mardi 7 octobre 2014


The Artist
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Le snobisme du Professore Ludovico est proverbial. Par conséquent, le succès de The Artist ne pouvait le laisser indifférent. Jamais le Professore n’irait voir en salles ce succès populaire (3 millions d’entrées en France, 133 M$ dans le monde), encore moins un film qui récolte autant d’Oscars.

Mais voilà le Professore faible. Ludovico coincé dans un avion de Delta Airlines, 20 000 pieds au-dessus de l’Atlantique. On pourrait finir Thucydide, mais on a un peu la flemme. Rien d’autre à faire, donc, que de regarder la VOD de plus en plus évoluée que nous proposent les compagnies aériennes. Mais il reste des efforts à faire, camarades, la VOST par exemple. Car soit on regarde en anglais (et on ne comprend rien), soit on regarde en français, horriblement doublé, Tendres Passions. Quoi de mieux alors, qu’un film muet ?

C’est donc parti pour The Artist, le film que les américains nous envient. En fait c’est pas mal. On se laisse aller peu à peu au charme racoleur de Dujardin, et au charme plus subtil de Bejo. Si l’intrigue est épaisse comme un sandwich SNCF (le douloureux passage au parlant d’une star adulée du muet (Dujardin), obligé de contempler la montée inéluctable de la petite comédienne qui a su s’adapter à la nouvelle donne (Bejo)), ce qui est intéressant dans The Artist, comme dirait Rupellien, c’est le message. Une ode inconditionnelle au cinéma, à la force du cinéma en tant que moyen d’expression, en tant qu’art exclusif.

Le film de Michel Hazanavicius démontre une chose très simple : il suffit de coller deux plans côte à côte pour faire un film. Le choix de la durée de ces plans, l’endroit exact où on les colle, et ce que signifie le résultat obtenu, devient cette opération magique qu’on appelle l’Art.

Un art de pas grand-chose, quelques acteurs, une caméra fixe, un peu de bonne musique et pas de dialogue, peut raconter une histoire. Ce que nous propose le cinéma depuis Meliès.

Ce qui est remarquable dans The artist, c’est ce qui s’est passé aux Oscars. Un mouvement d’hommage en va-et-vient, que le français a finalement gagné, et qui confirme le désarroi qui s’empare de Hollywood depuis peu.

D’un côté un film français en noir et blanc, au budget de 15M$, avec un auteur un peu connu en France. De l’autre, Hugo Cabret, énorme production 3D qui a coûté plus cher que ce qu’a rapporté The Artist (170M$), et signé par l’un des plus grands réalisateurs de son temps, Martin Scorsese. L’américain, grand cinéphile, transforme maladroitement son épopée pleurnicharde en hommage à Méliès, l’inventeur du cinéma. Dans un mouvement de retour, Hazanavicius réalise son hommage au cinéma, en passant par la case Hollywood 1920. Et c’est ce même Hollywood qui décide de récompenser le « petit » film français contre la grosse machine Hollywoodienne*. Comme si un petit film noir et blanc glorifiait mieux cette industrie, son art, et sa nostalgie de l’Age d’Or, que le film de Scorsese, qui représente lui le cinéma US actuel, survitaminé, sans tête et sans cœur.

De The Artist on retiendra cela, et cet extraordinaire plan séquence final, où les deux comédiens – le muet et le parlant – sont enfin réunis, là où ils peuvent se réunir : la comédie musicale ; Bejo et Dujardin faisant des claquettes, sans besoin de se dire un mot ; la magie du cinéma, intacte.

* Même si les deux films ont été tourné aux Etats-Unis avec majoritairement des comédiens américains