jeudi 1 juillet 2021


La Servante Ecarlate, saison 4
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Séries TV ]

Cinématographiquement, La Servante Ecarlate reste un objet difficile à critiquer. La série fait partie de ces œuvres à thèmes très lourds (la Shoah, le racisme, les banlieues, …) qui censurent toute forme de jugement.

Dans cette dystopie terrifiante, où une théocratie fasciste a dévoyé les principes de la religion (chrétienne) pour mettre les femmes en esclavage, The Handmaid’s Tale pose – comme une deuxième couche – la question de la place de la femme dans l’occident réel : mère-pondeuse, bonniche au foyer, ou prostituée destinée à ne servir que les désirs masculins ? C’est là où elle est passionnante, ce qui ne veut pas dire qu’elle est parfaite.

Critiquer la Servante, c’est très vite se voir opposer cela. « La série a peut-être des défauts, mais elle parle de quelque chose de tellement juste… » : c’est exactement le genre de chantage aux sentiments qu’on ne supporte pas ici, à CineFast.

Et en regardant le premier épisode de cette quatrième saison, on ne peut qu’être frappé par des parallèles cinématographiques qui vont évidemment hérisser beaucoup de cinefasters : La Passion du Christ, de Mel Gibson, et 24 heures Chrono. Le martyr, et la vengeance…

Prolégomène nécessaire ; nous n’ignorons pas que La Servante Ecarlate se situe à l’opposé absolu sur l’échiquier politique. Ce n’est pas une série de droite, raciste, antisémite, ou prônant simplement la suprématie de l’Amérique sur le reste du monde. Mais pour autant, Handmaid’s Tale est essentiellement, fondamentalement, américaine. Peut-être même à son insu.

L’Amérique, depuis toujours, s’est construite sur ce fondamentalisme Ancien Testament. D’abord parce que les passagers du Mayflower* étaient à l’origine des fanatiques religieux, chassés d’Angleterre pour leurs convictions. Ils se sont ensuite identifiés au Peuple Elu – les juifs de l’Ancien Testament – obligés eux aussi de faire exode. Si le Nouveau Testament (le christianisme) prône le pardon, la rédemption et la joue tendue, l’Ancien propose plutôt la Loi du Talion – œil pour œil, dent pour dent. (merci le Framekeeper).

Cette obsession biblique irrigue tout le cinéma populaire américain, du western à la science-fiction. Du Clint Eastwood d’Impitoyable au Capitaine Kirk qui règle les problèmes de la galaxie à coups de poing, un bon père de famille américain ne se tourne pas vers son avocat en cas de problème : il se fait justice lui-même**.

A l’image de ce premier épisode saison quatre, où les femmes vont se venger de ce qu’elles ont subi (comprendre : depuis trois saisons). Un Commandeur qui n’arrivait pas à avoir d’enfants a fait violer sa femme par tous les hommes qui passaient par là. Notre héroïne, June, se laisse très rapidement convaincre qu’il faut torturer l’un de ces hommes, puis le lyncher. « Because we fight. »

Tout est dit. Il faut tuer, rendre coup pour coup, car il s’agit d’un combat et pas d’une justice à exercer. Pas de procès, pas d’application de la loi, pas d’éducation ou de rédemption du coupable. Ce progrès essentiel de notre civilisation, la loi qui s’intermédie entre le coupable et sa victime pour lui donner réparation ? Tout cela a disparu. Comme dans tout le cinéma de Droite, les Dix Commandements, Le Justicier dans la Ville, les films de superhéros ou tout le cinéma de Tarantino. La solution, c’est le lynchage. June Bauer est en cornette, mais c’est quand même la sœur de Jack Bauer.

La série se complait tout pareillement dans le martyr. Martyre, June l’est assurément. Enlevée, séparée de son mari et de sa fille, insultée, violée, torturée… Il serait impensable qu’il en soit autrement dans l’univers de Gilead, cette dictature terrible inventée par Margaret Atwood. Mais l’actrice-productrice Elisabeth Moss est-elle obligée de se réserver la moitié des plans, sur son regard halluciné, son visage giflé, son corps ensanglanté ? Cette obsession douteuse a fini par gangréner la série, qui gagnerait à mettre la pédale douce sur la Passion selon Sainte June, qui finit par confiner au ridicule***.

Ces scènes sanglantes, filmées avec une telle complaisance gore, et répétés d’épisode en d’épisode, ne cessent d’étonner. Et l’on est une fois de plus consterné devant la critique française, qui voue aux gémonies (au hasard : Neon Demon), mais s’extasie sans distance devant les yeux enfiévrée de la servante écarlate.

*Les costumes féminins de la série évoquent d’ailleurs le XVIIème siècle et la série se passe à Boston.

**Il y a évidemment un pendant progressiste à cela : les films de procès

***Dans un autre rôle, l’excellente Elisabeth Moss en disait tout autant, si ce n’est plus, sur le même sujet : Mad Men, évidemment.