vendredi 7 janvier 2022


Bad Luck Banging or Loony Porn
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Une vraie sextape, une citation du Mahabharata, une chanson de Bobby Lapointe : voilà les deux premières minutes de l’improbable Bad Luck Banging or Loony Porn. Le film de Radu Jude est un OVNI comme le cinéma n’en a pas produit depuis longtemps.

Au milieu de son film, le cinéaste invoque la métaphore de la Méduse. Personne ne devait croiser le regard de la gorgone, sous peine d’être transformé en pierre. Persée réussit néanmoins à la tuer, en ne l’observant qu’à travers le reflet d’un bouclier. Aujourd’hui, dit Radu Jude, la réalité est notre Méduse, trop atroce pour être regardée en face. Et le cinéma, notre bouclier de Persée…

C’est tout le programme des 106 minutes de Bad Luck Banging or Loony Porn : regarder l’atrocité du monde au travers d’une fable, et au travers du cinéma. La fable, c’est le repentir obligé d’une institutrice, dont ne saura jamais si elle a intentionnellement ou pas publié la sextape du début. Les images sont crues, le contenu est pornographique, mais est-ce vraiment cela l’atrocité du monde ?

Alors voilà. Cette femme marche dans Bucarest. Première originalité, un nouveau type de travelling. La caméra suit la comédienne, puis s’arrête sur un détail (une église, une enseigne, un 4×4…), puis revient sur elle. Ce procédé inédit a un but très clair : montrer autre chose. Autre chose que l’héroïne. Montrer l’univers. 4×4 surdimensionnés, cartables fluos, jouets en plastique, enseignes criardes, gens qui s’insultent… la véritable vulgarité, dans le vacarme de Bucarest.

Ex abrupto, Radu Jude insère alors un intermède situationniste, intitulée Aphorismes. Une vingtaine de séquences philosophiques sur des sujets extrêmement variés (religion, sexe, pollution, tourisme, armée, éducation, fascisme, …) traitées comme des anecdotes, sous forme de gags provoquants*, de citations, ou d’images d’archive ou tirées du net.

La troisième partie est bâtie sur une situation artificielle qui rappelle Prova d’Orchestra, le film où Fellini utilise un orchestre symphonique comme métaphore de la société. Ici, l’institutrice est convoquée dans la cour de l’école, où elle est sommée de s’expliquer devant une assemblée de parents d’élèves. Echantillon caricaturé de la bien-pensance roumaine : un pilote de ligne moralisateur, une femme voilée, une bourgeoise corrompue, un militaire crypto-fasciste, un vieillard lubrique…

L’institutrice tente néanmoins de défendre son point de vue (et celui du cinéaste). La sextape était privée, elle s’est retrouvée sur les réseaux, les enfants l’ont vu. Où est la responsabilité des enfants, de l’école, des parents ? Celui qui publie, ou celui qui regarde ? Quel est le rôle des parents ? Quel est le rôle de l’éducation ? Le film révèle alors son vrai sens philosophique, et sa charge politique. Mais ce dispositif, qui pourrait être un pénible pensum 70s, devient une farce rigolote, avec un final parfaitement barré.

Fellini, réveille-toi, tu es revenu.

*Une partie du public a quitté la salle à ce moment-là…


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