vendredi 13 juillet 2018


Tygra, la Glace et le Feu
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Après avoir consciencieusement raté Tygra, la Glace et le Feu pendant toutes les années 80, ça y est, j’ai enfin vu le film héroïco-érotique de notre adolescence. Évidemment, il ne faut pas faire ça : le film paraît incroyablement pauvre, et l’intrigue aussi. Pour autant le film est de Ralph Bashki, c’est-à-dire l’assurance de quelque chose de clivant, qu’on ne verra nulle part ailleurs. C’est l’un des rares dessins animés mais qui soit authentiquement érotique, avec une princesse qu’on ne risque pas de croiser dans un Walt Disney.

L’autre intérêt, c’est l’incroyable qualité de l’animation grâce à la Rotoscopie : on filme des comédiens et on redessine par-dessus, ce qui donne une qualité inégalée de réalisme des mouvements et des corps.

Le documentaire, assez faiblard, qui accompagne le DVD, permet de valider l’idée qu’il ne fait pas bon, quand on est dans un genre populaire comme le fantastique, d’y rester. Malgré son immense talent, Frazetta sera condamné à être l’artiste-qui-dessine-des-Conan-le-barbare…




mardi 10 juillet 2018


Angélique Marquise des Anges
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Il a fallu s’y reprendre en six fois, mais que ne ferait-on pas pour vous, les CineFasters ? Nous avons fini par achever Angélique Marquise des Anges, l’immense chef d’œuvre de Bernard Borderie, malgré ses décors ridicules, son duo d’acteurs Mercier-Hossein complètement nuls (heureusement il y a Jean Rochefort), et son intrigue de bric et de broc.

Il est difficile d’imaginer l’énorme succès que connut la série Angélique* à partir de 1964, et comment ça a pu rester à ce point une Madeleine de Proust. C’est beaucoup moins bien que Sissi Impératrice, déjà très cruche. Certes la Mercier est très belle, mais ça ne suffit pas. La seule théorie que l’on peut échafauder, c’est le trouble érotique. Pour l’époque, c’était le grand frisson au Pathé Louxor. Un peu de torse nu pour madame, des nuisettes mouillées pour monsieur, un bout de relation SM et tout le temps, les lèvres purpurines de Miss Mercier. De quoi faire frémir de désirs inavoués des générations de Roberts et d’Odettes.

Mais on n’est pas obligés de répéter les erreurs de ses parents.

*5 films en quatre ans, ce qui tua la carrière Michelle Mercier :
1964 : Angélique, Marquise des anges
1965 : Merveilleuse Angélique
1966 : Angélique et le Roy
1967 : Indomptable Angélique
1968 : Angélique et le Sultan




dimanche 8 juillet 2018


2001, L’Odyssée de l’Espace
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

2001 ressort en salles, et il n’y a pas de limites à notre émerveillement. On l’a vu 7 ou 8 fois, toujours en salle, car c’est un film qui ne peut pas être vu sur l’écran de télévision. Et pourtant, au-delà de la grande affaire marketing du moment (le réétalonnage effectué par le fan Christopher Nolan (réétalonnage dont on n’a pas vu grand’chose)), il reste toujours de l’espace à la réflexion dans le plus grand et le plus beau film de Kubrick. Pas sur le sens qu’on peut donner au film, puisque cela reste le débat éternel des pro- ou anti-2001. Il y a deux sortes de spectateurs, face au monolithe noir de la cinéphilie : ceux qui n’ont rien compris et détesté, et ceux qui n’ont rien compris et adoré.

On a expliqué dans une chronique précédente qu’on avait été formé à adorer 2001 avant même de l’avoir vu. Mais aujourd’hui, nous sommes capables de faire le devoir d’inventaire et de reconnaître que certaines de nos passions 80s n’ont pas survécu à trente ans de cinéphilie : Stand By Me ou La Vie de Brian, par exemple. Mais 2001 reste un bloc noir impénétrable, propice à la rêverie, à la réflexion et à l’analyse. S’il porte en lui des obsessions habituelles de son auteur, on en découvre à chaque fois de nouvelles. Inventaire.

L’incommunicabilité
Le thème transverse de Kubrick, c’est sûrement L’Odyssée de l’Espace qui l’a le mieux traité, et de la manière la plus extrême. A tel point que c’est peut-être ce qui rend le film inaccessible à une partie du public, en le privant de personnages traditionnels, capable de véhiculer des émotions. Et c’est, paradoxalement, un sujet d’étonnement.

Les films précédents de Kubrick avaient des personnages normaux, même si l’incommunicabilité faisaient partie des défauts des personnages, du Commandant King Kong dans Dr Folamour ou d’Humphrey Humphrey dans Lolita. Les personnages d’après seront dans cette même veine (Alex, Barry Lyndon, Jack Torrance). Et là aussi, ils seront incarnés.

Mais jamais, ailleurs que dans 2001, on trouvera pareilles coquilles vides que Dave Bowman et Frank Poole. Pourquoi ? Mystère. Même si l’humanité Kubrickienne se réduit souvent à une race d’insectes observés à la loupe, ici, c’est glacial. Point de héros, sauf… une intelligence artificielle. Premier indice.

Mais il faut y regarder de plus près. D’abord, tous les personnages ne sont pas joués de la même manière. D’un côté, les personnages « normaux » comme le docteur Floyd, prototype de l’américain sympathique, convivial, capable de discuter cordialement avec l’ennemi soviétique, faire le bon papa avec sa petite fille, et mener « à la cool » une réunion de travail. Pourtant, si on analyse ces scènes avec précision, quelque chose cloche. Floyd ment aux soviétiques sur « l’épidémie » qui ravage Clavius. Pire, il fait semblant de mentir pour crédibiliser l’idée d’une épidémie. L’échange avec sa fille a l’air normal, mais en fait il veut parler à sa femme (qui n’est pas là) et donc la conversation avec la petite fille est en fait artificielle ; il n’a rien à lui dire, et ne lui donne pas satisfaction sur le cadeau qu’elle demande. (On y reviendra, car il y a un autre anniversaire dans 2001). Sur la Lune, on retrouve le Dr Floyd, présenté comme une sommité appréciée. Il attend que l’élément extérieur soit parti (le photographe), ce qui indique que la suite est confidentielle. Et si le bon docteur parle de façon très conviviale, dans le fond il est en train de leur donner l’ordre de se taire. De se taire sur le plus grand évènement de l’histoire de l’humanité ? Sous l’apparence de la cordialité, la dictature.

Ensuite, il y a les astronautes. Et là, c’est une toute autre affaire. Ils ne parlent pas, ils ne se parlent même pas entre eux*. Pourtant ils ont dix-huit mois à faire ensemble, ces deux astronautes. On pourrait supposer qu’ils ont des choses à se dire, des blagues, des histoires à raconter. Non, ils font du sport seul, mangent seuls une nourriture infecte, jouent seuls aux échecs (contre la machine !) et quand ils se mettent à se parler, pour de vrai, c’est pour comploter. Comme Floyd.

Il y a là aussi une scène tout à fait étonnante d’anniversaire. Comme les astronautes sont en direction de Jupiter, les communications avec la terre sont devenues impossibles. Poole reçoit donc un message enregistré par ses parents. Ce qu’ils disent est évidemment convenu : la petite cousine s’est mariée, l’autre entre à l’université, on pense beaucoup à toi, etc. Mais ce qui est extraordinaire, c’est l’attitude de Poole. Il se couche avec un masque orange sur le visage et regarde la vidéo. Il n’a strictement aucune réaction. Dans n’importe quel autre film, le personnage serait amusé, énervé, ou excédé. Mais là, tel une machine, il n’a aucune réaction**.

La fin de l’humanité
Tout cela a un sens. Quand on met ça bout à bout, et qu’on interroge le reste de l’œuvre kubrickienne, tout s’éclaire. Kubrick n’a cessé à la fois de se fasciner pour les machines (dans la vie ou au cinéma) et de questionner ce qui signifie l’humanité. Ce n’est pas pour rien qu’il rêvait de faire I.A., un film qui interroge l’idée même de conscience.

Dans ses films, l’homme se transforme souvent en machine (les procédures mécaniques des pilotes de Folamour, qui mènent au désastre, les officiers des Sentiers de la Gloire qui appliquent les ordres les plus ridicules qui soient… ou ceux de Peur et Désir/Full Metal Jacket, qui se transforment en machines à tuer ou à violer.)

Il y a aussi Alex, qu’on voudrait « réparer », ou Jack Torrance, l’écrivain-traitement de texte, qui tape la même phrase comme un ordinateur buggé. A chaque fois que l’homme devient une machine, la violence n’est pas loin.

Dans 2001, le thème se répète trois fois. Une civilisation extraterrestre essaie de faire avancer les singes (puis l’humanité actuelle) dans la grande galerie de l’évolution, en lui offrant à chaque fois un monolithe noir en guise de manuel. Pourtant, à chaque fois, la violence l’emporte. On explique à un singe comment faire un outil ? Il s’en sert pour tuer ses congénères. On montre la direction de Jupiter au Dr Floyd ? Il cache la découverte aux russes (cela pourrait être une arme décisive). Seul Bowman, en devenant « plus-qu’humain » pourra échapper à la violence. En contrepoint, Kubrick offre un vrai personnage… à une machine : Hal9000 a une personnalité, des sentiments, discute gentiment avec les astronautes, s’inquiète de leur santé. Il est d’abord doué de raison, puis devient paranoiaque, puis fou, puis tueur.

Bref, humain.

La musique
Si l’on dépasse l’anecdote qui veut que Kubrick, après avoir envisagé d’utiliser Pink Floyd ou Alex North pour faire la musique de son film, ait eu la révélation en voyant qu’un monteur avait collé le Beau Danube Bleu sur ses images intergalactiques, il faut s’attarder sur le rôle fondamental de la musique dans L’Odyssée de l’Espace. Car à partir de ce film, Kubrick ne fera plus jamais appel à un compositeur. « Pourquoi prendre quelqu’un alors qu’on a à sa disposition la musique de Beethoven ? » dira-t-il quelques années plus tard.

Il y a quatre musiques dans 2001. Le thème de la transformation, Ainsi Parlait Zarathoustra, qui est devenu l’icône du film, salue chaque progrès de l’humanité. La valse de Strauss, Le Beau Danube Bleu, accompagne le mouvement majestueux des vaisseaux spatiaux en orbite. L’adagio de Gayane, seule « vraie musique de film » essaie de transmettre une émotion aux spectateurs ; le terrible sentiment de solitude des astronautes dans l’espace. Et la musique de Ligeti (Requiem et Lux Aeterna) musique totalement contemporaine puisqu’elle venait de sortir 1966 ; musique « anormale », stridente, atonale thématise la découverte du monolithe sur la Lune, puis le voyage à travers celui de Jupiter, la « porte des étoiles ».

Ces choix ne sont pas anodins. En effet Kubrick a une obsession pour la valse, car la valse, c’est humanité qui tourne en rond, c’est la décadence. (Le Beau Danube Bleu est présent dans la scène du bal dans les Sentiers de la Gloire et signe la fin du monde austro-hongrois, la valse de la Pie Voleuse, celle de l’occident ravagé par les punks d’Orange Mécanique, la Jazz suite de Chostakovitch, le déclin du couple Hartford). Au contraire, la musique de Ligeti, c’est le progrès. Dans Shining, Lontano est le début de la métamorphose de Danny vers un être supérieur qui terrassera Jack, le Père-monstre. Dans Eyes Wide Shut, c’est l’expérience initiatique de l’orgie (sur la Musica ricercata) qui détruit la valse infernale Kidman-Cruise pour que le couple (austro-hongrois, dans le livre) puisse renaître. Ici, Lux Aterna (la lumière éternelle) signe le transmutation obligatoire de l’humanité vers la Nouvelle Humanité, incarnée par le Bowman-fœtus final.

Le conte
La forme du conte a toujours fasciné Kubrick, même si ses films n’ont pas toujours été interprétés comme tels. Le conte comique, voltairien d’Orange Mécanique, par exemple. Mais aussi le conte de fée – façon petit chaperon rouge – de Shining. Ou le conte de noël pour adultes d’Eyes Wide Shut. Ici, il s’agit plutôt du mythe grec, installé homériquement dès le titre. Il est vrai que les Ulysse de 2001 font pâle figure. Mais il s’agit bien de l’odyssée de deux humains rusés, seuls face au monstre : ici, un cyclope à l’œil rouge sait tout de ces misérables humains et envoie des rapports détaillés aux Dieux restés sur Terre. Mais Cyclope déraille, et, dans la tradition de la bonne tragédie grecque, devient fou. Il va bien falloir que les héros trouvent le moyen de tuer la bête. Ils complotent en s’isolant dans une capsule. Mais – figure classique – le cyclope les surprend, et lit le plan sur leurs lèvres. Il tue Frank et les astronautes en hibernation, puis empêche Dave de revenir dans le vaisseau spatial. Pire, il se permet une blague macabre : « Ça m’étonnerait que tu arrives à rentrer sans ton scaphandre ». C’est mal connaître Ulysse: le héros grec a toujours plus d’un tour dans son sac. Dave l’archer (Bowman) fait sauter des boulons explosifs, retient son souffle, trouve un autre scaphandre, pénètre dans le labyrinthe rouge et blanc armé de son épée (un tournevis), puis tue le Minotaure électronique, qui se met alors à chanter… une comptine. La boucle est bouclée.

Les obsessions freudiennes
D’abord, il y a cette scène totalement incongrue de toilettes en zéro gravité. Beaucoup y ont vu un trait d’humour, mais il y a trop de scènes de WC chez Kubrick pour y voir de l’innocence***. Floyd vient souvent en orbite; pourquoi doit-il lire à nouveau les instructions ?**** C’est, là encore, l’illustration de la déshumanisation programmée : si les singes mangent la viande à pleine dent, les humains mangent une fausse nourriture : faux repas en purée multicolores, faux sandwich dans la navette. Manger comme des nouveaux nés, faire caca, ces préoccupations scatologiques sont totalement enfantines. Or, un bébé s’apprête à naître…

Et justement, il y a deux formes dans 2001, le rond et le pointu. Les seins et les phallus. Pendant tout le film, des choses pointues pénètrent des formes rondes.Vaisseaux spatiaux en forme de flèche, capsules et navettes rondes, roue en orbite pénétrée par leur fente centrale…

Et à la fin, surgit le plus incroyable bébé du cinéma. Il sera passé par plusieurs utérus. La station sur la lune, ovoïde rouge sang, les capsules fœtus où complotent les jumeaux Frank et Dave, contre papa Hal 9000. Dans le voyage final, on régresse à nouveau. Bowman passe de l’âge d’homme à celui de mourant en quelques minutes. A chaque plan, un Bowman plus jeune surprend son double plus vieux, puis en contre-champ, le plus jeune a disparu.

Il ne reste alors plus à un Bowman centenaire que de lever le doigt de la chapelle Sixtine (Dieu touchant son créateur, ici le monolithe) pour renaître à nouveau : un fœtus énigmatique, qui lance le regard face caméra le plus troublant qui ait jamais été donné de voir au cinéma….

*Dave et Frank parlent normalement dans une seule scène, celle de l’interview télévisé ; la fausse cordialité, la coolitude assumée du stéréotype mâle américain, est pour les medias, l’extérieur, la société. On voit bien les autres personnages américains de Kubrick qui entrent dans ce moule schizophrène : le Joker, les soldats de Folamour, Jack Torrance ou Bill Hartford.
** D’ailleurs il ne répond pas ce message…
*** Une leçon de morale morbide dans Shining, un suicide dans Full Metal Jacket, Mrs Kidman qui s’essuie dans Eyes Wide Shut
*** copyright James Malakansar




vendredi 6 juillet 2018


Retour à Baltimore
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Autant il est déconseillé au touriste de revenir sur ses pas – le Professore se refuse de retourner en Égypte tellement il fut illuminé par ce premier voyage -, autant la cinéphilie vit littéralement de ces retours. Parfois ce n’est pas une bonne idée ; on découvre le chef d’œuvre de jeunesse pas si bon que ça ; parfois, il y a toujours matière à creuser dans la mine à ciel ouvert : Armageddon, 2001 L’Odyssée de l’Espace, Rio Bravo, etc.

La série se prête peu à l’exercice, car il faut se replonger dans des dizaines d’heures d’épisodes. Mais là, il s’agit du voyage initiatique à Baltimore, Sur Ecoute-The Wire, la clé de voûte de la grande cathédrale de la série américaine. Partant, de la série tout court.

On emmène le Professorino avec nous, lui qui rêve de bicraver en bas de sa cité du East Side. Et voilà qu’on aborde les rives de la terrible cinquième saison, la dernière, la plus mauvaise, le final. Et nous voilà de nouveau obligés de faire le deuil, quitter McNulty et Omar, Bunk, Marlo et Barksdale, Carcetti et Sobotka, bref les deux cent personnages de ce fabuleux roman russe qu’est The Wire.

Cette nouvelle visite est très étonnante, en ce qu’elle amortit les déceptions du premier visionnage. A l’opposé, elle amène à relativiser certains amours fous. On découvre ainsi que Sonja Sohn ne joue pas si bien que ça notre Kima, mais que la saison 2 (dite « du port ») est bien plus forte, bien plus solide, que dans notre souvenir. Ou que Marlo, le nouveau baron de Baltimore, est un personnage bigrement intéressant.

Cela ramène à l’idée que la première fois, on n’avait rien compris à l’intention de The Wire. Ce n’était pas le traditionnel copshow hard boiled autour de Bunk/Mc Nulty et de leurs aventures dans le inner city baltimorien. Ce n’était d’ailleurs pas une série traditionnelle non plus. Le personnage principal pouvait disparaître saison 2 puis revenir en majesté. Des gens pouvaient mourir, des gens allaient mourir. Pire, des gens allaient tout simplement s’effacer, jusqu’à disparaître…

Et il ne fallait pas, ô spectateur, en être attristé.

Car derrière ces apparentes anomalies dramaturgiques, il y avait un plan d’ensemble, qu’évidemment, nous ne pouvions saisir au premier visionnage. Il fallait avoir tout vu pour comprendre que David Simon voulait faire bien plus, tout simplement le portrait d’une ville. Avec ses flics, ses gangsters, ses dockers, ses instituteurs, ses politiciens, ses journalistes…

Une fois que tout serait dit, alors la révélation serait complète. Sur Ecoute régnerait pour toujours.




mercredi 4 juillet 2018


Hostiles
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -Les films ]

Un bon western, ça ne se refuse pas. Celui-là avait l’air très bien. Et c’est le cas : un capitaine de cavalerie au bord de la retraite, vétéran des guerres indiennes, se voit confier une ultime mission : escorter le chef qu’il a combattu jusque dans le Wyoming, pour que celui-ci meure parmi les siens. Après la guerre, vient le temps de la real politik. Pour pacifier les indiens, il faut aussi des symboles. Mais comment oublier les morts ? Les rancunes et les rancœurs ?

Sur ce très beau sujet, Hostiles ne marche pas complètement. Il y a une forme d’auto-contemplation gênante comme si le film ne le lassait pas de se regarder dans le miroir : « comme je suis beau ! comme je suis triste ! Comme je suis ému ! » Mais néanmoins, le film est agréable, magnifique sur le plan visuel, et, en matière de western, c’est ce qui se fait de mieux en ce moment…




lundi 2 juillet 2018


« Vive la France, Vive la République ! »
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Il y a trois semaines, ce vieux pays paradait. Notre magnifique Equipe de France allait tout gagner. Il y a quatre jours, on était aux fraises. Soudain, nos footballeurs ne voulaient plus jouer (idée bizarre, quand on y pense). C’était une bande de feignants trop payés qui ne couraient pas assez vite, des traîtres à la patrie pas assez motivés.

Ces critiques, bizarrement, on ne les entend jamais à propos du Tennis, du Rugby, ou du cinéma français. On ne reproche pas à nos artistes de ne pas bien représenter la France (Depardieu pissant dans un avion, au hasard), de ne pas payer ses impôts en France (tout le tennis français), de refuser de jouer en Equipe de France pour la Coupe Davis (une partie du tennis français). On ne reproche jamais au rugbyman français d’être un jean-foutre*, de ne pas courir assez vite, à un tennisman de ne pas avoir assez envie. Pourtant, tandis que le tennis français ne gagnait rien depuis Noah**, la France des fainéants gagnait deux Euro et une Coupe du Monde.

Mais voilà, les tennismen français, les rugbymen français, les artistes français, sont les bons représentants (blancs, éduqués) de la bourgeoisie française, et de ses loisirs. Le foot, sport des prolos, est joué par pire que des prolos (des noirs et des arabes !). L’ouvrier, on le sait, est souvent suspecté d’indolence…

Même Griezmann, le chouchou national, si mignon, si blanc, si français de souche, a fini par subir les foudres de la presse et des 60 millions de Footix, ces sélectionneurs amateurs qui ne s’intéressent au foot que tous les quatre ans. On peut se demander pourquoi ils s’y intéressent, d’ailleurs, vu le mal qu’ils en disent le restant de l’année. A moins de vouloir afficher, jusqu’aux joues (à coup de sticker bleu-blanc-rouge offert par les sponsors), un patriotisme de façade***.

Mais voilà l’Argentine. Le choc. La montagne. Messsi, Le-Meilleur-Joueur-Du-Monde. Et voilà, quatre à trois. Et la France se met à nouveau à rêver.

Pauvre France.

* Ce qu’il n’est pas plus qu’un footballeur…
** Les filles remontent heureusement le niveau (Wimbledon, Open d’Australie, Roland Garros…)
***On dit souvent que la foule du 13 juillet 1998 ressemblait à Libération de Paris. On pourrait y voir un troublant parallèle… Qui avait le plus à cœur de démontrer son patriotisme ce jour-là, sinon ceux qui n’avaient rien fait ?




jeudi 28 juin 2018


Théorème
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Théorème fait partie des cathédrales du cinéma qu’il faut avoir vues. On avait déjà vu deux films de Pasolini sans être convaincu : Médée, au lycée et les 120 journées de Sodome, beaucoup plus tard. Le Professore a beau avoir fait la guerre, être diplômé de l’Ecole d’Application de l’Artillerie de Draguignan, avoir arrêté avec ses hélicos une offensive de chars russes (virtuels) lors de l’opération KekerSpatz, il en avait été fort éprouvé. On rêvait néanmoins de voir Théorème , qui possède une réputation flatteuse depuis longtemps.

Las ! C’est une bouse théorique insupportable, mélange de sexe et de religion. Dans le genre, Depeche Mode a depuis fait beaucoup mieux (sans le marxisme)… Théorème doit surtout son succès au charme vénéneux de son interprète principal, Terrence Stamp et du pitch, multi rebattu. Tel le démon tentateur, Stamp (aka l’Amour Divin) arrive dans une famille de la haute bourgeoisie italienne et couche avec tout le monde : la mère, le père, la fille, le fils, la servante… Puis il repart, suite à un étrange télégramme*…

Comme quoi, il faut toujours se méfier des emballements d’époque. Peut-être jugera-t-on les films qui gagnent des festivals avec beaucoup plus de recul dans quelques années…

*« Et chacun, dans l’attente, dans le souvenir, comme apôtre d’un Christ non crucifié mais perdu, a son destin. C’est un théorème et chaque destin est son corollaire. » CQFD, non ?




mardi 26 juin 2018


Westworld saison 2
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Séries TV ]

Déconstruction, voilà le maître mot. Depuis les films de Terrence Malick, une mode bien pratique s’est installée dans le cinéma : le montage asynchrone, où le mélange des temporalités. Mais n’est pas le Dunkerque de Nolan qui veut.

La complexité, c’est souvent un cache-sexe bien pratique pour cacher l’indigence du propos. Si le spectateur trouve ça trop compliqué, il se met d’office dans une posture anti-intellectuelle. Et le Professorino a beau jeu de chanter, en chœur avec la meute, l’antienne « c’est que tu n’as rien compris ! ». Si au contraire tu trouves ça brillant, intriqué, post-moderne, tu fais partie des génies à qui s’adresse le film/show. C’était le cas de certains Nolan, des derniers Malick (Le Nouveau Monde, Tree of life), et c’est totalement le cas de cette saison deux de Westworld où la cathédrale gothique de la saison une accouche d’un unique thème : l’immortalité. Comme c’est la période du bac, élève Nolan (Jonathan), vous avez dix heures, coeff. 4.

Mais on peine à comprendre où on veut en venir. Pas loin, une fois le dernier (et poussif) épisode… L’immortalité, oui, mais encore ? Deux ou trois rebondissements scolaires « X n’est pas ce que l’on croit », « nous ne sommes pas à l’époque que vous croyez » et « nous ne sommes pas vraiment où vous croyez être »… Des artifices déjà – trop – largement utilisé par l’un des producteurs exécutifs de Westworld, un certain JJ « Lost » Abrams.

Par ailleurs, la saison aura un peu trop abusé des gunfights ; beaucoup de robot sont morts (concept qui ne veut pas dire grand-chose, vous en conviendrez) pour arriver à ce dénouement minuscule. D’ici à penser que hémoglobine + montage déconstruit servent à cacher la misère, il n’y a qu’un pas…




samedi 23 juin 2018


Unsolved : The Murders of Tupac and the Notorious B.I.G.
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

C’est mal fait, mais c’est tellement intéressant. Cette série USA Network est l’adaptation du livre* de Greg Kading, le flic de Los Angeles qui piloté le cold case des célèbres meurtres, en 1996-97, de Notorious B.I.G.et Tupac Shakur. Pour sa part, le Professore Ludovico avait lu – et adoré – L.A.byrinthe** sur le même sujet.

Unsolved mélange plusieurs époques, l’ascension des deux rappeurs dans les années 90, l’enquête de Russell Poole en 1997 et celle de Greg Kading en 2006. Mais tout cela ressemble plus à un docudrama très cher qu’à une véritable série. Les personnages sont inconsistants, bâtis sur les pires clichés de cop shows depuis Starsky&Hutch. Les grands comédiens du cast, issus de Westworld (Jimmi Simpson) ou The Wire (Wendell Pierce), ne suffisent pas à maintenir le bouzin à flot. Les dialogues ne servent qu’à « transmettre » les évolutions de l’enquête et faire passer le spectateur aux checkpoints de l’intrigue.

Mais c’est le sujet qui peut – éventuellement – intéresser le CineFaster. En deux mots, suite à un accrochage à un carrefour en mars 1997, une course poursuite s’engage dans le centre de Los Angeles. Au pays des armes à feu, ça se termine par une fusillade. Un conducteur noir est tué. Par un flic. Blanc. Dans le contexte explosif des années 90 (affaires Rodney King, OJ Simpson…), l’affaire est embarrassante pour le LAPD. D’autant plus que la victime est aussi un policier, plutôt louche. Il travaille au black comme garde du corps pour Death Row, le label de rap du sulfureux Suge Knight, dont les méthodes commerciales sont pour le moins violentes. En tirant les fils, les inspecteurs découvrent un vaste réseau de flics corrompus, (notamment le commissariat de Rampart). Et établissent des liens avec les meurtres de Tupac et Notorious B.I.G. survenus quelques mois auparavant, attribués à la guerre du rap est-ouest, et non résolus…

Si on aime L.A., James Ellroy, et la corruption babylonienne de « Cali », on fera l’effort de supporter les grosses lacunes d’Unsolved. Si on aime que le cinéma, il y a mieux à la télé en ce moment …

* Murder Rap: The Untold Story of the Biggie Smalls & Tupac Shakur Murder Investigations
** L.A.byrinthe, Enquête sur les meurtres de Tupac Shakur, Notorius BIG et sur la police de Los Angeles de Randall Sullivan




samedi 16 juin 2018


Nous étions Marquis de Sade…
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

Voilà quelque chose qui n’a pas l’air d’avoir grand-chose à voir avec la cinéphilie, et pourtant… C’est peut-être tout simplement la passion. Le fait simplement d’« être fan » comme chantait Pascal Obispo. On y reviendra, d’ailleurs, à Obispo.

Le mois dernier, je suis allé voir Marquis de Sade en concert. Un rêve que je caresse depuis 1980, quand je lisais dans Best des articles élogieux sur le groupe leader de la No Wave française. La rubrique Frenchy but Chic nous donnait des nouvelles, nous qui étions, à Saint-Arnoult-en-Yvelines, à 55 km du front. Et nous étions fan de Marquis de Sade, simplement parce que Best le disait, et que ça vous donnait une incroyable crédibilité de prononcer ces mots « Marquis de Sade », « Rue de Siam » « Wanda’s loving boy » ou de les graver au marker sur son sac US.

Enfin en 2018, j’ai pu les voir en concert, et surtout j’ai pu écouter pour la première fois leur musique sur iTunes. Parce que oui, j’étais fan depuis quarante ans d’un groupe dont je n’avais pas écouté une seule note de musique. Impossible d’acheter les disques, même à Rambouillet. Trop loin, trop cher. Impossible aussi pour mes amis, donc pas non plus de cassette pirate .

Quel rapport avec la cinéphilie ? Et bien c’est la même chose. Un ami de lycée, Olivier avait le livre de Ciment sur Kubrick. Et ce livre disait que Kubrick était le plus grand cinéaste du monde. Donc on l’a cru. Pourtant, on n’avait vu qu’un seul film : Shining. La passion c’est ça ; l’amour inconditionnel. Ce qui n’empêche pas toute une vie durant de chercher des preuves d’amour.

Pendant le concert, Philippe Pascal a fait quelque chose d’extraordinaire. Entre deux chansons il a présenté le groupe en disant « Nous étions Marquis de Sade… » Typiquement, quand, disons, les Rolling Stones arrivent sur scène, c’est « Bonsoiiir Paris, nous sommes les Rooolliiing Stoooones ! » Pourtant, ils ne sont plus, et depuis longtemps, ce qu’étaient véritablement les Rolling Stones. Ancien boutefeux du vieux monde, ils sont forcément devenus, comme Marquis de Sade, des membres de la bourgeoisie*…

Mais « Nous étions Marquis de Sade… », c’est autre chose. Une façon d’indiquer que l’on est dans une capsule temporelle où l’on va jouer les chansons de 1979 comme si on y était, en ’79. La crise, la peur nucléaire, la France de Giscard. Mais après le concert, ce sera fini. Parce qu’objectivement, c’est fini. Le vieux monde est mort, un autre est né, avec ses qualités héritées des agitations des Stones et de Marquis de Sade (entre autres) et avec, aussi, de nouveaux défauts…
Mais dire « Nous étions Marquis de Sade… », c’est indiquer qu’on peut chanter sans risque des chansons romantiques sur la Bande à Baader, les sous-marins et les icebergs, ou Dantzig. S’il n’y avait pas cette capsule, ça aurait eu un drôle de goût.

Mais là, c’était parfait**…

* Comment croire que Jagger ne peut obtenir satisfaction, lui qui se promène dans son sous-marin personnel et qui vit dans un château de la Loire ?
** Daho, mais surtout Obispo, sont venus chanter avec MdS. L’hommage de ces megastars françaises au groupe qui leur a donné envie de tenir une guitare était très émouvant. Mais c’est surtout Obispo, qui connaissait par cœur Wanda’s loving boy et dansait comme un fou, qui a donné le plus beau des sens aux paroles écrites en 2004 : « Si j’existe, c’est d’être fan… »