Elle est dure, mais elle est juste, la Dame de Nazareth… A peine entrée dans le MK2 Bastille*, elle fait doucereusement remarquer que le Professore est – de très loin – le doyen de la salle. Remarque prémonitoire : le Ludovico va découvrir ce que « Autre Côté de la Barrière » veut dire.
Nous ne sommes pas du même monde, ni du même cinéma, à cette séance de Sorry, Baby. Mes voisines, twenty-somethings comme Eva Victor, l’actrice-scénariste-réalisatrice, applaudissent à chaque réplique, à chaque mimique, tandis que nous restons de marbre.
Victor, dans le rôle d’Agnès, jeune thésarde talentueuse violée par son directeur de thèse** a de quoi séduire, mais elle est engluée dans la mise en scène de… Victor, Eva. La réalisatrice, si sûre par ailleurs de son cinéma (photo, cadrage) peine à trouver son genre. Est-ce un drame ? Une comédie ? Le film virevolte autour de l’actrice, en permanence à l’écran, qui assène punchline sur punchline. C’est peu dire qu’elle s’aime beaucoup…
Ces afféteries finissent par agacer, surtout sur un sujet aussi grave. Parce que le film est sérieux ; il attaque le problème avec subtilité et même ambiguïté. Les rapports entre thésarde et professeur restent incertains, la séduction intellectuelle n’étant jamais loin de la séduction physique. On veut une bonne note, et on n’est pas mécontent d’être la chouchou du prof. On va tout faire pour lui plaire, comme le suggère plusieurs scènes.
Mais ces personnages snowflakes exaspèrent. Dans la scène de l’hôpital, où Agnès vient faire constater son viol, chaque mot du docteur (éjaculation, pénétration) suscite des cris d’orfraie d’Agnes, de sa copine, et donc du public du MK2. Quels termes aurait-il pu employer à la place ? Le sentiment d’un fossé irrémédiable, se fait alors jour. Ce cinéma-là est-il encore pour nous*** ?
Mais au mitan du film, il y a justement une scène entre un Vieux, gérant d‘une sandwicherie, et Agnes. Eternel angoisse de la jeunesse, Agnes ne s’imagine pas vieillir, pense qu’elle va mourir jeune, qu’elle n’aura jamais d’enfant. Et le Vieux de répondre : « Si tu crois que j’imaginais un jour que j’aurais cette tête de patate… »
Et nous spectateur, d’imaginer qu’Eva Victor se parle à elle-même : elle aura des enfants, elle fera d’autres films, plus aboutis. Car tout n’est pas à jeter, loin de là. Il y a du cinéma dans Sorry, Baby. La scène du viol, filmée très sobrement (un plan fixe sur la maison du professeur l’après-midi, le soir, la nuit) : en trente secondes intenses, on a compris. Mais Victor ajoute juste après une description détaillée de ce qu’elle a subi. Une volonté évidente, politique, de décrire crûment l’horreur du viol. Politiquement, ça marche. Cinématographiquement, moins. On redescend des trente secondes angoissantes qui ont précédé, dommage. Comme disait Hitchcock, « J’aurais voulu que rien ne soit dit ».
Le film, sinon, est très bavard, trop bavard, dans une veine Woodyallenienne que désavouerait probablement la réalisatrice. Mais dès qu’elle arrête, on respire. On fait du cinéma. On attend donc avec impatience le prochain…
Sorry, Baby. Maybe next time ?
*Les cinémas MK2 sont parait-il des cinémas engagés. Il ferait bien de s’engager à diffuser correctement les films. Sorry, Baby était diffusé format réduit, avec un joli cadre noir autour. Personne n’est intervenu.
** Interprété par le bien nommé Louis Cancelmi
*** Sans oublier une allusion transgenre sans aucun rapport avec la choucroute, mais gros clin d’œil de connivence avec le public
