dimanche 25 septembre 2022


Les Infiltrés
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Les grands films sont immortels, ils se réveillent comme des vampires à chaque visionnage et révèlent de nouvelles finesses*, comme les couches infinies d’un oignon… Et les grands films sont sur CineFast, évidemment… Mais non, Les Infiltrés n’y sont pas ! Pourtant il repasse sur OCS et à chaque fois, on reste jusqu’à la fin, et pas seulement pour son final incroyable.

Une seule explication à cette absence : les doutes, à l’époque, de Ludo Fulci ou du Framekeeper, qui, sous prétexte qu’il m’avait offert Internal Affairs, prétendait que l’original était beaucoup mieux. Un film hongkongais beaucoup mieux qu’un film de Martin Scorsese ? Ça frise la trahison. L’affaire fut réglée autour d’un alcool de marrons ramené directement de Corse, canal historique.

La force du film de Scorsese, et la force de tous ses grands films (Taxi Driver, Les Affranchis, Le Temps de l’Innocence, Casino, Le Loup de Wall Street…), c’est de mettre toute sa maestria cinématographique au service de la narration, et uniquement de la narration. Ses films « ratés » (A Tombeau Ouvert, Les Nerfs A Vif, Gangs Of New York, Hugo Cabret) sont au contraire des films où la maestria dépasse la simple efficacité et se met au service d’autre chose, à savoir l’hubris de Martin Scorsese, l’Artiste, le metteur en scène le plus virtuose de sa génération.

Mais cette fois ci, l’italo-américain est bien corseté dans un scénario en béton signé William Monahan**. Il est loin de ses bases, à 350 km de Little Italy ; dans le camp d’en face, à vrai dire : Boston, les Irlandais, la cornemuse. Pas de de Niro, de Joe Pesci, de Lorraine Bracco à l’horizon… Non, en face de DiCaprio, le loner infiltré au bord de la crise de nerfs, un casting 100% Massachussetts ou presque : Matt Damon en gendre idéal, mais parfait traître impuissant. Mark Wahlberg en flic survolté qui n’a jamais appris les virgules en CE1 (et les a remplacé par fuck). Martin Sheen en vieux chef sage et modérateur, Alec Baldwin en grande gueule FBI. Et évidemment Jack Nicholson en mafieux cocaïné…

Le casting, c’est avec le montage, le grand art du cinéma. Combien de films ratés par des erreurs de casting ? Mais dans les Infiltrés, tout est parfait, jusque dans les défauts. Vera Farmiga ne joue pas très bien ? Elle incarne parfaitement cette fragilité naïve et tragique, qui mènera les personnages à leur perte. Nicholson en fait trop ? C’est le personnage qui en fait trop, croyant que tout est possible quand on a la plus grosse paire de couilles du monde…

Le duel principal, Costigan/Sullivan, lui, est parfait.  DiCaprio, le nouveau Nicholson, apporte son intensité, sa violence, non pas à l’extérieur, mais vers l’intérieur du personnage. Costigan est terrorisé, ce n’est pas du tout un héros, même quand il prend le dessus. Matt Damon, qu’on a longtemps sous-estimé comme acteur – parce que c’est un anti DiCaprio – est son parfait contrepoint. Il a l’air terne, mais lui aussi est terrorisé, et essaie au contraire de jouer le mec viril.

La grande réussite des Infiltrés est là : prendre fait et cause pour DiCaprio, mais nous faire aussi trembler pour Damon. La mise en scène crée perpétuellement cette tension. Cela devrait être lassant, c’est passionnant pendant deux heures trente.

*Par exemple, l’homosexualité latente de Matt Damon est amené tout au long du film : son impuissance quand il fait l’amour à Madolyn, sa gêne dans le cinéma porno et l’allusion finale de Dignam « Tu me suceras la bite » : comme par hasard, Dignam est le seul qui n’est pas dupe de Sullivan  

** Kingdom of Heaven, Mensonges d’État, Oblivion, Sin City : J’ai tué pour elle