mercredi 1 octobre 2014


Enemy
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Quand on cherche de la confiance dans le cinéma, il suffit de se tourner vers Denis Villeneuve. Son oeuvre en devenir est tout simplement l’incarnation de ce que nous appelons de nos vœux : belleet intelligente, et qui a quelque chose à raconter.

Après Prisoners, son thriller façon Seven désossé, Villeneuve s’attaque à quelque chose de plus subtil ; le fantastique européen, tendance Mérimée ou Maupassant.

Tiré en fait d’une nouvelle portugaise José Saramago, L’autre comme moi, l’argument d’Enemy est très simple : un professeur d’histoire découvre l’existence d’un comédien qui semble être son sosie en tout point. Que faire d’une telle révélation ? Commence alors une mécanique à la Twilight Zone, auquel Enemy emprunte peu ou prou la structure (explorer l’ensemble des possibilités) et le format (1h30).

C’est à ça que l’on reconnaît un grand cinéaste : de ces trois lignes de scénario, il fait un film. Denis Villeneuve va ainsi nous promener dans un brouillard cauchemardeux, de mystère en mystères, d’explications possibles en interprétations plausibles, en jouant la gamme que l’histoire du cinéma nous propose, de Hitchcock à Cronenberg, dans toute sa largeur.

Ces mystères pourrait être vains, et purement esthétisants, si le metteur en scène gardait toutes les cartes en main, et, tel un joueur de poker, ne les révélait qu’à la séquence finale. Au contraire, il distille au spectateur des informations, certes contradictoires, et lui propose de jouer aux devinettes avec lui. Qui est Adam, que veut-il ? Et qui est Anthony, son double ? Faisant mine de jouer cartes sur tables, alors qu’on entre peu à peu dans une confusion la plus totale…

La musique oppressante de Danny Bensi et Saunder Jurriaans (déjà auteurs de la tout aussi oppressante BO de Martha Marcy May Marlene) y est pour beaucoup. Mais, en fait, elle ne camoufle que l’immense talent du cinéaste ; chaque plan, empruntant ses codes aux films d’horreur (bruit/silence), ou à la peinture (clair/obscur) a quelque chose à dire au spectateur.

C’est aussi le talent de Denis Villeneuve que de se réinventer, car rien ne ressemble moins à Prisoners que Enemy. S’extrayant du film « moral » et de la reconstitution glaciale, clinique, de l’Amérique du Nord, Villeneuve prend ici un contrepied absolu dans ce film lynchien situé comme par hasard dans un Toronto qu’on met 90 mn à reconnaître, tant Villeneuve s’est amusé à le perdre dans la photo jaunâtre d’un smog de réchauffement climatique.

C’est un grand auteur, beau et intelligent, qui est en train de naître, tout simplement.