lundi 5 septembre 2011


La Dernière Piste
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Derrière ce mauvais titre (Meek’s Cutoff, le raccourci de Meek) se cache un très bon film, un western à mi-chemin entre le Gerry de Gus van Sant et La Conquête de l’Ouest de Henry Hathaway. Car c’est bien de cette extraordinaire aventure humaine dont il s’agit : l’envolée vers l’ouest, au milieu du XIXème siècle, de milliers d’américains au delà des rocheuses. Pour cela, les familles investissaient leur maigre fortune dans un chariot, jetaient ce qui leur restaient dedans et partait pour cette traversée de milliers de kilomètres à travers l’inconnu avec femmes et enfants.

Au début de La Dernière Piste, trois familles ont déjà fait un mauvais choix, celui de quitter la piste de l’Oregon, et une caravane de plusieurs chariots, pour suivre les conseils d’un Buffalo Bill d’opérette, Stephen Meek (Bruce Greenwood). Les voilà vite perdus, en plein territoire Nez Percé, avec une réserve d’eau qui fond à vue d’œil. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un désert, mais plutôt d’une plaine infinie, avec de maigres arbustes secs, et pas d’eau. Ceux qui sont allés là-bas, même en Buick climatisée, n’ont pu empêcher d’être étreints d’effroi devant cette immensité, guettant de l’œil la prochaine station service.

Ici, Kelly Reichardt joue à contre courant des codes du Western, rejetant le cinémascope de rigueur, pour adopter au contraire le rigoriste format carré 1:33. D’où l’impression d’être pris au piège, coincé dans cet Oregon désertique. Elle joue aussi la carte du réalisme : chariot tiré par les bœufs (plus résistants que les chevaux), les hommes marchant à côté, même les femmes enceintes (pour charger le chariot au maximum), un peu d’eau, de la farine, et une bible.

Après un début aride, dans tous les sens du terme, Meek’s Cutoff va se décoincer, par les femmes évidemment. Devant leurs hommes qui pataugent dans la semoule (kékonfé ? On passe par le Nord ? On continue à l’Ouest ? On tente le Sud ?), elles vont s’imposer dans la conversation, alors qu’on ne leur a rien demandé. Et résister au grand crétin de Meek, qui pérore sur les serpents, et les indiens qu’il a tué à mains nues…

Déroutant, puis entêtant, La Dernière Piste est une sorte de remix entre Antonioni et John Ford. Hautement recommandable donc.




samedi 3 septembre 2011


Tabou(s)
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Tabous s’appelle en anglais Towelhead, tête de serviette, en un mot : bougnoule. Ça aurait été plus clair, mais probablement que l’ami Fulci ne l’aurait pas acheté (en plus de la bouche purpurine de Summer Bishil), et que je ne l’aurais donc pas vu.

Tabous est le nouveau paradoxe d’Alan Ball : scénariste d’American Beauty, créateur de la fabuleuse série Six Feet Under, mais aussi de True Blood, on a du mal à imaginer ces différentes créations dans la tête du même artiste. Autant Six Feet Under était subtil, autant American Beauty et Tabous ne le sont pas. Les deux films sont d’ailleurs très semblables ; la haine de la Banlieue Américaine y est tout aussi présente qu’inexpliquée, le sexe y est tout aussi répressif, et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les quadra US sont des grands frustrés qui ne rêvent que de se taper de nubiles adolescentes.

Pourtant, contrairement à American Beauty, je m’y suis intéressé jusqu’au bout. Il y a dans Tabous une ambition toute autre que d’y enfiler des clichés.

Pourtant il y en a des clichés : Jasira, adolescente de 13 ans, fille d’un couple americano-libanais, vit chez sa mère. Devant le comportement libidineux de son compagnon, la mère décide plutôt de se séparer de sa fille et de l’envoyer chez le père libanais, ingénieur à la NASA, à Houston. Rifat Maroun est une caricature du type qui veut s’intégrer à tout prix. Bannière étoilée dans le jardin, Vierge Marie dans la bagnole, mais devant sa télé, Rifat espère secrètement que Saddam gazera tous les yankees.(L’intrigue se déroule en 1991, pendant la première Guerre du Golfe). Intolérant, raciste, rien ne lui est épargné. En face, ce n’est pas mieux : Travis Vuoso, (excellent, comme toujours Aaron Eckhart) est un pur produit redneck : réserviste, patriote, mari frustré face à une épouse frigide… Au milieu de la bataille, le couple de gauche qui écoute forcément Edie Brickell and the Bohemians (Toni Colette et Matt Letscher) et qui veut faire le bien, même malgré elle, de la pauvre Jasira. La Nouvelle Lolita subit certes le racisme texan (towelhead !) Mais va surtout découvrir sa sexualité et comprendre le pouvoir qu’elle peut exercer sur les hommes…

Nous avons donc d’un côté, un décor d’opérette et des personnages à la limite de la caricature, mais au service d’un propos des plus rafraîchissants : et si la sexualité était quelque chose de positif ? Et si malgré un père abusif, un beau-père peloteur, un voisin mateur, on pouvait survivre ? Rien que pour ça, et pour la candeur de l’actrice principale, Tabous vaut le détour.




jeudi 1 septembre 2011


La Ballade de l’Impossible
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Stanley Kubrick disait avoir choisi Shining comme sujet, car « les romans de gare sont plus faciles à adapter que les chefs d’œuvres ». Ce qui explique probablement l’impossibilité d’adapter La Ballade de l’Impossible, le joyau d’Haruki Murakami.

Trần Anh Hùng (L’Odeur de la Papaye Verte) se contente donc de suivre la trame du livre et seulement celle-ci : Watanabe est amoureux de la dépressive Naoko, mais soudain le jolie Midori apparaît dans sa vie.

Que choisir ? La fidélité ou la vie ? L’amour est-il éternel ? Ce sont les questions que posent le livre et le film…

Mais un vrai livre, comme le rappelait tout à l’heure King of Cote, c’est avant tout un style. La force de Murakami est là, dans ce style langoureux et nostalgique, où chaque digression est une vague supplémentaire de l’océan de ses romans.

En n’adaptant que la trame, le film devient un simple squelette. Malgré les acteurs, très bien, les décors japonais (sublimes, forcément sublimes), on s’ennuie, parce qu’on ne sait pas où l’on va. Qui plus est, Trần Anh Hùng s’est cantonné à l’année 1967, oubliant les fabuleuses premières lignes de La Ballade de l’Impossible : « J’avais trente-sept ans, et je me trouvais au bord d’un Boeing 747. L’énorme appareil descendait à travers de gros nuages chargés de pluie, et s’apprêtait à atterrir à l’aéroport de Hambourg. la pluie froide de novembre obscurcissait la et terre et tout absolument tout, du personnel technique revêtu de cires aux drapeaux quoi flottait mollement sur le bâtiment de l’aéroport, baignait dans la mélancolie classique des peintures flamandes. Une fois encore, j’étais de retour en Allemagne.

L’avion s’immobilisa sur la piste et les voyants lumineux d’interdiction de fumer s’éteignirent, et la douce musique d’ambiance s’écoula des haut-parleurs fixés au plafond : c’était la mélodie de Norwegian Wood. »

La nostalgie était cachée là, cher Trần Anh Hùng.