vendredi 25 août 2017
Au-delà du Réel
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Encore un film raté de peu dans les années 80, et qu’on était pressé de voir. Enfin pressé… trente ans ont passé…
Plusieurs éléments avaient contribué à l’époque à la hype du film : les effets spéciaux (très poussés), le sens graphique « gothique » de Ken Russell, et surtout l’acteur, William Hurt. Il difficile de comprendre à quel point Hurt était le chéri de ces dames dans les eighties : grand, beau, blond, intelligent, bon acteur et jouant souvent le gars sensible, William Hurt était le roi de ces années 80.
Aujourd’hui, évidemment, tout cela sonne un peu moins juste. Rappelons le pitch : dans une université, des scientifiques mènent des expériences de privation sensorielle dans des caissons d’isolement. Oui, exactement la même chose que dans Stranger Things (qui a aussi piqué l’idée de générique). Eddie (William Hurt) est peu à peu confronté à des hallucinations qui vont l’amener à remettre en cause l’idée même de l’espace et du temps. Oui, on ne se mouche pas du coude dans Altered States.
Cela donne lieu à de magnifiques séquences oniriques, où Ken Russell est très à son aise, comme dans Tommy, Les Diables, ou les Jours et les Nuits de China Blue. Le reste du temps, on voit William Hurt à poil, en sueur, comme dans tous les prestations de l’acteur à cette époque, et on sent que c’est l’argument marketing du film.
Maintenant, la fin est cucul la praline et on n’a toujours pas compris comment cela remettait en cause « l’idée même de l’espace et du temps ».
Il reste néanmoins une influence certaine, des X-Files à Stranger Things.
mardi 22 août 2017
Où sont passés les magiciens ? Dans le Player’s Handbook !
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Dans le Manuel du Joueur de Donjons et Dragons, Première Edition, il est dit qu’un magicien septième niveau n’a le droit de lancer que deux boules de feu par jour. En gros, la magie c’est bien, mais il ne faut pas en abuser.
Cette « septième » qui, par ailleurs, renoue avec la qualité des premières saisons, notamment du côté des dialogues, montre quand même les limites de notre couple de magiciens, Benioff & Weiss. Très bons adaptateurs, tant que George R. R. Martin, l’auteur du Trône de Fer leur fournissait matière à foison, et qu’il s’agissait de trier, piocher, réorganiser ce tas de fiction. Mais mauvais inventeurs ; depuis la cinquième saison, les voilà obligés de créer (et de conclure) et on voit bien que c’est là que ça cloche.
D’où cette subite accélération des transports en commun de Westeros (bateau, marche à pied, dragon) où tout ce qui était compliqué prend maintenant cinq minutes. D’où ces réunions d’anciens ennemis (parce-que-finalement-quand-on-y-réfléchit-on-est-du-même-côté) qui touchent parfois au grotesque. D’où ces deus ex machina qui viennent subitement sortir nos héros d’un triste sort, parce que oui, on ne tue plus les têtes d’affiche dans Westeros. Tout ça pour dire qu’on a plus l’impression d’être dans un scénario de Donjons&Dragons, où les gentils gagnent à la fin, que dans la superbe mécanique nietzschéenne, toute de noire carrossée, des débuts.
La faute peut être, à la maladie de la production télé : on le sait, les magiciens Benioff & Weiss ont déjà changé de cirque, et se préparent à proposer un nouveau tour, dans une autre ville : Confederate, la dystopie Guerre de Sécession qui fait déjà couler beaucoup d’encre. Autant dire que nos amis, comme le JJ Abrams de la fin d’Alias, ont autre chose en tête que de peaufiner le dernier chapitre de leur opus.
Tant mieux pour eux. Tant pis pour nous.
dimanche 20 août 2017
Twin Peaks saison 3
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Il y a une justice finalement. Avec 250 000 spectateurs à chaque épisode aux États-Unis, Twin Peaks est un énorme flop. A titre de comparaison, la série réunissait 15 millions de spectateurs lors de sa première saison, en 1990.
A part les quelques francs-tireurs habituels, – Libé-Télérama*, you name it – qui ont cru bon s’extasier (et encore, seulement quelques journalistes au sein de ces rédactions), le reste du monde libre a compris que David Lynch était mort depuis longtemps en tant que cinéaste. Depuis Inland Empire, exactement, auquel cette saison fait paraît-il penser. Mais c’est si mal écrit, si mal joué, à un point qui serait inacceptable pour Joséphine Ange Gardien, que ça en devient une insulte. Une provocation, puérile et futile de la part d’un aussi grand cinéaste.
Bien sûr, il y a eu l’épisode huit – extraordinaire moment de cinéma expérimental à une heure de grande écoute sur une télé américaine – sur le Thrène pour les Victimes d’Hiroshima de Kristof Penderecki. Mais pour dire quoi ? On ne sait toujours pas, quatre épisodes plus tard. Lynch se moque du monde, mais cette fois-ci ce n’est pas drôle.
Une série, ce n’est pas un film. Une série, c’est avant tout des personnages auxquels on s’attache, qui font partie de la famille, que ce soit Columbo, Dr House ou Bobby, Audrey, Norma, et Dale Cooper. Ces fantastiques personnages, créés il y a vingt-cinq ans, c’est eux qui sont ridiculisés, humiliés, et insultés. Par leur propre créateur.
Alors que Lynch avait réussi quelque chose de magnifique en réunissant à l’écran ces acteurs, et qu’il avait l’incroyable opportunité de raconter à nouveau l’histoire de cette ville, deux décennies après le drame**, il se perd à filmer en noir et blanc des phonographes et des îles battues par le vent.
Ce qui nous attriste, (plutôt que ce qu’il nous inflige à nous – victimes masochistes et consentantes, incapables d’abandonner et préférant boire le calice jusqu’à la lie), c’est de voir cet immense créateur brûler sa propre toile, sans être capable de trouver la moindre explication à ce massacre.
* L’hebdo met encore cette semaine deux T à la série de Lynch, et un seul à L’Année du Dragon. Ça me fait penser à ce que disait récemment Michel Ciment au Masque et la Plume à propos de T. Malick : « La critique française descend son dernier film parce qu’il est incompréhensible, mais s’extasie sur un film roumain filmé dans le noir pendant 90mn. »
** Lynch se contente d’esquisser cette possibilité : Norma et Shelly fidèle au poste du Double R Cafe, Bobby devenu flic, etc. Ces moments nous font toucher ce du doigt ce que Twin Peaks, The Return, aurait pu être, et ne sera jamais.
jeudi 10 août 2017
La Servante Ecarlate
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Cette série, hautement recommandée par le Snake – qui aurait, paraît-il, fait quelques sous-titres – puis par le Rupélien, n’est pas une inconnue. Il y avait déjà eu une adaptation par Volker Schlöndorff avec la magnifique Natasha Richardson (le film n’était pas magnifique, lui).
Le pitch est donc connu : dans un futur proche, la pollution a réduit la fertilité humaine à une peau de chagrin : seules quelques femmes sont en mesure d’enfanter et sont devenues des richesses très convoitées. Réunies dans un ordre religieux, ces Servantes Écarlates sont mises à la disposition des nouveaux maîtres, les Commandeurs, pour créer, comme de bien entendu, une nouvelle race de seigneurs.
Le génie de cette version 2017, orchestrée par Bruce Miller (The 100), est de lui donner les couleurs du temps. L’époque s’y prête, entre l’Amérique réactionnaire de Donald Trump et le califat de Daech. Mais Bruce Miller fait mieux, en utilisant ce qui est déjà en germe dans le livre de Margaret Atwood. Ces servantes écarlates sont bien sûr une allusion à La Lettre Écarlate, où deux protoaméricains tentent de s’aimer dans l’Amérique puritaine du Mayflower.
L’action de Handmaid’s Tale se déroule donc au même endroit, Boston, dans quelques années. Et c’est là qu’opère la magie noire de la série ; en 7 ou 8 ans, l’Amérique n’a pas beaucoup changé, même si elle a basculé dans une dictature théocratique. Les riches roulent en 4×4, dans des banlieues tranquilles comme il en existe tant en Amérique (ou en France). Seulement voilà, on ne voit que cela, parce que l’héroïne, Kate, n’a plus le droit de sortir de ce minuscule univers : la maison, (sa chambre et celle du couple, où elle doit effectuer la Cérémonie, c’est à dire le viol qui permette d’enfanter une descendance au Commandeur), le magasin de fruits et légumes, et parfois, une place, où les servantes lapident une consœur désobéissante.
L’effet de transfert est terrifiant : nous sommes tellement habitués à ces décors, ce mode de vie américain qui est devenu le nôtre : leurs banlieues riches sont les mêmes, leur voitures aussi. Mais voilà, dans ce décor occidental, on vit comme en Arabie Saoudite ou à Mossoul. Oui, soudain, par l’effet de magique de la fiction, cela devient possible, plausible.
Dans l’Amérique de Donald Trump, où pour certains, les dinosaures n’ont pas existé, et où certaines souhaitent garder leur virginité pour le mariage ; où, en France même, on se met à contester l’avortement (et pas dans les fractions islamistes de la population), oui, cela devient subitement possible.
Et la série est très brillante là-dessus, en transférant des images connues dans ce contexte tout aussi connu, par exemple des églises détruites par le nouveau pouvoir (car les chrétiens modérés sont chassés et pendus, sur une grue, comme en Iran). Par un ingénieux système de flashback, on torture le spectateur en montrant les bonheurs simples d’aujourd’hui (draguer en achetant des hot dogs) et la terrifiante vie de demain, où les femmes sont soit des pondeuses, soit des bonniches, et où les hommes doivent se restreindre de tout désir.
Les flashback permettent aussi d’économiser une fastidieuse mise en situation. Par ces retours pointillistes, on découvrira comment, sous couvert de terrorisme, on verrouille progressivement les libertés individuelles. Comment s’installe, jusque dans les esprits, cette théocratie fondamentaliste. Au travers notamment du terrifiant personnage de Serena (magnifique Yvonne Strahovksi, nouvelle Cersei Lannister). Cette femme forte, intelligente, épouse du commandant incane une Lady Macbeth impuissante, symbole de l’ambiguïté du nouveau régime.
Mais c’est sans compter la nouvelle performance hallucinante d’Elisabeth Moss, également coproductrice. La fille du Président Bartlet, la Peggy des Madmen, la Robin du Top of the Lake de Jane Campion réalise une de ses plus belles prestations en Defred, la Servante Écarlate du Commandeur.
vendredi 4 août 2017
Le Caire Confidentiel
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le marketing ne ment pas : Le Caire Confidentiel est l’imposition d’une intrigue polar hard boiled, façon James Ellroy, dans la patrie les pharaons. Dans ce Caire, Blade Runner poussiéreux, un flic corrompu, au bout du rouleau, se voit confier l’enquête sur une chanteuse assassinée au Hilton. En parallèle, on suit une jeune femme chambre soudanaise qui a vu le tueur. Vont-ils se rejoindre ?
Oui, car ce n’est pas l’originalité de ce Caire Confidentiel qui séduit. C’est le contexte, pré-printemps arabe, car le polar n’a jamais rien fait d’autre que cela, décrire des forces sociales à l’œuvre.
Rien d’étonnant, donc, à ce que tout, magiquement, converge place Tahrir, « place de la libération », et que chacun soit libéré, d’une manière ou d’une autre. C’est la force de ces personnages réalistes, et de leurs motivations sérieuses et adultes, bref à peu près tout ce qui manque au cinéma contemporains.
mercredi 26 juillet 2017
Les Fantômes d’Ismaël
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Et bien oui, tout arrive. Arnaud Desplechin est capable de rater un film. Et ça prouve une fois de plus cette évidence : il n’y a pas de formule. Ni pour faire un film à Hollywood, ni dans le cinéma français.
On est pourtant ici en terrain connu, dans le théâtre des faux-semblants desplechinesques. Hitchcock + Truffaut + Bergman. Tout ce qui nous plait d’habitude est là : amours impossibles étalés sur trente ans, film d’espionnage au Tadjikistan et comédie familiale dans le 6ème arrondissement, haut fonctionnaire du Quai d’Orsay et neurochirurgien, James Joyce, Bloom et Dedalus, Roubaix et Paris, tout y est.
En voisin, les amis d’Arnaud sont venus donner un coup de main, soit pour reprendre leurs rôles dans la saga (Mathieu Amalric, Samir Guesmi, László Szabó, Hippolyte Girardot), soit rejoindre la bande (Charlotte Gainsbourg ou Louis Garrel), soit revenir après une longue absence (Marion Cotillard, déjà à poil dans Comment je me suis disputé…ma vie sexuelle)
Tout ce beau monde essaie de faire le boulot, c’est-à-dire apprivoiser les vrai-faux dialogues, les narrations face caméra, et le surréalisme foncier des situations : La femme d’Ismaël (Cotillard*) revient après vingt ans d’absence et veut reprendre sa place en virant la nouvelle (Gainsbourg). Problème, on ne sait pas si c’est la réalité, un film, ou la folie. Si on aime Desplechin, pas de problème : on est en terrain connu et on aime ça.
Mais il faut le dire, cette fois-ci – et de façon inexplicable – la méthode du Docteur Desplechin ne fonctionne pas : Les dialogues irréalistes sonnent faux. Les situations sont invraisemblables et les personnages, pas crédibles. Le chaos général donne simplement l’impression… d’un chaos général.
Tout à coup, tout cela ne nous intéresse plus. Ce sera donc pour la prochaine fois.
* Prouvant une fois de plus qu’elle est une grande comédienne, même si ce n’est pas la tasse de thé du Professore. Elle reste à l’aise dans le faux jeu desplechinien, alors que Charlotte Gainsbourg s’y noie.
jeudi 20 juillet 2017
Dunkerque
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le 25 janvier 1077, Henri IV, futur empereur germanique, alla s’agenouiller pied nus dans la neige de Canossa pour se faire pardonner du pape et lever son excommunication. Aujourd’hui, le Professore ne va pas à Canossa, mais à Dunkerque, où on peut le voir, pied nus dans l’écume mousseuse de la Mer du Nord, s’excuser devant la statue du Commandeur Nolan.
On a beaucoup, sur CineFast, dit du mal de Christopher Nolan : après 3 ou 4 films réussis (Memento, Insomnia, Le Prestige), le Stanley Malick anglais semblait s’être perdu dans un genre qu’il avait lui-même créé : le blockbuster faussement intello. Ou plutôt, le film à la carapace auteuriste (The Dark Knight, Inception), qui, une fois décortiqué comme un gambas par tout cinéphile de plus de quinze ans, se révélait aussi épais qu’un papier à cigarette de la marque Michael Bay, version gauchiste.
Nolan, en effet, n’avait jamais les idées claires, ni politiquement, ni scénaristiquement. Son Dark Knight Rises pouvait laisser croire à une critique féroce du capitalisme émise par Catwoman elle-même : «how you could live so large and leave so little for the rest of us ? ». Et puis on découvrait que ces hackers, ces révolutionnaires métaphoriques à la Occupy Wall Street étaient en fait… les méchants ???
Côté scénario, il y avait la même profondeur abyssale. Inception pouvait se résumer à un jeu vidéo interminable joué par des espions internationaux dans le cerveau d’une victime dont on ne savait plus très bien à la fin ce qu’on voulait lui extorquer. Interstellar était un sous-Contact filmé par les Bodganoff : Papa te parle en morse au-delà de l’espace et du temps. Sans parler des Batman, aux scénarios nativement ineptes.
En fait, Christopher Nolan était un très brillant fabricant de perles, mais un mauvais enfileur sur collier. Il y avait des scènes, des dialogues, des acteurs incroyables dans son cinéma (la tirade du Joker, la fin d’Inception, l’introduction pré-apocalyptique de Insterstellar). Nolan croit dans le cinéma, il sait, comme Kubrick, comme Hitchcock, comme Spielberg, incarner une idée cinématographiquement. Mais contrairement à eux, il ne tient pas la distance. Ces moments de bravoure n’arrivent jamais à être assemblés en un film complet, adulte, et cohérent.
C’est donc plein de morgue (mais encadré par le Commissaire du Peuple Karl Ferenc), que nous avons abordé les plages de la Côte d’Opale. Avec la conviction que ces syndromes allaient se répéter, doublés d’un mauvais goût historique quasi garanti dans une production US à 200M$ : héros britannique beau gosse (Harry Styles des One Direction) qui filerait la love story avec une jolie infirmière française jouée par Miley Cirus, et serait probablement tué par une balle perdue de la Wehrmacht dans les dix dernières minutes…
Las. Après quinze minutes incroyables – du cinéma à l’état pur – on savait déjà qu’on avait tort, et que Christopher Nolan se trouvait à la croisée des chemins. Soit il continuait tout droit, et le chef d’œuvre était au four, soit il prenait la mauvaise route, et le film échouerait à la marée basse de ses ambitions.
Ces croisées des chemins, il y en a des dizaines dans Dunkerque. A chaque fois, on se dit que Nolan va prendre la mauvaise route, mais non, il évite les obstacles habituels : le cliché, la métaphore ratée, la situation irréaliste. A chaque fois, Nolan apporte la bonne réponse.
Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu un tel strike au cinéma. Et là, on est obligé de s’incliner. Un peu comme le James Cameron qui réussit tous ses paris de Titanic, Nolan fixe à Dunkerque toutes les ambitions, et les réussit toutes. Faire un film d’auteur. Un blockbuster. Une reconstitution historique léchée. Patriotique mais aussi critique. Un film humain. Un grand spectacle. Avec des stars. Qui ne mangent pas le film. Avec des débutants. Qui sont formidables. Un film expérimental. Une musique incroyable.
On a vu évidement des centaines de films de guerre. Certains réussis, filmé à hauteur d’homme ; Week end à Zuydcotte, Il Faut Sauver le Soldat Ryan. D’autres, pathétiques reconstitutions empesées de propagande : Le Jour le Plus Long, Un Pont Trop Loin. Mais comme le dit le Capitaine Ferenc, on est clients des deux.
Mais Dunkerque se situe au-dessus : La Ligne Rouge, Le Pont de la Rivière Kwai, tout en restant foncièrement un film Nolanien. Un Nolan qui se tient enfin debout, de bout en bout. A l’instar de sa musique qui ne s’arrête qu’à la fin de la dernière scène, nous laissant, comme les personnages, épuisés et heureux.
dimanche 16 juillet 2017
Scarface
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Scarface n’est pas simplement le film-référence de la planète rap, c’est un classique. Pour la huitième fois on regarde Scarface, le Scarface de De Palma. Le remake de la version d’Howard Hawks, déjà un très grand film, déjà un très grand scandale. Évidemment, il y a un objectif pédagogique (le cinéma, c’est pas fait pour s’amuser) : montrer au Professorino ce que c’est qu’un vrai trafiquant de drogue, et pas ce pseudo réalisme à la Narcos.
Ce qui frappe de prime abord, trente ans après, ce n’est pas tant que le film ait vieilli, mais plutôt qu’on voit que c’est devenu un petit budget, par rapport aux standards actuels. 25M$, c’était quelque chose. Mais vu d’aujourd’hui, il y a peu de décors : le garage de Frank, la boîte de nuit Babylone, le repaire du colombien à Miami Beach et évidemment, la maison de Tony, iconique palace romain tout de noir et d’or… et futur cercueil des rêves de Tony Montana.
Cela étant dit, la polémique de l’époque a totalement disparu : Le Figaro Magazine et François Chalais sont bien loin, eux qui reprochaient à De Palma de détruire le film de Hawks à cause du trop grand nombre de « Fuck » dans le scénario. Et qui vouait Pacino aux gémonies, lui l’acteur adulé du Parrain, pour s’être ainsi commis dans un film de si bas étage. Il est évident aujourd’hui que c’est l’une des plus grandes performances de Pacino, si ce n’est la plus grande. Quant aux dialogues, ils sont devenus cultes, mètre étalon, tout comme la violence (qui nous semblait apocalyptique en 1983, tronçonneuse, massacre final et tutti quanti) est devenu standard du genre.
Au contraire, ce qui ressort aujourd’hui, c’est la tragédie shakespearienne qui irrigue tout le film. Richard III incestueux, Tony Montana détruit tout sur son passage ; patrons, partenaires, alliés, amis, et même sa si chère sœur, l’adorable Ophélie-Gina (Mary Elizabeth Mastrantonio). Une Lady Macbeth cokée, Elvira (Michelle Pfeiffer) tente de guider son roi fou vers les sommets, tandis que les Rosencrantz et Guildenstern cubains se font massacrer à coup de M-16. C’est cette tragédie-là, cette histoire de petit gars des favelas qui embrasse le rêve américain, qui croit que tout est possible, et que oui, The World is Yours, qui fait de Scarface, version de Palma, tout autant un chef d’œuvre que son illustre prédécesseur. En délocalisant de Chicago à Miami, De Palma ne fait pas que moderniser le film ; il continue de raconter l’histoire de l’Amérique.
vendredi 14 juillet 2017
Factory Records, Depeche mode et Pulp
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Trois bonnes nouvelles en une : les excellents étés d’Arte sont cette fois-ci consacré à l’Angleterre et à la programmation Fish’n’Chips, y’a du lourd ; des films qu’on voit trop rarement sur petit écran et donc inratables si vous aimez la musique, l’Angleterre, la pop et le cinéma.
Samedi 15 à 0 :00, le meilleur documentaire réalisé sur ce que veut dire monter un groupe de rock : le fabuleux Pulp, a film about life, death and supermarkets.
Vendredi 21 à 22:50, 101, un très bon documentaire sur Depeche Mode et son concert au Rose Bowl de Pasadena.
Et juste après à 00:50, 24 Hour Party People, le docu-fiction barré de Michael Winterbottom sur la folle histoire de Factory et les groupes de Manchester, de Joy Division aux Happy Mondays, avec un impeccable Steve Coogan en Tony Wilson.
A ne pas manquer, donc.
dimanche 9 juillet 2017
O.J.: Made in America
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est l’histoire d’une injustice. C’est l’histoire de plusieurs injustices. Un horrible ping-pong entre noirs et blancs, dans un pays qui n’en finit plus de régler l’esclavage, la Guerre de Sécession, la ségrégation.
C’est tout cela que raconte O.J.: Made in America, le documentaire oscarisé qui raconte non pas seulement le procès du siècle, mais cette histoire de l’Amérique. Los Angeles, le LAPD, les émeutes de Watts de 1965, celles de 1992 et Rodney King, et le procès d’O.J. Simpson, le footballeur noir qui a tué sa femme et que tout accable, mais qui sera acquitté, comme une revanche de toutes les injustices précédentes.
Injustice sur injustice, plus exactement : O.J. Simpson perce grâce au foot dans le monde des blancs, car, comme le dit Johnnie Cochran, son avocat, il doit « courir plus vite, sauter plus haut » qu’un blanc pour atteindre les mêmes objectifs.
Lui qui ne s’intéresse qu’aux blancs, ne sera jamais présent auprès des noirs, sera pourtant sauvé par eux : deuxième injustice. Grace à un jury totalement acquis à sa cause, il s’en tirera malgré les faits, l’ADN, le mobile.
Puis parce qu’on délocalisera le procès, perdra 30M$ au civil, devant un jury parfaitement blanc. Dettes qu’il ne règlera pas… injustice, injustices.
Et dans un dernier rebondissement, ironie divine (parfois, contrairement à ce que disent les suédois, Dieu ne punit pas tout de suite), O.J. Simpson prendra trente ans de prison pour avoir menacé, bousculé, volé des collectionneurs d’objets sportifs… Là où nimporte qui prendrait deux ans.
Simpson avait échappé de son pire crime grâce à une justice à deux vitesses, parce que les blancs ne le considéraient pas comme un noir, et parce qu’il était riche. Redevenu pauvre, O.J. est soudain redevenu noir.
C’est ce que raconte O.J.: Made in America, incroyable documentaire, où, malgré la durée, on reste fasciné de minute en minute*. Tout en étant conscient que progressivement, l’Europe en général et la France en particulier glissent vers les mêmes tentations délétères…
O.J.: Made in America
En Replay sur Arte+7
* Et démontre au passage l’excellence de la fiction de Ryan Murphy, The People vs OJ Simpson