samedi 28 mars 2015


Imitation Game
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Voilà un film intéressant, au moment même où sort Foxcatcher ; deux biopics, deux tentatives modernes de reconstituer le passé, de construire un personnage. Pour autant, ceux qui auront aimé Foxcatcher détesteront Imitation Game… et vice versa, les qualités de l’un étant les défauts de l’autre.

Mais d’abord, il y a la question du désir de fiction. Pourquoi aller voir un mauvais film sur les casseurs de code nazi plutôt qu’un bon documentaire sur Enigma, on ne sait.

Ce qu’on sait, c’est déjà trois choses qui sont rédhibitoires au cinéma : ce qu’est le personnage (il est gay), ce qui va lui arriver (recruté au MI5, il va casser du code secret) et comment ça va finir (suicide). Si, dans la fiction, on accepte la convention que Bruce Willis est SÛR de ne pas mourir à la fin de Die Hard, dans le biopic, il est insupportable de savoir qu’Alan Turing va se tuer. Le comment n’intéresse pas le spectateur. C’est le pourquoi qui l’intéresse. Pourquoi Turing est gay, pourquoi sa machine s’appelle Christopher, c’est ça qui marche dans Imitation Game

Pour le reste, on est dans le cinéma d’Épinal. C’est-à-dire un cinéma basé sur des clichés, construit sur un plan standard. Une trajectoire grossière, connue d’avance, comme le plan de la machine qu’Alan Turing est en train de construire : Alan est différent, il est méchant, mais il deviendra gentil, et on acceptera ses différences. Alan est au bord d’échouer mais il réussira. Ses compagnons, d’abord circonspects, deviendront des supporters enthousiastes. Et Alan sauvera le monde du nazisme grâce à sa belle machine.

Tout ce qui fonctionne dans une fiction ne marche pas ici. Comme si notre cerveau, déconnecté face à l’Art, se reconnectait automatiquement quand on lui propose l’Histoire Vraie.

La seule ambiguïté du film tourne autour de la non révélation d’Enigma, qui fut l’un des tournants de la guerre. Dès qu’Enigma fut cassé, il fut possible de prévoir toutes les attaques nazies, et donc de les prévenir. Mais le faire, c’était aussi révéler que désormais, les alliés savaient tout. La scène où Turing explique à l’un des personnages qu’il devra sacrifier son frère, présent sur un convoi menacé par les allemands, est la seule scène un peu passionnante du film.

A l’opposé de cela, Foxcatcher, qui refuse tout rebondissement gratuit, et s’écarte ainsi du blueprint Hollywoodien, est une merveille de subtilité. Les personnages sont ambigus, et esquissés à petite touche. On ne sait jamais ce qui va se passer dans la prochaine scène. Et évidemment, on ne connaissait pas l’histoire avant.