dimanche 11 octobre 2009


Réalisme, ou crédibilité ?
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Dans les œuvres de fiction, on entend souvent ces reproches : « c’est pas crédible ! », « Ça manque de réalisme !» ou au contraire « On s’y croirait ! »

Pourtant ces deux mots ont des sens très particuliers, pour ne pas dire opposés.

Le réalisme, c’est la capacité d’un film à décrire le réel. Valse avec Bashir est un film très réaliste : il décrit le quotidien de Tsahal pendant la Guerre du Liban. District 9 n’est pas réaliste : aucun alien ne s’est – à ma connaissance -posé à Johannesburg. Pour autant les deux films sont crédibles : on peut « croire » qu’un soldat danse sous les balles devant le poster de Bachir Gemayel, même si ce n’est pas très raisonnable ; c’est la folie de la guerre. De même, on peut admettre qu’après vingt ans de présence, les sud-africains ne puissent plus supporter les aliens.

Ce qui est gênant, au cinéma, ce n’est pas le manque de réalisme, mais bien le manque de crédibilité des actions des personnages ; cette crédibilité ne peut s’apprécier que dans le genre ou l’univers du film.

Rambo et Voyage au Bout de l’Enfer sont deux films sur le Vietnam, mais de genre différent : on comprend que John Rambo survive à d’innombrables viets alors que les amis de De Niro meurent dès la première balle.

De même, chaque film, dans ses premières secondes, génère un univers avec ses propres lois physiques, psychologiques, sociales…

Au début de Wanted, un polar qui semble pourtant se dérouler dans un New York très contemporain, on voit le père du héros se jeter par la fenêtre, sautant entre deux buildings séparés par une large avenue, tout en tirant extrêmement précisément sur une cible situé en face, et l’abattant d’une balle entre les deux yeux. En trente secondes, Timur Bekmambetov a installé son univers : urbain, contemporain, mais avec des personnages qui n’obéissent pas aux lois de normales de la physique.

Dans un autre genre, Star Wars, monde fantastique par excellence (les vaisseaux font du bruit dans le vide de l’espace, les faisceaux laser s’interrompent au bout d’un mètre cinquante), produit pourtant un monde très crédible : touché par un tir, les vaisseaux explosent, blessé, un personnage saigne, etc. Mais ça se gâte quand Lucas ne respecte plus les règles de son propre univers : quand Yoda se met à sauter dans tous les coins, comme un ninja sous acide dans L’Attaque des Clones, alors qu’il peine à bouger un cil dans le reste de la série : même les fans tiquent…

Autre exemple, plus récent : Lost. Voilà un monde, direz vous, où le réalisme n’est pas la première préoccupation des scénaristes : nous sommes en permanence dans le changement, ou dans l’irrationnel. Pourtant, le spectateur suit. Il a accepte le contrat tacite qui lie le public à l’auteur. Les spectateurs de Lost ont tous signé un chèque en blanc à JJ Abrams : divertis-nous ! Si le public a abandonné tout espoir de réalisme, il n’a pas renoncé à la crédibilité.

Mais dans un épisode de la saison 5, ça bugge. Abrams fait une entorse au contrat : Nous apprenons que Sawyer travaille désormais pour le Projet Dharma, à un poste assez haut placé (chef de la sécurité). Pourquoi pas ? Il y a sûrement une raison, et nous allons la découvrir, et enfin savoir ce que fricote Dharma : on est toujours dans le contrat. Jack et Kate retrouvent Sawyer. C’est bon, ils vont lui poser la question qui nous brûle les lèvres : « Alors, c’est quoi le projet Dharma ? Raconte ! » Ca devrait aussi leur brûler les lèvres à eux, personnages, qui se posent cette question depuis la Saison 2. Eh bien non, rien, nada, pas une question ! On parle de la pluie et du beau temps. On s’invite à dîner. On se lance des œillades langoureuses dans cette éternelle partie carrée Kate/Juliet/Sawyer/Jack…

Évidemment, on comprend qu’Abrams réserve cette réponse capitale pour plus tard (la fin de la saison, par exemple). Mais ça ne marche pas : il est tout simplement incompréhensible que les personnages ne posent pas cette question. Il y a indubitablement une perte de crédibilité à ce moment là. Sawyer, d’ailleurs, ne serait pas obligé de répondre*, mais Jack et Kate DOIVENT poser cette question.

On dira que le Professore pinaille. Pourtant, les œuvres de fiction sont basées sur ce pacte tacite, et ce, depuis notre toute petite enfance : « Raconte-moi une histoire ! » La souillon peut devenir Princesse grâce à une pantoufle de vair, mais la chaussure doit être à sa taille… Sinon ce ne serait pas crédible, vous ne trouvez pas ?

 

*Le fameux « Je ne peux pas vous le dire. Après, je serais obligée de vous tuer ! » de Juliet saison 3




dimanche 11 octobre 2009


The Faculty
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Je suis tombé hier soir sur le chef d’œuvre de Robert Rodriguez, The Faculty. De sympathique petit film de genre à sa sortie, le film est devenu un classique, certes toujours méconnu. Rappelons le pitch : il s’agit d’un remake-hommage à L’Invasion des Profanateurs de Sépultures, titre ringard de série Z qui cache pourtant deux chefs d’œuvre, le film originel (Invasion of the Body Snatchers, de Don Siegel, 1956), et le merveilleux remake d’Abel Ferrara, Body Snatchers (1993)*.

Ici, l’action se passe dans un lycée, peu à peu envahi par des E.T. malveillants pénétrant dans le corps des profs, des parents, des élèves, et les transformant en êtres cruels et sans âme. Seuls quelques élèves comprennent la situation, et essaient de résister : le geek (Elijah Wood, période pre-Frodon), la bombasse intello (Jordana Brewster), la punkette (Clea Du Vall), le dealer, beau gosse mais bad boy (Josh Hartnett), la petite nouvelle timide, le capitaine de l’équipe de foot.

On serait dans du classique si Robert Rodriguez n’était pas aux commandes. Non seulement l’action est trépidante, mais c’est drôle et totalement politiquement incorrect : sexe, drogue et rock’n’roll. Une réplique-culte résume le film : « Prends de la coke. Ça te sauvera la vie ! » (la cocaïne permet de distinguer les humains des aliens)…

Mais en plus d’être horrifique, drôle, sexy (Salma Hayek, Famke Janssen), bourré d’action, le film est aussi fin et profond avec un sous-texte intéressant sur l’adolescence, période de la vie où l’on se sent totalement « alien » et où les parents et les profs passent souvent pour des « zombies ».

Si vous n’avez jamais vu The Faculty, c’est le moment de retourner à l’ecole.

* et un troisième film dispensable de Philip Kaufman, en 1978




dimanche 11 octobre 2009


L’affaire Polanski
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Un membre influent du conseil d’administration de CineFast me presse de prendre parti dans l’affaire pédophilo-médiatico-cinéphilique du moment. Je parle de Polanski, bien sûr, Lettres d’Amour en Somalie n’étant pas à proprement parler un film, et le Neveu, un cinéaste…

Non seulement, je ne céderai pas aux pressions de mes amis, mais pire : je déplacerai le débat. Polanski est-il un grand cinéaste ? Sûrement ! Est-il pédophile ? Il l’était probablement un peu à l’époque, quand d’autres histoires (avec Nastassja Kinski) vinrent corroborer les faits… Mérite-t-il ce traitement ? Probablement pas. Le temps a passé, et même la victime a pardonné (contre un arrangement secret de 600 000$, comme nous venons de l’apprendre). Sommes-nous juges ? Sûrement pas. L’affaire est américaine, et doit être jugée en Californie, qui jusqu’à preuve du contraire, n’est pas la Corée du Nord. En tout cas, elle ne se juge pas au Ministère de la Culture, ou sur CineFast !

Ce qui est intéressant là-dedans, c’est la Suisse. Voilà un pays qui vous décourage d’aller à ses festivals, surtout si vous êtes déjà propriétaire d’une résidence secondaire. L’enthousiasme suisse (en plein milieu du scandale) à extrader le dangereux terroriste Polanski fait peine à voir. Comme l’a dit avec humour Jay Leno, du Tonight Show : « Ça y est, on a enfin eu Polanski. Maintenant, Ben Laden ! »

Le deuxième enseignement, c’est qu’il faut différencier l’art de l’artiste…

Dans l’art, tout est permis. Huysmans, Lautréaumont, Sade, Burroughs, Dustan, Bunuel, Lynch, l’artiste est fou par définition ; il est dans la transgression. La réalisation des fantasmes dans la réalité, c’est ce qui pose problème. Pourquoi l’artiste serait-il traité différemment du commun des mortels ? La justice est faite pour cela : arbitrer les faits et les causes, les circonstances, le contexte. Ce qui amène au dernier enseignement de ces affaires : la défense corporatiste de la communauté cinématographique de l’un de ses pairs. Alors qu’on traque les pédophiles de par le monde, jusqu’à vouloir signaler leurs maisons et leurs employeurs, deux affaires concomitantes (Polanski, Mitterrand) montrent la différence de traitement qui prévaut en la matière. Non seulement cette corporation est particulièrement touché par ces problèmes, habituée qu’elle est de vivre depuis toujours dans l’excès : Fatty Arbuckle, Charlie Chaplin, Frank Sinatra, Don Simpson, et aujourd’hui, Roman Polanski…

Sans aucune barrière morale, sociale, ou patronale d’aucune sorte*, elle assure même le service après-vente en soutenant, via avocats, attachés de presse, patrons de studios (voir Hollywood Babylon sur ce sujet), ses brebis égarées… tout en prônant, dans le même temps, l’inverse dans ses films et ses œuvres caritatives…

Deux poids, deux mesures…

*JP Jeunet racontait que sur le tournage d’Alien:Résurrection, la production avait mis à sa disposition un chauffeur, qui, à son arrivée à Los Angeles, lui avait immédiatement proposé de la drogue et des putes… Mais qui, le lendemain matin, et les jours suivants, venait le chercher à 8h pile pour qu’il soit à l’heure sur le plateau. A Hollywood, tout est permis… Si tu fais le boulot.