lundi 20 juin 2011


CineFast à l’école !
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Depuis deux ans, l’ami François me fait l’honneur de m’accueillir dans sa classe d’anglais, en Classe Européenne. Il croit que je lui rends un service, mais il me fait le plus beau cadeau du monde : deux heures, rien qu’à nous, pour éduquer dans la langue de Shakespeare, de jeunes esprits à la cinéphilie.

Tout cela a commencé l’an dernier, quand la Professorinette a arboré un T-Shirt CineFast en classe (eh oui, on ne lésine pas sur le street marketing à CineFast). Intrigué, ledit François va alors sur cet honorable blog et demande dans la foulée si le Professore ne voudrait pas intervenir sur le cinéma, pendant un cours du mois de juin.

Après s’être calé ensemble sur le programme (j’avais proposé « Philosophie Politique d’Armageddon », il avait proposé « Woody Allen et Citizen Kane chez Shakespeare », on a transigé sur Titanic, évidemment.

L’objet du premier cours était de montrer comment se construit un film hollywoodien, et Titanic est parfait pour ça : vingt minutes pour poser les enjeux, trois heures pour les résoudre. François, qui avait déjà fait travailler ses élèves sur la cinématographie, s’est arrêté de son côté sur la représentation du bateau lui-même : fort et puissant au début, théâtral au milieu*, et minuscule et fragile îlot de lumière au mitan, quand justement le film amorce sa descente : iceberg, collision, naufrage.

Les élèves ont ensuite travaillé sur le calme et le frénétique, les deux fins de Titanic. En effet, nous avions posé avec eux qu’il y avait deux films en un : un film pour garçon (les vingt premières minutes, pleines de testostérone : sous-marins, hélico, cigare, chasse au trésor, Brock Lovett). Vingt minutes macho, hard boiled, et d’ailleurs toutes bleues. S’y succédaient vingt autres minutes tout de rose vêtues (vieille dame, jeune fille, chapeaux et corsets, peignes, miroirs d’argent et émotions, Rose Calvert) : un film pour filles. Il fallait donc deux fins pour parachever Titanic ; une fin action : bateau qui casse, cris, explosions, méchant puni. Mais aussi, ensuite, une tragédie calme, le silence, Rose et Jack seuls face à l’immensité de l’univers. C’est ce qui fait le succès de Titanic, d’ailleurs, et sa grande réussite : ce mélange tous publics de film catastrophe et de romance également réussis…

Le deuxième cours, destinée aux Troisièmes, était consacrée deux jours plus tard à la Sitcom. Sur la base du visionnage du Pilote de Friends, l’objectif était de comprendre la structure narrative spécifique de la sitcom, et les contraintes marketing afférentes (court, pas cher, formaté et répétitif, pour garantir les taux d’audience). Sur le même principe de pédagogue éclosive (regarde et découvre toi-même !) les élèves ont encore fait des étincelles.

Car ce qui frappe de prime abord, c’est la culture, le dynamisme, la fraîcheur des élèves sur ces sujets. Enfants de la télé, du téléchargement, et de la culture US, ils sont impressionnants d’érudition et de questionnements. Et n’hésitent pas à renvoyer le Profess(eur)ore dans ses 22. Une jeune fille de Quatrième que visiblement je bassinais sur le genre très marqué de Titanic (a film for boys, a film for girls), me reprit, sarcastique : « Alors les filles n’ont pas droit aux films d’action ? » Et deux garçons de m’interroger sur le créneau Sitcom du jeudi sur NBC : « En France c’est plutôt mardi, non !? »

Tout ça pour dire que je me suis régalé ; d’abord parce qu’il n’est rien de plus valorisant que d’apprendre quelque chose à quelqu’un, surtout à nos enfants. Et ensuite parce que nous partageons avec François cette même vision : plutôt que d’esquiver Internet et la télé, l’école (ou les parents) ont tout intérêt à apprivoiser ces outils pour donner aux enfants les grilles de lecture pour les comprendre et les décrypter.**

Ensuite parce que ce genre d’exercice renoue avec la magie intacte du cinéma. Plongez une classe d’ados dans le noir, projetez-leur Titanic sur l’écran pas terrible d’une salle de collège, passez la scène de la mort de Jack, et amusez vous compter les filles en pleurs***…

« On meurt, on passe un bout de temps à rêver, et on revient… » : c’est ce que dit David Lynch à propos du cinéma, et on ne saurait mieux dire.

*François m’a ainsi permis de remarquer que lors de la séquence culte du baiser, la proue, et le poste de commandement du Titanic sont carrément redessinés, idéalisés façon Vérone 1912 : un écrin orange parfait pour nos Roméo et Juliette cameroniens, et leur Amour Eternel).

** A l’instar, par exemple, de la démarche d’un Daniel Schneidermann en 2001, au lancement de Loft Story. Plutôt que de se lamenter sur la-télé-qui-décervèle-nos-enfants, Arrêt sur Images avait abonné une classe de CM2 à la Chaîne du Loft, et leur instituteur les avait fait travailler dessus. Des gosses de dix ans avaient compris – avant tout le monde – que Loft Story était entièrement scénarisé par Endemol, malgré toutes leurs dénégations.

*** Autre anecdote intéressante : je commence mon intervention en interrogeant les élèves ce qu’ils savent du vrai Titanic. Ils savent pas mal de choses (les femmes et les enfants d’abord, les riches qui ont survécu, l’iceberg, le SOS…), et que le bateau a coulé, évidemment… Puis je plonge la salle dans le noir, et on lance le film : cinq minutes plus tard, quand on demande aux élèves les questions que posent le début du film, ils répondent en chœur : « On se demande si le bateau va couler… » Magie, du conte, du théâtre, du spectacle encore et toujours, et pour toujours…


Un commentaire à “CineFast à l’école !”

  1. CineFast » Peter Falk écrit :

    […] jour, en instruisant une classe de troisième sur les finesses de la Sitcom, j’ai fait remarquer qu’une des différences entre ciné […]

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