mardi 22 novembre 2016
Le Dormeur doit se Réveiller
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
C’est la meilleure nouvelle de la journée, de la semaine, du 21ème siècle ? La famille Herbert vient de trouver un accord avec Legendary Pictures pour une (des) adaptations de la (des) séries Dune! C’est à dire adapter à la télé ou au cinéma les livres de Frank Herbert mais aussi ceux du fiston avec Kevin Anderson…
Legendary Pictures, c’est la maison qui produit les DC comics (Batman, Superman), celle de Christopher Nolan (Interstellar, Inception), de 300 , Very Bad Trip, ou The Town, bref, y a du bon et du moins bon, mais c’est une excellente nouvelle quoi qu’il arrive…
vendredi 18 novembre 2016
Valley of Love
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Deux personnages errent dans la vallée de la mort. On a volontairement enlevé les majuscules, puisque c’est bien de cela dont il s’agit : un père et une mère, dans la vallée de la mort. Divorcés, les voilà réunis par les dernières volontés de leur fils suicidé : ils doivent doit se rendre – dans un jeu de piste macabre – dans 7 lieux différents de la Vallée de la Mort (avec majuscules cette fois-ci), et ce, à des heures précises. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’il reviendra d’entre les morts.
Ces parents, ce n’est pas n’importe qui. C’est Gérard Depardieu et Isabelle Huppert. Qui, dans le film, s’appellent Isabelle et Gérard. Guillaume Nicloux joue à fond de cette ambiguïté* ; Depardieu, le vrai, a lui aussi perdu un fils.
A ce drame, qui ne déparerait pas dans une nouvelle de Maupassant, la Death Valley fournit un écrin magnifique. Face aux monstruosités humaines (Depardieu obèse, Huppert ridée), le plus effrayant parc national américain fournit paradoxalement un décor parfait. Le ciel est un éclat bleu, le désert jaune, et les pelouses immanquablement vertes. Pour ceux qui y sont allés, ce n’est pas facile de filmer la vallée comme ça, qui est la plupart du temps jaunâtre.
Les acteurs sont magnifiques, on le savait déjà, mais il y a bien longtemps que Gérard Depardieu n’a pas été aussi bien. Huppert, comme d’habitude, est impériale, même si elle semble jouer son propre rôle.
C’est aussi que tout est fin et subtil dans ce scénario, qui ne s’emberlificote pas dans des intrigues annexes, et qui sait tout aussi bien allonger les scènes pour créer de l’étrangeté ou au contraire s’arrêter vite (1h28) quand le film doit finir. Cette Valley est une réussite.
* citant même des anecdotes proches aux acteurs (Nounours, homme de confiance de Depardieu dans la vraie vie, par exemple) Cette précision est copyright Ludo Fulci, qui m’a aussi conseillé de voir le film….
mardi 15 novembre 2016
Sixteen Candles
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Et il nous manquait un John Hughes, mais voilà c’est fait, nous avons vu Sixteen Candles. Bien sûr, Seize Bougies pour Sam a pris un coup de vieux, et les minauderies de Molly Ringwald, qui nous auraient enchanté en 1984, nous énervent aujourd’hui.
C’est pourtant le brouillon de l’œuvre de John Hughes. Une œuvre en devenir : le grand homme va donner dans les deux ans qui suivent Breakfast Club, Une Créature de Rêve et La Folle Journée de Ferris Bueller. Humour décomplexé, presque trash (petites culottes utilisées et tutti quanti), musique branchée, et un premier portrait empathique et compassionnel de l’adolescence avec ses joies, ses peines et ses difficultés.
On n’a pas fêté l’anniversaire de Sam, et pourtant c’est son seizième anniversaire. Ce n’est pas rien, seize ans, même quand on nait dans cette famille friquée du nord de Chicago. De cet argument chiche, John Hughes fait à la fois une comédie et un drame, car il saura – ici et plus tard – saisir à la perfection les désarrois, même minuscules, de l’adolescence.
Autre curiosité du film : derrière Ringwald, des acteurs en arrière-plan se découvrent, c’est eux qui feront une carrière, plus ou moins mouvementé : le brat pack est à naître : Anthony Michael Hall, John Cusack, Jami Gertz, Joan Cusack…
samedi 12 novembre 2016
Un Village Français, finale : un naufrage français
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est triste de voir couler le Titanic. Une série qui semblait insubmersible malgré ses défauts, et malgré les charges de plus en plus importantes qu’on lui demandait de porter : être une série pédagogique, mais excitante (donc feuilletonnante) avec des personnages crédibles, mais pas monolithiques, et qui ne rate pas sa sortie : l’Epuration, 1945, était toute désignée pour servir d’écrin à un final en beauté.
Malheureusement, la série déclinait déjà depuis deux saisons, et son naufrage n’en est que trop logique. Comme toutes les séries, on peut imaginer que ses fondateurs soient déjà partis comme des JJ Abrams de Marne-La-Coquette, avec en tête de nouvelles aventures, de nouvelles séries, et des projets à pitcher.
Mais quand même. Six scénaristes, un atelier d’écriture, un conseiller intrigue, un conseiller en psychologie des personnages ; tout ça pour ça ? Autant de monde pour torpiller dans les grandes largeurs le plus beau cuirassé que la France fictionnelle ait produit depuis des années ? Six épisodes pour massacrer consciencieusement ses personnages, les amener prendre des décisions les plus ridicules les unes que les autres, et leur faire jouer des situations les plus rocambolesques ? Un cake indigeste, nappé par-dessus le marché de quelques velléités graphiques tout aussi ambitieuses que ridicules ? Du fameux mouvement circulaire avant/après évoqué précédemment aux faux raccords de la scène d’amour des Schwarz, qui tentent péniblement d’évoquer La Ligne Rouge ?
Ça fait beaucoup pour le suiveur, comme on dit sur le Tour de France.
Et crime ultime pour une fiction : ne pas finir. Un Village Français avait déjà du mal à relier une saison à l’autre : pas de résumé de l’épisode précédent*, pas de scène de réintroduction contextuelle. On sait désormais que ce Village-là ne sait pas non plus faire un dernier épisode. Le Professore resta longtemps abasourdi avec sa petite famille devant le générique de fin, se demandant si c’était bien là la fin de Villeneuve.
* On suppose que, dans ce cas particulier, on fasse appel à « l’intelligence du spectateur »…
mardi 8 novembre 2016
Pas de Printemps pour Marnie
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Pas de Printemps pour Marnie faisait partie des « gros » Hitchcock qui manquaient à la collection du Professore. C’est désormais chose faite avec une diffusion magnifique sur Arte, en une HD remasterisée qui fait péter en technicolor les rouges et les verts de Marnie, la beauté glaciale de Tippi Hedren, et la coolitude absolue de Sean Connery.
Il y a deux films dans Marnie. L’un est réussi, l’autre moins.
Le début est parfait : une voleuse, Tippi Hedren, magnifique et kleptomane. Un riche héritier (Connery) qui le sait mais qui l’embauche quand même. Ce début parfaitement pervers, surveillé de surcroit par l’œil de de la belle-sœur (Diane Baker) va inspirer des générations de film à venir, Lynch en premier.
Puis le couple se marie, révèle à chacun ses traumatismes, ses frustrations, tout cela est un peu longuet, et l’histoire de Marnie se termine par un happy end, même s’il est ambigu, peu digne de Hitch.
Mais on n’oublie pas ces séquences mémorables, la course au renard, le viol marital, le gros plan sur le chignon, et ce travail sur les couleurs, entre le rouge (phobie de Marnie) et sa couleur complémentaire, le vert, qu’on trouve partout, sur les robes, la forêt, jusqu’au final à Baltimore.
samedi 5 novembre 2016
Shotgun Stories
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Brèves de bobines -
Les films ]
Comme pour dire qu’on finit la collection Jeff Nichols, on regarde son premier film, Shotgun Stories.
C’est l’occasion de remarquer le chemin parcouru. Shotgun Stories est un premier film, avec les forces qui vont faire la carrière de Nichols, mais aussi les faiblesses qui seront corrigées ensuite. L’histoire est basique : l’éternelle vengeance des Atrides, au cœur de l’Arkansas. Comment des white trash (ces gitans de l’Amérique), vont se transmettre les rancunes de père en fils, jusqu’à l’absurde.
L’histoire est simpliste, peut être trop. Mais le talent de Michael Shannon se révèle là, lui qu’on avait jusque-là (dans notre cinéphilie sélective) cantonné dans rôles subalternes*: Pearl Harbor, Un Jour Sans Fin, Vanilla Sky, Bad Boys II. Pour Michael Shannon, il y a un avant et un après Shotgun Stories.
* comme on dit dans Drôles de Dames
jeudi 3 novembre 2016
Jack Reacher: Never Go Back
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Comme disent les Inconnus, il y a les bons Jack Reacher et les mauvais Jack Reacher. On avait adoré, à notre grande surprise, le premier Jack Reacher, ses répliques pointues, ses bagarres incroyables et improbables, et une certaine forme d’innocence.
C’est donc sans vergogne qu’on s’est jetés, avec James Malakansar, sur le deuxième opus. Mais celui-ci n’est qu’un simple décalque du premier, sans le talent du scénariste de Ralph McQuarrie, mais celui, un peu daubé, du réalisateur Edward Zwick aux manettes (et aux pommes) depuis Le Dernier Samouraï, dernier bon film vu, ou du fameux Glory.
Tout est mou dans ce second Jack Reacher, un peu à l’image de Synchronicity, le film où Michael Keaton générait des doubles de lui-même, qui sont de plus en plus idiots. Rosamund Pike était pikante, elle est remplacée par Cobie Smulders, une brune fadasse qui joue la MP de service, à qui on ne la raconte pas. Miss Smulders est excitante comme un chargeur de M-16 : n’est pas Demi Moore qui veut. Les dialogues sont moins drôles (on est incapable de citer une réplique de ce Jack Reacher-là, alors qu’on ressort le coup de l’ambulance à qui veut l’entendre*) ; les bagarres sont molles, et il faut dire que Tom Cruise semble avoir un peu abusé des donuts.
Ce qui était peu plausible dans le premier, mais très drôle, est aujourd’hui, totalement, pathétiquement improbable. Et comme notre nouveau couple révèle tout ce qu’il sait dans les taxis ou les navettes d’aéroport, plus besoin d’Echelon ou de la NSA pour qu’on les piste, de Washington à la Nouvelle-Orléans.
Bref, vous n’êtes pas obligés d’aller voir ce Jack Reacher. Pire, si ça passe sur TF1, il vaut mieux regarder PSG-Angers sur Canal.
* Gary: I’m gonna need to see some I.D.
Jack Reacher: Go get Sandy.
Gary: Well, I need to see something.
Jack Reacher: How about the inside of an ambulance?
mardi 1 novembre 2016
Un Village Français, la der des ders
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est parti pour les six derniers épisodes de notre série fétiche sur la France de 40, et, à vrai dire, il est temps que ça s’arrête. La série, qui était composée à 90% de réalisme historique et à 10% d’intrigues feuilletonnantes, est en train d’inverser cette proportion. Elle aligne les rebondissements les plus improbables, les uns après les autres, croyant que ça fait système. Au contraire, le spectateur, dépité, amoureux désabusé de sa maîtresse infidèle, décroche un peu plus à chaque scène.
Ainsi, Müller, dont personne ne nous a dit ce qu’il était devenu (les résumés à l’américaine, c’est vulgaire), revient dans la Grande Scène du IV. Une scène abrupte, absurde, incompréhensible, qu’on explique après (par un dialogue évidemment. Don’t show. Tell, it’s cheaper!) : Müller a été retourné, il est devenu un agent de l’OSS, comme beaucoup de nazis à cette période. N’importe qui, d’Asghar Farhadi à Hitchcock, de Marcel Carné à Steven Spielberg, vous aurait expliqué qu’il faut faire l’inverse, pour créer la suspense, pas la surprise.
Mais bon, UVF n’en est plus là. Elle préfère dépenser son argent dans un très bel effet spécial, qui mélange, d’un tour de caméra, passé et présent ; une façon de montrer que rien n’a changé sous la France de De Gaulle. Car il reste de belles choses dans Un Village Français ; les « corvées de bois » de la Guerre d’Algérie qui s’annoncent dans la scène des prisonniers allemands, les gaullistes qui ne s’embarrassent pas trop de principes, les communistes non plus. Il reste aussi quelques beaux personnages : Larcher, Schwartz, Servier, Bériot.
Dans quelques années, on oubliera les prestations calamiteuses des autres acteurs (peu aidés, la plupart du temps, par des situations scabreuses) pour retenir le courage ultime d’un Servier, la gouaille d’un Marchetti, l’assurance morale d’un Schwartz.
Car Un Village Français nous a beaucoup donné. Et s’il nous a un peu repris ces dernières années, le cadeau originel ne s’oublie pas.
samedi 22 octobre 2016
Deepwater
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
En ces temps de disette cinématographique, le cinéma semble devenu cette oxymore qui veut qu’il y ait toujours plus d’offre et qu’en même temps, cette offre soit toujours la même, c’est-à-dire l’éternel recommencement des séries Marvel, des dessins animés moralisateurs, des films sociaux à la française (tout aussi moralisateurs), des comédies débilitantes et du reboot permanent des franchises, avec magicien, dragons en polystyrène et schoolboy en short d’uniforme anglais.
Dans cet univers post-apocalyptique où plus rien ne nous donne envie d’aller au cinéma, il reste quelqu’un qui n’a pas renoncé à émouvoir : c’est Peter Berg. L’homme du Royaume, d’Hancock, Battleship, des Leftovers et de Friday Night Lights réalise avec Deepwater un très bon film sur la catastrophe de la station de forage qui engendra la plus terrible marée noire que les Etats-Unis aient jamais connu. Ce pourrait être un simple film catastrophe, même réussi. Sauf que.
Sauf que c’est Peter Berg. Un gars qui aime l’Amérique et le dit, qui aime les ouvriers et le montre. Il met des drapeaux américains partout, comme Michael Bay. Ça ne l’empêche pas de questionner l’Amérique. Car Berg est démocrate* tout autant que Michael Bay est républicain. Chez Bay, dans Armageddon (auquel on pense souvent dans Deepwater), c’est l’Etat qui empêche nos héros foreurs de faire correctement leur travail, par son incompétence et sa bureaucratie. Chez Peter Berg, c’est le capitalisme qui impose sa loi du profit maximal. Plus précisément BP, incarné par John Malkovich, face aux vrais gens, les foreurs Mark Wahlberg et Kurt Russell. BP cherche le profit le plus rapide ; tant pis pour les compétents, tant pis pour la sécurité. Il faut, comme le dit Malkovich, que le train continue à rouler. Qui, au passage, propose une fois de plus un méchant original, intelligent mais sans âme, et qui sera finalement puni.
Le talent de Berg est de découper son film en deux parties, une partie d’exposition des personnages et des enjeux (même si on ne comprend pas grand’chose aux problèmes de forage, petite faiblesse du film) et une seconde partie de film catastrophe pur.
Les deux parties sont également réussies, le film d’exposition par son réalisme sans faille, et le film catastrophe parce qu’on a justement installé les personnages, comme ceux de Titanic, Armageddon ou… Battleship.
Berg a ainsi soigné son « héros », Marc Wahlberg, working class hero qui fait bien son boulot, même si son personnage est très basique : un gentil papa, une jolie épouse blonde, un cadeau à ramener. Mais comme toujours dans son cinéma, il y a cette nuance, cette subtilité qui enrichit le propos et en fait quelque chose de totalement différent de la production habituelle. Une certaine épaisseur psychologique : ici, un héros peut pleurer.
C’est ça que dit Peter Berg sur l’Amérique d’aujourd’hui. Une nation qui se croyait sûre d’elle-même, et dont le héros pleure. Et admet sa peur. Et c’est une révolution. Car si tant est que l’Art imite la vie, et partant, que le cinéma américain est la représentation de la psyché américaine, le héros américain pleure. Et a peur.
On n’est pas sûr de devoir s’en réjouir.
* Il interdit en son temps le duo Romney/Ryan d’utiliser pour leur campagne la devise de FNL : Clear Eyes, Full Hearts, Can’t Lose.
mercredi 19 octobre 2016
Heat, La Grande Scène
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les films ]
Hier sur NRJ 12, c’était la Grande Scène de Heat. La scène du tunnel, où Neil (Robert De Niro), qui a tout réussi, après deux heures de trahisons, de flics pugnaces, d’ennemis implacables, et d’alliés éliminés, à garder néanmoins l’argent de son hold-up, à sauver une partie de son gang, et même à convaincre sa belle (Amy Brenneman) de partir avec lui en Nouvelle-Zélande pour oublier tout ça et bâtir une nouvelle vie. Le bonheur, enfin. La paix. Mais Neil va, contre toute attente, retarder son départ pour se venger. Un choix fatal qui va se terminer en tragédie. Car la définition de la tragédie, c’est bien quand le héros agit – en toute irrationalité – contre son intérêt.
C’est sublimement filmé. Neil est dans sa voiture. Il roule dans un océan de lumières qui s’appelle Los Angeles. Neil appelle une dernière fois son mentor (Jon Voight) qui lui confirme que tout est bien qui finit bien ; un avion l’attend, il est dans les temps « So, so long, brother. You take it easy. You’re home free ». Mais qui lui dit aussi, parce que c’est le code de l’honneur du Milieu, qui lui dit que l’objet de sa vengeance, le néonazi Waingro, le traitre qui a planté le gang depuis le début, est à l’hôtel Marquis, pas loin de l’Aéroport. Il lui dit parce qu’il serait impardonnable que cela ne soit pas dit. Mais bien sûr, ajoute-t-il, c’est trop tard. Oui, dit Neil, c’est trop tard. Il raccroche. Il sourit.
Ce moment-là, Michael Mann ne le filme pas n’importe comment, il le filme de manière irréelle. Magique. Parce que ce moment-là, c’est le destin. Le moment où la vie bascule. La voiture entre dans un tunnel éclairé d’une lumière blanche, sépulcrale, intense. Puis on passe au bleu, qui est la couleur de Heat. De Niro sourit, Brenneman sourit. Et le sourire de De Niro se fige. Les spectateurs ont déjà compris ; il va faire demi-tour, se venger, parce que la vengeance est inéluctable, elle est dans les gènes du personnage depuis le début. Et évidemment mourir. La tragédie à l’état pur.
Pourquoi est-ce la Grande Scène ? Parce que si une grande scène définit un film ou un série, alors cette scène-là définit évidemment Heat, la grande tragédie grecque de Michael Mann. Ou plutôt un ensemble de tragédies grecques entrecroisées.
L’affrontement d’un gangster gentleman (De Niro) et d’un flic voyou (Al Pacino), la désespérance d’une gamine suicidaire (Natalie Portman) en quête d’un père de substitution (Pacino, encore), des couples qui se déchirent (Pacino/Venora ou Kilmer/Judd), la lutte implacable entre les voyous qui ont un code de l’honneur (la bande Neil) et ceux qui n’en ont pas (les autres).
Le génie de Michael Mann est bien sûr de mélanger tout cela, à l’instar de ce dernier acte où le réalisateur lie la tragédie de la belle fille de Vincent Hanna (Natalie Portman), et celle Neil, incapable de résister à l’appel de la vengeance.
Don’t tell. Show. Si quelqu’un sait faire cela, c’est bien le Michael Mann de Heat, qui, non content de déclamer la plus belle ode qui soit à Los Angeles, utilise toute la force du symbole pour raconter son histoire. Exemple parmi d’autres : De Niro chez lui, dans son appartement trop grand, qui regarde la tempête à l’extérieur, métaphore de la tempête intérieure qui l’habite. Ou encore la dernière scène des amoureux maudits (Chris/Charlene) où, d’un simple geste de la main, Ashley Judd (dans son plus beau rôle) quitte l’amour de sa vie, mais lui sauve la sienne.
C’est ça le cinéma. Un cinéma sans dialogue, la pure expression de l’image, de la musique, des visages des acteurs, des métaphores et des symboles. Quand, dans le dernier plan, De Niro mourant tend la main pour que Pacino y mette la sienne, c’est le Dieu et l’Adam de la Chapelle Sixtine. Et il devient évident que doit alors retentir le God Moving Over The Face Of The Waters de Moby. Qui est aussi le deuxième verset de la Genèse *
Dès cette image, Heat devint un classique.
*« La terre était informe et vide: Il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. »
Genèse 1.2