mardi 8 mai 2012


La Sanction
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Le professeur Rabillon, auteur du fameux Théorème, m’a offert il y a un certain temps La Sanction, un polar du mystérieux Trevanian*, paru en 1972. Je viens de le lire, et j’ai enchaîné avec son adaptation cinématographique signée d’un certain Clint Eastwood en 1975.

Tout l’intérêt est là ; comparer, alors que les souvenirs sont frais, l’œuvre originale et son adaptation.

La Sanction, c’est tout d’abord, une intrigue qui ne sied guère au Professore, tant elle semble rocambolesque. Et en matière d’espionnage, le Professore est un peu psychorigide, il n’aime pas le rocambolesque. Voici donc Hemlock, Professeur d’Art, alpiniste chevronné et… tueur à gages pour la CIA (sic). Pour s’offrir un tableau de Pissaro qui lui fait de l’oeil, Hemlock accepte une ultime mission (resic) : il doit tuer (la fameuse Sanction) un agent ennemi au cours d’une escalade (reresic). Il en profitera pour se venger de sa Némésis, le traître Miles Mellough.

Voilà pour l’intrigue – assez fantaisiste -, et très 70’s de La Sanction. C’est d’ailleurs l’ambiance générale de ces années-là qui prévaut : libération sexuelle (toutes les femmes sont folles de désir, et trompent allègrement leurs maris), contestation politique (les gouvernants sont pourris, la Guerre Froide ne sert à rien, et la CIA est rempli de bons à rien ou de sadiques issus du IIIème Reich), et liberté de la jeunesse (les jeunes alpinistes défient Hemlock, le vieux (37 ans) de l’histoire).

L’originalité de Trevanian réside plutôt dans les dialogues, très drôles, acérés, et politiquement incorrects**, un peu à contre courant des événements du récit : Hemlock est un tueur, mais bourré de principes, il travaille pour la CIA, mais les méprise et ne les trouve pas mieux que le camp d’en face, toutes les femmes lui tombent dans les bras, mais il est anéanti par la trahison de Jemima, etc.

La partie « escalade », si elle est peu plausible dans l’intrigue, est elle traitée de manière tout à fait documentée, réaliste et passionnante. Les images sur l’Eiger, la montagne suisse où se déroule l’escalade, sont magnifiques.

Reste la comparaison film/livre : il est tout à fait passionnant de voir ce qui a été gardé ou supprimé, et pourquoi.

Par exemple, dans le livre, Hemlock vit dans une vieille église reconvertie en loft luxueux. Beau décor de cinéma, mais trop cher : rien de passionnant ne s’y déroule. Donc supprimée dans le film.

Le livre est violemment anti-CIA, anti-espionnage, mettant sur le même pied russes et américains. Difficile à gober pour Eastwood. Cette partie est donc édulcorée (Clint dit à un moment travailler pour la Mère Patrie, avec une touche d’ironie, ce qui satisfait le lecteur comme le clintomaniaque). De plus, Trevanian remanie son propre livre en proposant une vision encore plus noire de la CIA : la mission confiée à Hemlock est un leurre, des innocents seront tués pour crédibiliser une fausse fuite des services secrets américains (comme dans l’opération Fortitude). Une vision plus dure des renseignements, mais plus realiste : paradoxalement, elle étaye le scénario, là où le livre était particulièrement faible…

L’aspect très sexuel du livre est conservé : deux conquêtes pour le Docteur Hemlock, plus les étudiantes et les épouses (forcément francaises !) qui lui dont les yeux doux. Et ces conquêtes, c’est quelque chose ! Une jolie indienne de l’Arizona qui montre ses seins, et une plantureuse hôtesse de l’air noire (la fameuse Jemima, une rareté dans le cinéma US) Cette dernière se transforme en histoire d’amour impossible. Des scènes assez torrides, qu’on aurait du mal à trouver dans le cinéma US actuel.

Mais la vraie raison de jeter un coup d’œil à La Sanction, ce sont les scènes tournées sur l’Eiger, magnifiques. Selon le fameux Théorème de Rabillon, il y a si peu de films sur l’escalade qu’on se laissera facilement tenter par une petite Sanction.

*Trevanian est un auteur de polar très secret, qui est resté dans l’anonymat presque toute sa vie. Il signe le scénario sous son vrai nom, Rodney William Whitaker.

**Sans parler d’une homophobie marquée : Miles Mellough est une folle, et son chien s’appelle « pédale » ; la classe !


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