samedi 16 juillet 2011
Comme les 5 Doigts de la Main
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Scénario à tiroirs, polar mâtiné de tragédie familiale, humour et action, le tout porté par une mise en scène millimétrée et cinq comédiens incandescents au sommet de leur Art : et si Comme les 5 Doigts de la Main était le meilleur film français de l’année ?
Naan, j’déconne…
J’aime bien Arcady, qui a fait de bons films (Le Grand Pardon, L’Union Sacrée), j’aime bien Bruel, à qui il arrive d’être excellent (PROFS, Toutes Peines Confondues, Profil Bas, Le Code a Changé), mais là, c’est pas possible !
Comme les 5 Doigts de la Main ne fait que rêver de la chronique ci-dessus. Cette chronique, c’est le film qu’il voudrait être au plus profond de lui-même, mais le film d’Arcady n’est qu’un vilain petit nanar.
Le pitch déjà, vaut son pesant de houmous : quatre frères fêtent Kippour à Paris avec maman (Françoise Fabian, formidable en mère juive qui s’évanouit toutes les trente secondes, parce que le couscous est trop sec, ou parce que son fils a une balle dans le bide) ; en parallèle, un cinquième et mystérieux personnage est en cavale à Marseille, avec un sac de sports sur le dos, un sac rempli de billets.
On portera au crédit de Comme les 5 Doigts de la Main cette première demi-heure, qui amène l’histoire et les personnages par touches impressionnistes ; c’est bien fait, on veut en savoir plus.
C’est après que ça se gâte, parce que les personnages sont caricaturaux, injouables, et donc mal joués. Jugez plutôt : Dan Hayoun (Patrick Bruel) est le bon fils qui a réussi, avec son restaurant italien de luxe. Mais c’est aussi… un ancien sniper… Hmm… Hmmm… C’est aussi un mari terriblement jaloux, qui arrange les coups avec son petit sourire en coin, copyright Patriiiiiick!!! 1989.
Jonathan Hayoun (Pascal Elbé), est pharmacien, c’est l’extrémiste religieux de la famille. Il se balade jamais sans kippa, il a même des rechanges dans sa poche (sic).
Julien Hayoun (Éric Caravaca) est le petit dernier, il a pas réussi, il est prof (resic), dans un lycée de banlieue (reresic) plein d’arabes (rereresic).
Quant à Michael (Mathieu Delarive), cherry on the cheesecake, c’est le flambeur de la bande : il joue… kolossal ironie, au poker ! dans un cercle de jeu sponsorisée par Winamax* (sic au carré)… Et le personnage de Patrick Bruel l’enjoint… à jouer moins… (sic x 10 puissance 56)
Je vous passe l’heure qui suit : en gros, ça tourne à un bon Chuck Norris : « Cette fois-ci, c’est personnel !!! ». On découvre que le cinquième personnage n’est autre que David Hayoun (Vincent Elbaz, décidément pas fait pour la tragédie), le Hayoun qui a vraiment mal tourné : braqueur, il a balancé un gangster gitan qui est désormais à sa poursuite, vu qu’il est parti avec le butin. La boulette !
Bruel et ses frangins affronteront donc le gang de gitans (séquence culte avec pharmacien hassidim, M-16 à la main), on révélera que le frangin en cavale avait un bon fond, un secret familial sera révélé, et la famille enfin réunie dans les calanques, façon Château de Ma Mère vs Citizen Kane…
Car à l’image du Rosebud final, le film d’Arcady ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. Arcady a toujours été comme ça, plongé dans sa fascination du cinéma US, à vouloir faire son Parrain, ou son Arme Fatale. Mais ici, c’est Miss Catastrophe que tu fais, mon petit Alexandre : vannes foireuses, et humour juif au milieu d’une scène dramatique (Bruel qui lance à Elbaz en sang, une balle dans le bide : « Et tu oses nous faire ça le jour de kippour ?
On passera, parce qu’on est gentil, sur les sous-entendus racistes du film (les arabes sont bonniches, élèves de banlieue, flics, ou barbus islamistes, mais bon on peut s’entendre, parce que ça nous rappelle l’Algérie, hein !) Par contre, les gitans, ça rigole pas : ce sont des gangsters sanguinaires, sadiques et déloyaux.
Moment culte du film, façon Les Nuls-Hassan Cehef : Bruel et les frangins vont acheter des armes dans une cité. Le trafic d’armes est évidemment tenu par des islamistes (ils sont barbus, et vêtus de blanc (la tenue de camouflage habituelle d’Al-Qaeda). Bruel commence à faire son marché. A chaque fois que les Hayoun achètent une kalachnikov, on croirait entendre le vendeur, fanatique mais serviable, lui répond « C’est possible ! »
Vous l’aurez compris, il ne faut rater sous aucun prétexte Comme les 5 Doigts de la Main. Le film est parfait pour une soirée DVD, à déguster entre amis, avec une bonne bière et des pizzas et, superbonus ! En version française !!
Allez, une petite dernière pour la route ? « Si 6 milliards de gens ont pas réussi à retrouver Ben Laden, je vois pas comment trois flics pourraient retrouver David Ayoun !! »
NB Spéciale dédicace à Michel Vaillant qui nous avait chaudement recommandé Comme les 5 Doigts de la Main (au troisième degré) lors d’une AG CineFast.
*Pour ceux qui ne s’intéressent pas Texas Hold Em, Winamax est le plus gros site de poker français et appartient notamment à Patrick Bruel
jeudi 14 juillet 2011
Coup de Tête/Patrick Dewaere, la Bombe Humaine
posté par Professor Ludovico dans [ Les films -
Les gens ]
Hier je suis tombé sur Coup de Tête, et évidemment, je suis resté jusqu’au bout. Tant il est vrai que la présence de Patrick Dewaere est si magnétique, que nous, pauvres électrons bombardés de protons, le rythme de la ville, c’est ça notre vrai patron, sommes incapables de résister. Et c’est d’autant plus vrai que Coup de Tête est le meilleur film de Jean-Jacques Annaud. Bien sûr, il y a aussi Jean Bouise, Michel Aumont, Corinne Marchand, Gérard Hernandez et même Jean-Pierre Darroussin en jeune photographe. Bien sûr, le dialogue est ciselé, le scénario en béton, et on connaît maintenant les répliques par cœur.
L’argument est simple : François Perrin joue au foot dans l’équipe de Trincamp, petite ville qui vit au rythme du notable local (Jean Bouise), qui possède tout et évidemment le club de foot. Une jeune femme (France Dougnac) se fait violer par le capitaine de l’équipe. À quelques jours d’un match capital en Coupe de France, on préfère coller le viol sur le dos de Perrin. Mais après un accident de car, on fait sortir Perrin pour le match, où, évidemment, il marque les deux buts de la victoire.
Trincamp acclame alors Perrin comme il se doit, mais pour lui, le temps de la vengeance a sonné.
Certes, le film a pris un petit coup de vieux depuis 1979.
Sauf Dewaere.
C’est sûrement compliqué à comprendre aujourd’hui, mais Dewaere, c’était notre Kurt Cobain des années 70. Il n’y avait qu’un groupe de rock (Téléphone) et il passait très rarement à la télé. Mais il y avait Dewaere : un type qui se battait dans ses films contre l’injustice (Le Juge Fayard dit Le Shérif), la police corrompue (Adieu Poulet), le poids des convenances (Préparez vos mouchoirs). Un rayon de soleil dans la France pompidolienne dont avait hérité Giscard*.
Patrick Dewaere était beau, Patrick Dewaere était dangereux, Patrick Dewaere était fou. Et ça nous faisait beaucoup de bien.
Il fallait le voir hier, face au jeu un peu vieilli de ses comparses, vouloir rerentrer dans la prison où les bourgeois bien pensants de Trincamp l’avaient jeté, pour comprendre l’intensité du jeu dewaerien. Ou dans Série Noire, se fracasser littéralement la tête contre le capot de sa voiture.
Dewaere ne jouait pas, il était Patrick Dewaere. Et il était le meilleur acteur du monde, au niveau des de Niro et Pacino.
Et il le restera toujours, dans une poignée de film que la TNT nous permet de revoir.
N’ayons pas de regrets : qui voudrait d’un Dewaere vieux et bedonnant…?
*Effacé par une fin de septennat catastrophique, on a oublié que Giscard avait été un président moderne : libéralisation des télés, IVG, majorité à 18 ans.
lundi 11 juillet 2011
Girlfriend experience
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films -
Les gens ]
William Burroughs, inventant le cut-up, voulait faire effectuer à la littérature un « bond en avant narratif identique à celui du cinéma ». Coupant littéralement des journaux en quatre, puis réservant le même traitement à des pièces de Shakespeaere, les collant ensuite aléatoirement bord à bord, ce qui peut donner des phrases du type « être ou ne pas être suivi par les recommandations de l’autorité de régulation, Orioles battent quelque chose de pourri au royaume du Danemark »…., recopiant ensuite le tout, recoupant jusqu’à trouver – finalement – la perle rare : « festin nu », « heavy metal », « blade runner », voilà quelques trouvailles du vieux Bill.
Si Burroughs a eut une influence considérable, on ne peut pas dire que la méthode du cut up se soit imposée. Mais son influence est là, souterraine, comme on peut l’imaginer dans Girlfriend Experience, un film de Soderbergh de 2009, où l’on suit par petits morceaux la vie d’une escort girl new yorkaise (l’ex pornstar Sasha Grey, magnifique) et un prof de gym (Chris Santos).
Une girlfriend experience, c’est quoi ? C’est à ces petites choses que l’on voit l’utilité de Wikipedia : c’est quand une escort girl accepte de faire plus que la petite prestation habituelle, c’est à dire qu’elle ne pose pas de limite de temps, et qu’elle s’implique émotionnellement, acceptant, notamment, d’être embrassée…
Girlfriend Experience, le film, c’est l’incarnation de l’adage Hollywoodien : « One for them, One for me » ; j’accepte de me prostituer sur vos gros blockbusters, si vous me laissez faire un film d’auteur. Un truc où Soderbergh est passé maître : Hors d’atteinte ramène plein de thunes, laissez-moi faire L’Anglais, avec Erin Brockovitch laissez-moi faire Traffic, et avec Ocean Eleven, je ferais Full Frontal, ou Solaris.
Tourné pour seulement 1,3M$, avec ces nouvelles caméras Red One (dont il faudra qu’on parle un de ces jours), Girlfriend Experience fait parler de ces films expérimentaux, mais très léchés, qui rendent Soderbergh éminemment sympathique. Voilà un gars qui ne réussit pas tout, mais au moins qui essaie.
Ici, nous sommes dans le vague : quel est le message, sinon le désarroi urbain ? Tourne en pleine élection d’Obama, on suit tour à tour l’escort et son copain prof de gym, et les relier l’un à l’autre prend déjà un certain temps… S’ensuit un vague message sur la marchandisation du monde, du corps des hommes et des femmes, mais ça reste superficiel, vu la technique cut up de l’ensemble.
Mais on s’attarde avec plaisir sur ces visages parfaits, filmés dans de beaux appartements, de luxueux restaurants, qui ânonnent néanmoins des conversations banales et inintéressantes… ce qui en dit plus sur l’Amérique d’aujourd’hui que pléthore de films… Soderbergh prouve qu’on peut raconter une histoire en l’explosant en bouts minuscules…
On y retrouve aussi les préoccupations de Soderbergh, depuis le premier jour, c’est à dire le Sexe, les mensonges et la vidéo. Sacha n’est que la énième itération des frustrations sexuelles de Soderbergh, et on peut se demander si le marchand de bagels de la scène finale, qui a tant besoin d’être embrassé, n’est pas le réalisateur lui-même…
vendredi 8 juillet 2011
Transformers 3
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Assez ri.
Après la phase « Cinéma Iranien », revenons au fondamentaux : Transformers 3. Hélicos, explosions, baffes dans la gueule. En 3D*.
Après avoir dit tant de bien du premier, difficile de désavouer les suites, pourtant un peu lourdes sur l’estomac. Le Whopper c’est bien, le double Whopper c’est trop.
Et dans Transformers 3, il y a cette couche de graisse en trop, vingt bonnes minutes de baston, de répliques pas forcément cultes : « Les decepticons sont derrière le pont ! Feu à volonté !!! », etc., etc., On aurait pu, comme Pirates des Caraïbes 2, 3, 4, mettre les Transformers 2&3 à la diète.
Mais bon : pour toujours, Transformers restera un film-jouet ; il faut l’accepter. On avait parlé de bac à sable la dernière fois, et c’est toujours d’actualité : c’est comme si on avait les robots dans la main, et de l’autre, on empoignait un vieux Goldorak en plastoque, en hurlant les dialogues : « Ecoute moi Megatron, tu vas diiiiire à tes copaaaaains… » Il faut noter à ce sujet que dans la salle, les gens applaudissaient, riaient, hurlaient comme des enfants… Sept ans et demi, pour toujours…
Et comme Transformers 3 est un peu long, un peu basique, ça laisse le temps de réfléchir au sous-texte (toujours intéressant, lui !) et de préparer sa petite chronique CineFast.
De quoi ca parle, Transformers 3 ? Ben, de l’Afghanistan, pardi, et de la fin de la War on Terror ! Les héros sont fatigués, et l’Amérique, pas reconnaissante : Sam Witwicky est au chômage, et Obama lui a juste filé une médaille. « On s’en fout, nous on est républicains ! » comme le dit un des personnages et comme le pense, probablement, Michael Bay.
La guerre est finie, et les américains renient même leurs valeureux alliés, Bumblebee et consorts. Comme d’habitude chez les cinéastes républicains (Bay, Bruckheimer), c’est l’Etat qui a foutu la merde (voir Armageddon (là, là et là), je ne vais pas redévelopper ici). Donc, plus de navettes spatiales, opérations de cover-up sur la Lune, et tout le fric parti en fumée. Pire, on a confié la lutte contre l’Empire du Mal à une femme (Frances McDormand), une vierge noire psychorigide qui n’écoute pas ceux qui savent, les vrais héros…
Mais à cette petite musique vient s’en rajouter une nouvelle, pour le moins étonnante : la critique de l’entreprise, du business. Car qui a ruiné le programme spatial : des comptables ! En truquant les chiffres, ces salauds ont fait croire que le programme spatial était trop onéreux ! Et l’Etat , lâche comme toujours, a renoncé…
Autre piste, la culture d’entreprise : celle-ci se voit ridiculisé via les entretiens d’embauche délirants de Sam et particulièrement celui avec John Malkovich, caricature de l’entrepreneur imbu de sa personne, imposant dress code et couleur fétiche (IBM ? Apple ? les PCs du films sont des Lenovo, donc des IBM chinois). Acmé de tout ceci : une baston hallucinante dans des bureaux, où tout vole en éclats : ordinateurs, bureaux, cubicles… des papiers voletant dans le ciel de Chicago, la capitale du Midwest, pourtant cher à la Mythologie Bayenne.
On ne peut s’empêcher de penser aussi au World Trade Center, devant ces bâtiments éventrés, découpés, torturés par les decepticons… Démolir l’Etat centralisateur, le Pentagone manipulateur, passe encore, mais attaquer la corporate america, là c’est grave !
Et on se dit que nous amis américains, la deprime guette : eh les gars, ça a pas l’air d’aller très fort…
Ce qui nous ramène à la chronique 1 de Transformers : un film brillant, amusant, incroyablement riche, mais aussi le reflet inquiétant de la dépression américaine.
Bay était, avant 9/11, l’épigone de l’optimiste béat de l’Amérique. Il est devenu le peintre acide de ses doutes.
*Transformers 3 est évidemment en 3D, et évidemment, ça n’apporte rien. Les pubs M&M’s étaient mieux…
jeudi 7 juillet 2011
Une Séparation
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Quand Notre Agent au Kremlin ordonne, on obéit. Va voir Dans Ses Yeux, on y va. Va voir Une Séparation, on y va aussi. Euh…Une Séparation, le film… Iranien ? Soldat, un ordre n’est pas fait pour être discuté, et de plus, Notre Agent au Kremlin ne se trompe jamais. Mais quand même, un film iranien ! Ça fera seulement le deuxième après un Abbas Kiarostami de sinistre mémoire, Au travers des Oliviers !
Sauf que Une Séparation, ce n’est pas un film sur la-condition-de-la-femme-en-Iran, c’est un polar. Enfin, pas que, c’est un polar et un film sur la condition de la femme en Iran.
Le genre de film qui commence tout doucement, et qui ne vous lâche plus, qui vous étrangle lentement, et vous laisse pantelant, un soir d’été sur un trottoir de l’Odéon.
Une Séparation commence donc, comme son nom l’indique, par un couple qui se déchire : la femme veut partir à l’étranger, lui ne veut pas abandonner son père atteint d’Alzheimer. Elle veut divorcer, il refuse. Entre les deux, une ado qui ne sait pas à quel saint se vouer. Mais cette séparation va avoir des conséquences pratiques : qui va s’occuper du père dans la journée ? On embauche donc une femme de ménage, mais très vite, les problèmes s’accumulent avec cette femme, très pauvre, très religieuse, qui a du mal à s’occuper d’un homme. De plus, le mari n’a pas l’air très au courant des activités de sa femme.
Petit à petit, le film plonge dans le fait divers le plus glauque, mais aussi le plus ordinaire. Et joue sur une horrible – et occidentale – tentation : malgré les tchadors qui sont partout, le spectateur penche immédiatement vers le couple bourgeois (sous le voile perce quelques cheveux teints, et un jean), et l’on rejette évidemment le couple prolo ultra religieux, psycho rigide, misogyne. Comme dans Gone Baby Gone – encore un film du Panthéon commun du Professore et de Notre Agent au Kremlin – on voudrait que tout le monde s’en sorte, même au prix de quelques petits mensonges ou demi vérités, qui évidemment, vont devenir de plus en plus dévastateurs. Car, comme dirait Kubrick, la vie, ce n’est pas comme dans les films de Frank Capra.
Le génie d’Une Séparation est multiple ; c’est d’abord un très grand film, impeccablement joué, par cinq comédiens à tomber par terre. C’est ensuite un scénario simple mais fabuleusement limpide, vertigineux qui, jouant de nos réflexes de base, nous associe tour à tour au père, à la mère, à l’ado… Et nous montre l’étendue de nos compromissions quotidiennes : on est chez le Haneke de Code:Inconnu.
C’est aussi un grand film hitchcockien, avec des personnages condamnés à faire l’inverse de leurs intérêts les plus évidents… Le tout filmé avec une économie de moyens stupéfiante, dans quelques appartements, un bureau, une rue toujours filmée au plus près, pour renforcer cette sensation permanente d’enfermement.
Car Une Séparation est aussi un grand film politique. Evidemment, c’est un film sur l’Iran. En montrant, dans cette allégorie, l’absurdité d’un régime cadenassé par les obligations, religieuses, sociales, ou tout simplement économiques. Les personnages, qu’ils appartiennent à la petite bourgeoisie ou au lumpen prolétariat, sont enfermés dans toutes ces obligations, vis à vis du père, du mari, des femmes, des hommes, ou de la justice, le cul entre deux chaises : la loi ou la charia. Et cette histoire de bourgeois iraniens et de leur bonne, on pourrait tout aussi bien la transposer avec un couple parisien et leur nounou algérienne, tant il s’agit avant tout de différences sociales et non de différences culturelles… C’est là aussi le message fort du film.
Car surtout, qu’on ne se méprenne pas : si le contexte dictatorialo-iranien amplifie la dramaturgie, Une Séparation est un film universel : nos héroïnes auraient leur place dans la France paysanne des années cinquante… Et l’obsession de jurer sur la Coran ne serait que le reflet dans le miroir « la vérité, toute le vérité, so help me god » de nos récents événements franco-new-yorkais…
Ne cherchez pas le meilleur film de l’année : il s’appelle Une Séparation.
mercredi 6 juillet 2011
Les Invités de Mon Père
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Encore un bel exemple de fainéantise française : Les Invités de Mon Père a tous les atouts dans sa manche, mais échoue néanmoins.
Une idée rigolote : un père, (Michel Aumont) grande conscience de gauche, décide d’abriter une famille de sans-papiers. A la consternation de son fils de droite (Fabrice Luchini) et à l’enthousiasme de sa fille de gauche (Karin Viard). Mais la famille de maliens envisagée se révèle être plutôt une grande blonde moldave bien roulée. Tout est en place pour une excellente comédie à la française. D’ailleurs, c’est ce qui était dans la bande annonce, c’est à dire les cinq répliques qui tuent. Mais cette comédie n’accouchera pas, faute de talent, de travail ou des deux.
Le débat droite/gauche, lancé sur les chapeaux de roues, est finalement à peine esquissé, et tourne vite à la caricature de part et d’autre (Pétain, Vichy, les Droit-de-l’Hommistes)
Le film devient, d’ailleurs progressivement cette caricature. Après avoir critiqué la délation, les enfants d’Aumont s’y résolvent… Puis regrettent. Anne Le Ny fait alors sombrer son film dans la tragédie, mais voilà, il faut être très fort pour réussir cela (Bruno Podalydès dans Liberté Oléron, par exemple).
Mais là, non, les dialogues sont insipides, les dialogues téléphonés et lourdement explicatifs… Un indice qui ne trompe pas : Aumont, Luchini et Viard jouent faux, comme s’ils n’y croyaient pas. Quand on a des acteurs AAA qui déjouent, c’est bien qu’il y a problème : depuis quand avez vous vu Karin Viard mal jouer ? En zappant sur La Nouvelle Eve hier soir, le chef d’œuvre Christine-Angotesque de Catherine Corsini, on pouvait voir la Viard dans toute sa splendeur : l’Annie Girardot des années 2000.
Entre Les Invités de Mon Père et La Nouvelle Eve, le contraste était éclatant.
lundi 4 juillet 2011
When You’re Strange
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Je ne sais plus comment ça a commencé, mais je pense que c’est à la sortie d’une projection d’Apocalypse Now dans le Quartier Latin, vers 85-86, que je me suis intéressé pour la première fois aux Doors. Je voulais savoir qui signait ce magnifique Intro/Outro de l’opéra coppolien. A cette époque, le Professore faisait la plonge* dans un restaurant du XVIIème arrondissement de Paris, et le fils de la cuisinière lui enregistra gentiment sur cassette** The Doors et Strange Days, les deux premiers albums du groupe californien.
Choc terrible : subtilité des textes, envoûtement de la musique, rien ne sonnait comme les Doors. J’avalais ensuite goulûment Personne Ne Sortira d’Ici Vivant, la magnifique bio de Jerry Hopkins et Daniel Sugerman,et puis vint, en 1991, l’odieux biopic de Oliver Stone, The Doors*** qui propulsa, sur la base de son film-compile, les copains de Jim sur NRJ en boucle sur NRJ. En bon intello snobinard, le Professore arrêta les Doors.
Hasard du calendrier****, je me rattrape hier (car je l’avais raté en salles), le docu de Tom DiCillo. DiCillo, c’est le magnifique réalisateur de Ca Tourne à Manhattan, et de Box of Moonlight, un peu perdu de vue dans ses films récents (Une vraie Blonde, Delirious). On ne le savait pas fan des Doors, on le découvre.
Sur la seule base de documents filmés (il y en a plein), en ajoutant simplement la musique et en sous-titrant les paroles, DiCillo fait sens. Il raconte basiquement l’histoire des Doors, comme n’importe quel docu, mais montre ce qu’on peut faire quand on a quelques idées et qu’on s’intéresse un peu au montage (qui, rappelons-le, n’est pas ce qui coûte le plus cher dans un film).
Le doc est donc magnifique, passionnant, sans apporter pour autant aucun scoop, et sans donner dans aucune théorie conspirationniste (dans une histoire qui n’en manque pourtant pas)…
Bref, que vous aimiez ou pas cette musique, ruez vous : il vient de ressortir en salle pour l’été. Et comme chacun sait, summer’s almost gone…
* Eh oui, comme tout acteur Hollywood de son calibre, le Professore a commencé en faisant la plonge
** Il n’y avait pas de piratage à l’époque, on respectait trop les artistes : on copiait juste leurs albums
*** Une nouvelle preuve de la malédiction des biopic, et encore plus des biopic rock : impossible d’ajouter de la légende à la légende.
**** Hasard du calendrier, car c’était hier le 40ème anniversaire de la mort de Morrison à Paris, dûment célébré au Père Lachaise comme il se doit.
lundi 27 juin 2011
A La Maison Blanche
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -
Séries TV ]
Formidable A La Maison Blanche ! La dernière saison brille de mille feux… Avant-hier, un épisode sur… le serrage de mains !!
Pendant la campagne, les candidats serrent des milliers de mains… Jusqu’à l’accident ! Comment gérer ça ? Pas de soins (le candidat avec un plâtre, ça ferait infirme), silence complet (pour éviter les sarcasmes du camp d’en face) : A la Maison Blanche a beau être une série gentillette, elle ne zappe pas les absurdités, et les compromissions, d’une campagne.
Ainsi hier, un autre épisode, sur le rythme frénétique, absurde, des derniers jours de campagne: pour gagner le candidat doit enchaîner 5 états le même jour. Et ânonner les mêmes messages (la Santé, c’est important, bla bla…), répéter les mêmes encouragements (neutre, évidemment) aux deux équipes de Baseball qui vont s’affronter ce soir-là, et réfléchir à la blague qu’il fera au Tonight Show plutôt qu’à la situation au Kazakhstan…
On comprend mieux le parti pris « idéaliste » de The West Wing : même dans le meilleur des cas, la démocratie oblige aux compromissions, aux à-peu-près, au trivial…
A La Maison Blanche, une leçon de démocratie…
dimanche 26 juin 2011
Peter Falk
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -
Les gens -
Séries TV ]
L’autre jour, en instruisant une classe de troisième sur les finesses de la Sitcom, j’ai fait remarquer qu’une des différences entre ciné et télé, c’est que le star de ciné, c’était l’acteur, et la star de la télé, c’était le personnage.
Un raisonnement qu’on peut appliquer à Peter Falk, qui vient de disparaître. Plus connu sous le nom de Columbo que de Falk, il aura pourtant fait son trou à Hollywood (Cassavetes, Wenders, Princess Bride…), et au théâtre… Mais bon, être immortalisé sous le personnage de Columbo, il y a pire comme destin.
Car c’est un incroyable succès – tant critique que populaire – que Columbo, la série, et le personnage, ont accompli en 69 épisodes, de 1968 à 2003*.
Modèle absolu du Formula Show, Colombo n’a fait pourtant que populariser les théories hitchcockiennes, mais avec quel talent !
Peu importait en effet les péripéties de l’enquête, on s’était attaché pour toujours au petit inspecteur rital, son chien et sa 403, et sa femme invisible**. L’enjeu posé dès le début (un crime se déroule devant nous, Columbo l’élucidera), censé détruire tout suspense, ne faisait au contraire que l’exacerber.
La formule aurait pu devenir répétitive, mais les auteurs, les réalisateurs (dont quelques futures pointures (le premier épisode de la saison 1 fut écrit par Steven Bochko (NYPD Blue) et dirigé par Steven Spielberg…) ont pu tisser à chaque fois des intrigues passionnantes, et une étude de mœurs angeleno aux petits oignons.
Photographes branchouilles, vieux beaux hystériques, capitaines d’industries trompant (et tuant) leurs épouses, les méchants de Columbo ont évolué au gré de la mode, mais la comédie humaine n’a jamais changé : les hommes tuent les femmes, les puissants se moquent des pauvres***, et l’inspecteur Columbo, armé de sa seule intelligence, nous venge de tout ça.
On regrettera notre inspecteur (et aussi sa fabuleuse voix française, Serge Sauvion) ; mais, par la magie d’Hollywood, ils seront toujours là.
Faites l’exercice ce soir : vous aurez bien du mal à zapper avant la fin.
*rediffusion du dernier épisode ce soir sur TF1, 20h45
**une série avec Madame Columbo n’eut pas le même succès (2 saisons seulement), comme quoi le formula show n’est pas une science exacte.
***Dans cette contradiction américaine : dans un pays où l’argent est tout, le riche est pourtant toujours le méchant.
samedi 25 juin 2011
One+One/Mammuth
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les films ]
Par les hasards de la cinéphilie, je terminais – péniblement – Mammuth, du duo Delepine/de Kervern. Perclus d’ennui, je zappais sur Tsonga-Dimitrov, et une fois la 6ème balle de match enfin concrétisée, j’errais sur le câble pour tomber, ô miracle ! sur One+One de Jean-Luc Godard.
On parle peu de Godard sur CineFast, c’est aussi parce que le bonhomme n’est plus très actif, et que ses derniers films sont moyennement intéressants, mais il fait partie lui aussi du panthéon secret du Professore. D’abord Godard, c’est un très grand analyste de l’image (et là où il est le meilleur, d’ailleurs), et c’est évidemment – du moins à ses débuts – un immense cinéaste (A Bout de Souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou). Plus que ça, une référence pour les cinéastes américains que nous admirons ici (Spielberg, Coppola, Schrader, etc.)
Nous nous ennuyions donc sur Mammuth, film à la fois sympathique et prétentieux. Sympathique par son format (court métrage Super8, auto-assumé Art Brut*). Prétentieux par sa volonté de traiter poétiquement (plutôt que politiquement) du problèmes retraites. Un coup marketing aussi : Depardieu + Adjani, nos anciens amours réunis à l’écran. Mais voilà, c’est tellement jemenfoutiste dans les dialogues, le jeu, la construction, qu’on s’ennuie ferme. Il ne suffit pas de s’assumer arte povera pour qu’on trouve ça génial. Les répliques prétendues cultes tombent à plat, les-scènes-critique-de-la-vie-quotidienne aussi (comparez la scène de l’audiotel de Mammuth avec celle de Burn After Reading et vous comprendrez). La symbolique est lourdingue (la grosse moto qui devient mobylette, les papiers qui volent au vent). Bref, Gustave de Kervern et Benoît Delépine essaient de faire leur film d’errance métaphysique, mais n’est pas Antonioni qui veut. Seules surnagent les séquences à moto, notre Gégé national sur sa Mammuth, et la musique de Gaétan Roussel.
En face, la concurrence de One+One a dû leur glacer les sangs. One+One, tout est dans le titre : juste après Mai 68, Godard veut faire deux films en un : un film politique sur la l’après-68, et film sur le rock : l’enregistrement du futur mythe des Stones Sympathy for the Devil.
Vs Mammuth, Godard, c’est la stratosphère. Plans magnifiques, c’est la Ferrari du film intello. Certes, la partie « Black Panther » est ratée et lourdingue, mais le film sur les Stones est un chef d’œuvre rare. Tout simplement parce que les artistes rechignent se mettre ainsi à nu, alors que l’œuvre n’en est qu’à sa genèse. Au début, Sympathy for the Devil n’est qu’un immonde brouillon blues, péniblement gratouillé par un Brian Jones dépressif. Mais petit à petit, on voit le diamant sortir de sa gangue de boue, devenir cette incroyable salsa parsemée d’éclairs électriques. Au fur et à mesure son géniteur s’efface, s’éloigne du champ, jusqu’à disparaître de l’image. La préfiguration du vidage du Stone, et de son suicide, un an après.
Un exemple vu ce soir-là : par un long travelling dans le studio, qui s’arrête, qui repart, qui fixe tout autant Brian Jones (déjà au bord de la piscine) que les technicos qui bouffent leur sandwich à côté, Godard fait sens. On regarderait ça pendant des heures, même à une heure du matin.
Merci Jean-Luc.
*de l’intérêt de lire le générique de fin jusqu’au bout.