. Ainsi selon l’une de ses premières répliques, Spielberg parle en direct au spectateur. « Je sais que tu es venu voir encore des dinos, semble nous dire le réalisateur, des types qui se font bouffer, des gamins qui hurlent et des bagnoles qui explosent ; ne t’inquiètes pas, j’ai tout ça dans ma besace ! » À un personnage qui s’extasie devant les premiers gentils stégosaures, Jeff Goldblum se fait alors le porte-parole du programme Spielbergien : « Oooh! Ahhh! That’s how it always starts. Then later there’s running, and screaming… »

Ce programme va être déroulé pendant deux heures à un rythme de plus en plus soutenu, entièrement basé sur le principe hitchcockien de l’ironie dramatique (les spectateurs savent, et nos héros ne savent pas), et enchaîner perf sur perf : la scène du camping-car, le safari, la pause pipi, la poursuite dans la brousse, la scène finale à San Diego. Pas une minute, Spielberg ne lâchera le morceau : du hamburger, mais cuit à la bonne température, avec juste ce qu’il faut de ketchup et de cheddar. C’est bien pour ça qu’on retourne chez McDo, non ? Retrouver toujours le même BigMac.

Spielberg se paie même le luxe d’ajouter quelques subtilités (dialogues understatement, personnage atypique du chasseur malheureux, et cet aveu, tellement gros qu’on ne peut imaginer une seule seconde qu’il ne soit pas autobiographique, issu de la bouche de la fille de Jeff Goldblum : « Tu aimes les enfants mais tu n’aimes pas être avec eux ! »

Ce Spielberg sarcastique, nous l’avons malheureusement perdu de vue depuis ses « grands films ». On aimerait retrouver ce Spielberg-là, dans un projet léger, fun, une nouvelle franchise à deux balles, et pas dans Cheval de Guerre ou Terra Nova, dont on est sûr qu’il n’a écrit aucune ligne…




lundi 12 mars 2012


Martha Marcy May Marlene
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

C’est la sensation du mois, et peut-être la découverte de l’année. Un film, Martha Marcy May Marlene, et une comédienne Elisabeth Olsen, 28 ans. Elisabeth n’est autre que la sœur des célèbres Mary Kate et Ashley Olsen, qui traînent leurs guêtres à la télé depuis qu’elles sont bébés.

Mais ici, c’est une vraie comédienne qui naît, intense, quelqu’un qui peut tout faire passer en un simple clin d’œil. Et il en faut de la subtilité pour ce film écrit et réalisé par Sean Durkin, et qui traite d’un sujet complexe, les sectes.

Au début du film, Martha en quitte une. Elle s’enfuit, appelle sa sœur, qui la recueille dans sa luxueuse villa de vacances, au bord d’un lac paradisiaque. On croit donc que Martha est sauvée, mais non, pas si simple. On ne sort pas indemne de deux années d’endoctrinement.

C’est la finesse du film, d’alterner flashbacks et séquences d’aujourd’hui, sans vraiment les différencier. Car on est dans la tête multiple de Martha Marcy May Marlene. Martha, c’est son vrai prénom. Marcy May, c’est celui que lui donne Patrick, le leader de la secte, pour mieux la déshumaniser. Et Marlene, c’est le prénom de couverture, quand on répond au téléphone. Entre tous ses prénoms, « M » est perdue, moitié ici, moitié dans l’ancienne vie.

Une vie simple, frugale, où l’on partage tout, opposé à une vie où l’on a tout (Merlot, hors bord, lac privé…) mais où il manque peut-être un sens à la vie. Car Sean Durkin est malin, il ne caricature pas l’univers sectaire. Au contraire, il le magnifie. La vie est douce à la ferme, on se désintoxique des excès du capitalisme occidental, on se purifie, on partage les tâches. La manipulation n’en est que plus discrète, et partant, d’autant plus forte. D’où la confusion qui règne dans la tête de M, formidablement rendue par le montage cut de Durkin.

Dans ce premier film, Durkin fait preuve d’une très étonnante maîtrise : on admirera tout aussi bien dans Martha Marcy May Marlene la musique, discrète et paradoxalement présente, à l’harmonie – dissonante – des sentiments contradictoires de M, que le cadrage, magnifique, ou l’image dénaturée qui vient servir le propos.

Martha Marcy May Marlene représente ce que le cinéma US indépendant peut produire de mieux ; ce qui, avouons-le, n’était pas arrivé depuis longtemps…




dimanche 11 mars 2012


Moebius
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Jean Giraud, alias Gir, alias Moebius, quasi inconnu du grand public, est une légende. Cette légende vient de s’éteindre à 73 ans, et c’est bien trop tôt pour tout le monde.

Car Moebius était un immense dessinateur, aux techniques multiples, un défricheur, et une grande influence sur le cinéma mondial.

Son histoire elle-même est étonnante : dessinateur classique, chapeauté par son mentor, le scénariste Jean-Michel Charlier, Jean Giraud crée Blueberry, probablement la série la plus passionnante de la BD francaise, faisant évoluer son personnage (et son dessin) de manière incroyable en 50 ans d’existence. Mais c’est la rencontre avec Druillet et Jean-Pierre Dionnet, qui mènera à la fondation du magazine Métal Hurlant, qui sera l’élément déclencheur.

Comme cela est magnifiquement raconte dans Métal Hurlant, La Machine à Rêver, de Gilles Poussin et Christian Marmonnier, c’est le jeune Dionnet (28 ans) qui pousse au cul le plus vieux (Jean Giraud, 37 ans), le plus expérimenté, le plus connu, à sortir des sentiers battus, n’hésitant pas à refuser purement et simplement ses planches trop conformiste du dessinateur-star. Il « décoince » Giraud, l’incitant à faire ce qui lui plait (de la SF) ; il fait sortir de la chrysalide Giraud le papillon Moebius. Un chef d’œuvre en éclôt : Le Garage Hermétique. Une œuvre tellement influente que quand Métal, au sommet de sa notoriété, ouvre sa succursale US en 1977, des petits jeunes méconnus (Spielbarg, Lucas, Ridley Scott…) se pressent au cocktail new yorkais pour rencontrer la légende.

C’est ainsi que Moebius allait devenir cette référence graphique, et participer à quelques chef d’œuvres (le projet avorté Dune, Alien, Blade Runner, et évidemment, le très Moebiusien Tron), puis Willow, Abyss, Le Cinquième Élément.

Souvent citée par les réalisateurs, son œuvre dessinée, trop délirante, trop poétique, n’a pas encore connu d’adaptation satisfaite. Même Blueberry, écrit au cordeau par Maître Charlier, a (parait-il) été massacré par Jan Kounen.

Pour l’anecdote (que je tiens de Michel Vaillant lui-même), Jean Giraud vint un jour déjeuner sur le plateau de Blueberry. Ils se mettent évidemment à parler BD, et Jan Kounen confie sa passion pour Moebius. « J’aimerais bien le rencontrer » conclue-t-il, avant que la tablée n’éclate de rire.

Espérons que son décès libère désormais l’imagination des adaptateurs.




jeudi 8 mars 2012


Network
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Ça faisait très longtemps que je voulais voir Network, après l’avoir raté lors de ses multiples rediffusions télé. Mais grâce à TCM, le paradis du cinéphile, c’est chose faite. J’ai enfin vu le brûlot anti media de Sidney Lumet.

Le pitch : dans les années 70, le présentateur vedette de la chaîne UBS est remercié. Lors de son dernier 20h, il annonce qu’il va se donner la mort. Cynique, le dirigeant du groupe audiovisuel UBS (Robert Duvall) et une jeune directrice des programmes (Faye Dunaway), décide d’exploiter le filon et le laisse à l’antenne. Carton d’audience, évidemment. Malgré les appels à la prudence du directeur de l’information (William Holden), le show va dégénérer en téléréalité délirante, allant jusqu’à intégrer The Mao Tse Tung show, qui diffuse des images d’actions terroristes.

Même si le film est très marqué 70’s (acteurs hystériques, contexte politique post-68, et sexualité omniprésente alors que l’intrigue ne le réclame pas,..) Network est très réussi. Critiquant la société américaine et ses outrances (les TV people cyniques y sont renvoyés dos à dos des spectateurs bovins, dépourvus de tout discernement), et mettant en parallèle, les grandes corporations et les organisations terroristes : AT&T ou l’Armée Œcuménique de Libération, c’est du pareil au même.