mardi 3 septembre 2013


House of Cards
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Voilà donc la série tant attendue, le série événement qui n’a jamais autant mérité son nom. Écoutons le buzz : la série de David Fincher (il semble qu’il soit plutôt coproducteur de la série, adaptée par Beau Willimon d’une série anglaise), la série de Kevin Spacey, la version noire d’A La Maison Blanche, la révolution Netflix (tous les épisodes disponibles d’un seul coup), etc., etc.

L’attente est énorme. Attention, la déception peut l’être aussi. Après 3 épisodes, premier bilan mi-chèvre, mi-chou.

L’événement n’est pas là…
Rien de révolutionnaire dans House of Cards, sauf si vous vous êtes contentés ces dernières années de regarder Castle et NCIS. Un arc feuilletonnant (Frank Underwood voulait les Affaires Étrangères, il ne les a pas eu, il veut se venger et il n’est pas content), trois ou quatre personnages annexes très typés, une visite dans les coulisses de Washington (où – scoop – il se passe des choses pas nettes), un peu de cruauté (moins que dans Dexter), un peu de sexe (moins que dans Game of Thrones), un peu de pédagogie sur les arcanes de la politique américaine (moins que dans A La Maison Blanche). Bref rien qui casse la baraque.

… Mais l’image est sublime
Depuis Seven, Fincher a créé cette ambiance qui portera un jour son nom, le « Noir Fincherien« . Comme le Harvard de Social Network, la Suède de Millénium, Fincher filme Washington comme un film d’horreur gothique. Même la maison de Robin Wright fait peur… Que fait-elle donc la nuit avec ce rameur mécanique ?

Des acteurs au top…
Spacey, Wright, les acteurs sont – évidemment – formidables. La jeune journaliste (interprétée par Kate Mara, la sœur de Rooney Mara), une révélation. Comme le moindre second rôle. Comme d’habitude chez Fincher.

… Mais leurs personnages sont des classiques resucés
Kevin Spacey n’a rien d’étonnant en politicard comploteur ; pire il ressemble à ses précédentes incarnations de grand méchant (Seven ou Usual Suspects). Mara ressemble à une Lisbeth Salander soft. Seule Robin Wright crée un personnage extraordinaire, en patronne glaciale d’une association humanitaire.

In petto, l’idée de trop…
Faire parler le héros au public s’avère une idée toute rassise, vieille comme Molière. Là aussi, on ne peut s’empêcher de penser à une des performances précédentes de Spacey, American Beauty. Si l’on accepte la volonté pédagogique de ce in petto, on est déçu par la faiblesse du procédé. A la Maison Blanche avait les mêmes volontés pédagogiques, mais l’incluait dans les dialogues et dans l’intrigue.

… Pour des machinations trop faciles
Ce qui pique le plus les yeux, c’est que tout semble réussir à Frank Underwood. Un problème se présente (réforme de l’éducation ou château d’eau disgracieux en forme de pêche géante), Frank sort sa boule de billard et les trois bandes pour le résoudre. Si c’est si facile, pourquoi a-t-il échoué ailleurs ?

Reste pourtant que House of Cards est assez addictif pour le moment, suffisamment pour qu’on en redemande toutes les semaines. Ce qui sauve la série, c’est évidemment sa perfection formelle, un très beau paquet cadeau, que l’on a envie d’ouvrir. En sachant aussi qu’on y trouvera la trace des obsessions fincheriennes. Depuis Seven, on sait qu’un moraliste exigeant se cache derrière David Fincher. Et le Frank Underwood de House of Cards n’est pas loin du psychopathe moralisateur de Seven, joué par le même Spacey. John Doe fustigeait les obèses qui ne se contrôlent pas, les avides du Marché qui veulent tout, les femmes qui cherchent la perfection physique plutôt que morale. Le voilà réincarné en Représentant fâché avec le pouvoir, et qui s’est donné pour mission, comme John Doe, de nous faire la leçon. La fausse foi (épisode 3), l’épouse au corps parfait mais à l’âme monstrueuse, et la jeune journaliste prête à tout pour réussir. Dans un plan magnifique, où la jeune journaliste du Washington Herald va passer pour la première fois à la télé, on la voit d’abord au naturel, petite belette butée, rêche, coincée, les lèvres serrées… Mais les lumières s’allument, la voilà en direct, et un magnifique sourire éclaire son visage.

Fincher filme cela depuis toujours, l’hypocrisie de l’Amérique. C’est une bonne nouvelle : David Fincher est encore un jeune homme en colère.