vendredi 17 janvier 2014


Friday Night Lights
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Allez, un peu de sociologie US ! Les américains se sont créé deux sports terriblement anglais, le foot américain (succédané du rugby) et le baseball (un cricket simplifié). Deux sports similaires à leurs albionesques ainés, mais surtout, ô grand surtout, absolument pas anglais. Tellement idiomatiques qu’ils sont inexportables, tandis que le football a conquis la planète.

Ces deux sports ne représentent pas la même idée de l’Amérique : le baseball, c’est un regard nostalgique et passéiste. Ses grands héros sont morts : Joe di Maggio, Babe Ruth. C’est aussi un sport plus intellectuel, cote est, avec ses yankees new yorkais et ses red sox bostoniens, si chers à Stephen King.

Le foot américain, c’est une certaine idée du futur. Un sport brutal, puissant, viril : le sport du heartland, du sud, du Texas. Bien plus qu’un sport. L’idée que l’Amérique se fait d’elle-même. Une idée presque fasciste, d’ailleurs. Un sport martial, ressemblant à une forme de service militaire, et qui produirait de futurs guerriers. Et en face, des cheerleaders. De jolies jeunes filles sportives et élancées. Le lieu commun, maintes fois illustré – ou critiqué par le cinéma US – le capitaine de l’équipe épouse la cheftaine des cheerleaders. Un rêve hitlérien en somme, où le meilleur de l’Amérique s’unit pour le meilleur de l’Amérique.

C’est tout le propos de Friday Night Lights. Un cadeau de l’ami Phiphi (qu’on a connu moins branché sport). Un cadeau empoisonné, parce qu’évidemment, maintenant on ne dort plus.

Qu’est-ce que Friday Night Lights ? Un petit miracle, en vérité. En 45 minutes d’épisode, à la fois une ode à ce sport majestueux, à l’Amérique, à ses valeurs (honnêteté/courage/sens du collectif) et une dénonciation sans fard de ces excès. Hooliganisme, passion irraisonné pour ce sport, violence, dopage, racisme.

Le pitch est à l’image d’un très grand film admiré ici : Le Plus Beau Des Combats. La même histoire transposée par Peter Berg dans la petite cité texane (fictive) de Dillon. Les Panthers, l’équipe high school se lance dans une nouvelle saison avec pour objectif de gagner le championnat du Texas. Ce qui devrait être facile, avec leur quarterback star Jason Street, qui va sûrement passer pro l’an prochain. A piece of cake pour le nouvel entraîneur Eric Taylor (Kyle Chandler), qui débarque à Dillon avec femme (la sublime Connie Britton de Spin City, maintenant cougar sublime) et fille (Aimee Teegarden). Mais lors du premier match, Jason est gravement blessé lors d’un choc. Va-t-il finir paralysé ? Et comment va faire le coach, déjà sous pression, pour gagner le championnat ?

Le coup de génie de Friday Night Lights, c’est celui-là. Poser sa caméra sur un championnat minable aux enjeux minuscules (gagner le championnat de l’état l’équivalent d’une quatrième ou cinquième division de foot en France) et montrer à quel point c’est un enjeu terrible pour tous les personnages. Pour le coach, qui refuse de pactiser avec le diable (agent véreux, dopage… ), pour une certaine éthique du sport. Pour la femme du coach, obligée de subir obligation sur obligation liées au métier de son mari… Ou la fille du coach, 15 ans, qui se fait menacer par un supporter parce que d’un père a perdu un match. Ou pour le jeune et maladroit nouveau quarterback, Matt Saracen, chargé de remplacer la star adulée, tout en gérant d’autres problèmes comme un père en Irak et une grand-mère au bord de l’Alzheimer.

C’est ça, Friday Night Lights, un mélange de Frères Scott pour la chronique familiale, et L’Enfer du Dimanche pour la critique acerbe du sport préféré des américains. Car rien n’est esquivé : corruption, drogue, racisme, népotisme, conflits d’ego, impunité des joueurs tant qu’ils gagnent, et mise au ban s’ils perdent.

Friday Night Lights emprunte la technique de camouflage de A la Maison Blanche : derrière cette éloge du mode de vie US qui a permis à NBC de faire durer la série pendant 5 saisons, se cache une critique en règle de la face noire de l’Amérique, ses corsets moraux et religieux, sa corruption rampante, et la décadence qui guette.

Friday Night Lights est tout simplement magnifique.