vendredi 3 mars 2023


La Nuit du 12
posté par Professor Ludovico dans [ Les films -Séries TV ]

On devrait toujours faire confiance à son instinct de CineFaster. Quand La Nuit du 12 est sorti, ça faisait pas envie. Et puis voilà, quelques mois plus tard, on est pris par la hype. Le film gagne tout aux Césars, il est élu Meilleur Film Français de l’Année par les auditeurs de France Inter. Comme le dit le Rupélien, « malgré ses récompenses officielles, c’est un très bon film ».  

Dominique Moll intervient d’ailleurs très justement au Masque et la Plume, et invoque les deux David : Fincher (Zodiac) et de Lynch (Twin Peaks). En réalité, il faut se méfier des gars qui parlent bien de cinéma, les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs. Et on est payés pour le savoir, ici, à CineFast.

Mais on se fait prendre comme un bleu, on a soudain envie de cette Nuit du 12. Ça tombe bien, ça passe sur Canal. Et ça commence, en effet, comme dans Twin Peaks : une jeune femme assassinée, les flics qui débarquent, qui doivent annoncer la nouvelle aux parents effondrés, tandis que la communauté apprend la nouvelle. Mais le début de La Nuit est plat, ennuyeux, irréaliste…

Qu’on soit clair, on a bien compris l’intention : Moll ne veut pas faire un thriller à la Fincher, ni un mélo à la Lynch. Le réalisateur d’Harry, un Ami qui vous veut du Bien est dans une veine naturaliste, qui vise la sobriété. Mais la sobriété n’est pas l’ennemi de la subtilité. Pourquoi ces dialogues à l’emporte-pièce ? Pourquoi ces personnages taillés à la serpe ?

Moll a un message à faire passer, très bien… Les femmes sont tuées par les hommes et ce sont majoritairement des hommes qui enquêtent sur ces hommes qui tuent des femmes. C’est un message intéressant, et légitime, sur les féminicides. Mais est-ce que ça ne peut pas être dit plus subtilement que par un personnage qui débarque et prononce exactement ces mots ?    

Tout est possible au cinéma, mais il faut travailler. Si ces personnages sont servis par d’excellents comédiens (Bastien Bouillon, Bouli Lanners…), ils sont seulement esquissés (le vieux flic en colère, parce que sa femme le trompe, le jeune flic solitaire, qui prend cette enquête particulièrement à cœur, etc. Tout cela existe probablement dans la réalité ; mais Dominique Moll n’arrive pas à incarner ces idées. Pour cela, il lui faudrait développer ces personnages, en faire autre chose que des figurines de plomb qu’on dépose dans ce décor. Leur donner des dialogues vivants, pas des slogans…

C’est tout le talent des vingt premières minutes de Twin Peaks où, en quelques gestes, une réplique, une paire de chaussures, la série installe son univers et ses personnages.

Il ne suffit pas d’invoquer Lynch et Fincher. Il faut un peu s’en inspirer.


3 commentaires à “La Nuit du 12”

  1. Ostarc écrit :

    Eh bien si je peux me permettre un avis non autorisé, je pense qu’il est très encourageant pour le cinéma français que ce documentaire sur la police ait rafflé tous les prix, car oui, les policiers sont aussi des hommes et des femmes, et ils ont aussi une âme, on ne le constate pas assez, et qui souffre parfois, et alors ils se défoulent sur des vélodromes, comme n’importe quel être humain qui a des problèmes. Quelle belle leçon d’humanité. Et même si comme ici ils ne dénouent pas leurs problèmes, on est de tout cœur avec eux, parce que le crime, eh bien c’est vraiment dégoutant !
    Bon je dois reconnaitre que je me suis un peu endormi, parce que c’est pas réellement du cinéma très prenant. Est-ce qu’ils trouvent le ou la coupable à la fin ?

  2. Ostarc écrit :

    Au fait Professor, ce message n’a rien à voir avec le sujet du jour, mais j’ai cherché sans résultat un avis averti sur les films (au moins un des 4) de Martin Mc Donagh. Est-ce votre outil de recherche qui cafouille, ou peut-être n’aimez vous pas les cinéastes irlandais un peu trop shakespeariens ?
    𝘈̀ 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘩𝘢𝘴𝘢𝘳𝘥 𝘫𝘦 𝘭𝘦𝘴 𝘵𝘪𝘦𝘯𝘴 𝘢̀ 𝘷𝘰𝘵𝘳𝘦 𝘥𝘪𝘴𝘱𝘰𝘴𝘪𝘵𝘪𝘰𝘯…

  3. Rupélien ? écrit :

    Une réaction, ma première sur votre site, professor, puisque me voilà livré à la vindicte des lecteurs de Cinefast. Honte sur moi d’avoir qualifié, ailleurs qu’ici, un film multi-primé de « très bon », un sentiment pas forcément partagé ni par vous c’est sûr, ni par votre lectorat je le crains.
    J’apprécie en général vos analyses argumentées (et sujet de débats sans fin), mais souvent, à part quelques nullités qui font l’unanimité et qui ne sont malheureusement pas l’exception, tout est affaire de perception, vous le savez bien. Là où d’autres, dont vous-même, ont lutté pour regarder ce film jusqu’au bout (saluons la performance au passage), je l’ai pour ma part trouvé captivant du début à la fin. Sans doute parce que je suis entré très tôt dans la tête du personnage principal, remarquablement incarné par Bastien Bouillon dont les silences étaient pour moi plus évocateurs que les paroles, et qui était épaulé par tous les autres acteurs et actrices. C’est peut-être parce que le réalisateur, au moins sur ce film, avait un savoir-faire auquel j’ai été réceptif.
    Dialogues à l’emporte-pièce, personnages taillés à la serpe ? Pas entendu ni vu ça. Au contraire, de mon point de vue, une épure remarquable. Comme le disent volontiers certains : on n’a pas vu le même film.
    D’autres auraient fait mieux avec le même sujet, c’est possible. Dominik Moll n’est pas l’égal de David Fincher ou David Lynch, c’est une terrible révélation pour le cinéma français.

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