samedi 25 juin 2011


One+One/Mammuth
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

Par les hasards de la cinéphilie, je terminais – péniblement – Mammuth, du duo Delepine/de Kervern. Perclus d’ennui, je zappais sur Tsonga-Dimitrov, et une fois la 6ème balle de match enfin concrétisée, j’errais sur le câble pour tomber, ô miracle ! sur One+One de Jean-Luc Godard.

On parle peu de Godard sur CineFast, c’est aussi parce que le bonhomme n’est plus très actif, et que ses derniers films sont moyennement intéressants, mais il fait partie lui aussi du panthéon secret du Professore. D’abord Godard, c’est un très grand analyste de l’image (et là où il est le meilleur, d’ailleurs), et c’est évidemment – du moins à ses débuts – un immense cinéaste (A Bout de Souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou). Plus que ça, une référence pour les cinéastes américains que nous admirons ici (Spielberg, Coppola, Schrader, etc.)

Nous nous ennuyions donc sur Mammuth, film à la fois sympathique et prétentieux. Sympathique par son format (court métrage Super8, auto-assumé Art Brut*). Prétentieux par sa volonté de traiter poétiquement (plutôt que politiquement) du problèmes retraites. Un coup marketing aussi : Depardieu + Adjani, nos anciens amours réunis à l’écran. Mais voilà, c’est tellement jemenfoutiste dans les dialogues, le jeu, la construction, qu’on s’ennuie ferme. Il ne suffit pas de s’assumer arte povera pour qu’on trouve ça génial. Les répliques prétendues cultes tombent à plat, les-scènes-critique-de-la-vie-quotidienne aussi (comparez la scène de l’audiotel de Mammuth avec celle de Burn After Reading et vous comprendrez). La symbolique est lourdingue (la grosse moto qui devient mobylette, les papiers qui volent au vent). Bref, Gustave de Kervern et Benoît Delépine essaient de faire leur film d’errance métaphysique, mais n’est pas Antonioni qui veut. Seules surnagent les séquences à moto, notre Gégé national sur sa Mammuth, et la musique de Gaétan Roussel.

En face, la concurrence de One+One a dû leur glacer les sangs. One+One, tout est dans le titre : juste après Mai 68, Godard veut faire deux films en un : un film politique sur la l’après-68, et film sur le rock : l’enregistrement du futur mythe des Stones Sympathy for the Devil.

Vs Mammuth, Godard, c’est la stratosphère. Plans magnifiques, c’est la Ferrari du film intello. Certes, la partie « Black Panther » est ratée et lourdingue, mais le film sur les Stones est un chef d’œuvre rare. Tout simplement parce que les artistes rechignent se mettre ainsi à nu, alors que l’œuvre n’en est qu’à sa genèse. Au début, Sympathy for the Devil n’est qu’un immonde brouillon blues, péniblement gratouillé par un Brian Jones dépressif. Mais petit à petit, on voit le diamant sortir de sa gangue de boue, devenir cette incroyable salsa parsemée d’éclairs électriques. Au fur et à mesure son géniteur s’efface, s’éloigne du champ, jusqu’à disparaître de l’image. La préfiguration du vidage du Stone, et de son suicide, un an après.

Un exemple vu ce soir-là : par un long travelling dans le studio, qui s’arrête, qui repart, qui fixe tout autant Brian Jones (déjà au bord de la piscine) que les technicos qui bouffent leur sandwich à côté, Godard fait sens. On regarderait ça pendant des heures, même à une heure du matin.

Merci Jean-Luc.

*de l’intérêt de lire le générique de fin jusqu’au bout.