jeudi 9 juin 2011


The Tree of Life
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Voilà le Professore bien embêté : que dire de The Tree of Life ? Bien parti pour en dire du mal (cf. infra), je ne me suis finalement pas ennuyé au dernier Malick. Je n’ai pas été ému non plus, me direz-vous…

Tâchons donc de peser le pour et le contre. A son actif, et ce n’est pas une révélation, The Tree of Life est un film d’une incroyable beauté, comme l’était ses prédécesseurs, depuis les couchers de soleil de Badlands, à la nature incandescente de La Ligne Rouge. Malick sait composer un plan, et on sait qu’il peut attendre des heures la lumière idéale.

Ensuite, The Tree of Life est un grand film. Et ce n’est pas que de la hype d’attaché de presse. C’est un film ambitieux. Non content, comme d’habitude de s’interroger sur le sens de la vie, Malick rajoute ici plusieurs couches à son intrigue (si on peut utiliser le mot sans froisser la bande des Malickiens pur jus ?)

L’intrigue, parlons en : on la découvre par bribes subtiles, mais compréhensibles : c’est le puzzle d’une vie qui s’assemble devant vous, et qui cette fois brode autour d’une fratrie, sous la coupe d’un père autoritaire dans le Texas des années Soixante.

Pour une fois, l’intrigue est plus qu’un prétexte : on sent que Malick a du mettre plus d’un bout de son enfance là-dedans. Les relations père-fils, sont traitées avec une subtilité qui reste sa marque de fabrique : rien ne sera dit, mais tout sera compris. De la naissance, des premiers pas, de la naissance des frères, des premières traces de jalousie que cela engendre… De la nécessité de fixer des règles pour le père (Brad Pitt, formidable). De la même nécessité d’enfreindre ces règles pour le fils (Hunter McCracken, tout aussi génial). Et il en tire cette scène magnifique, et purement américaine, dans un pays où il n’y a pas de clôture entre deux jardins : le père trace une ligne invisible sur le sol. Et le fils s’en amuse, passant l’invisible frontière, puis revenant dans le territoire autorisé.

Avec l’âge, les consignes du père deviennent de plus en plus autoritaires, et le fils de plus en plus transgressif, jusqu’à envisager, dans une autre scène magnifique, le pire.

Une autre façon d’aborder le libre arbitre, Malick a du lire Saint Augustin ! Car The Tree of Life attaque évidemment ses antiennes fétiches, ses interrogations ontologiques sur la destinée humaine : sommes-nous du côté de la Nature (des bêtes sauvages, indisciplinées, vaguement retenues du meurtre par quelques conventions sociales ?) Ou au contraire, sommes-nous du côté de la Grâce Divine, émanant d’une puissance supérieure, Enfants de Dieu destinés à l’Amour ?

A cette question (élève Ludovico, vous avez deux heures !), évidemment, Malick ne répond pas.

Au contraire, il enchaine sur un deuxième thème, qui fait de The Tree of Life le film le plus ambitieux de toute l’histoire du cinéma : raconter l’histoire de l’univers, tout simplement !

Pour une raison qui reste volontairement mystérieuse, Malick introduit dans son histoire deux parenthèses galactiques. L’une après l’introduction, en forme de documentaire sur la création de l’univers (big bang, création des planètes, apparition de la vie sur terre, tout y passe). Et conclut son film façon Paradis de Dante, où tous ceux qui s’aiment retrouvent leur Béatrice à la fin des temps (père et mère, fils et frères).

Dans quel objectif ? On ne sait. Ces séquences sont parfois splendides, parfois ratées, parfois lourdement chargées de pédagogie (le dinosaure qui épargne son semblable), mais en tout cas, elles induisent un effet de perspective : c’est la magie de la vie, et son mystère insondable. Qui nous a mis là, au milieu de l’espace, entre le froid terrifiant du vide interstellaire et les chaleurs infernales des galaxies en formations ? Dieu, ou le Hasard ?

On le voit, si vous avez envie de réfléchir, vous serez servi par The Tree of Life. C’est son coté Docudrama sur la 5. C’est aussi son point faible, car cette distance toute kubrickienne ne convient guère au sujet. On voudrait – c’est la lâcheté du spectateur moyen – être un peu ému.

Il y a pourtant de quoi. La difficulté d’être père, la difficulté d’être fils, d’être ou ne pas être le fils préféré, de protéger ses enfants ou de les préparer aux difficultés de la vie… tout cela devraient nous toucher profondément. Surtout, si comme Le Professore, vous avez eu vous aussi cette enfance à la campagne : la caresse d’une sauterelle dans le creux de la main, le bruit de l’eau qui ruisselle sur les galets de la rivière, le soleil dans les draps qui sèchent… Les images sont magnifiques, elles vous parlent. Mais, assez inexplicablement, on n’arrive pas à décoller. Peut-être parce que Malick se refuse à toute facilité, à toute empathie, et garde ses personnages à distance, comme ces insectes qu’il observe.

Cette posture kubrickienne ne fonctionne pas ici, parce que le sujet n’est pas le même. Chez Kubrick, le sujet, c’est la Misanthropie. L’homme est-il bon ? demandait l’Arzach de Moebius. Kubrick répond que non, il est jaloux, querelleur, vaniteux, violent. Malick ne répond pas, il pose la question. Dans cette hypothèse, il devrait essayer de nous faire apprécier ses personnages.

C’est aussi pourquoi La Ligne Rouge est un grand film, car c’est le film le moins manichéen dans la filmographie de Malick : les personnages y sont Kubrickiens, c’est à dire des insectes pris dans l’incendie de la fourmilière de Guadalcanal, et le cinéaste les observe, avec leurs qualités et leur défauts, mais aussi, contrairement à Kubrick, beaucoup d’empathie. C’est également le seul film de Malick basé sur un roman – excellent au demeurant*.

Les autres films sont purement Malickiens, et on sent notre prophète rousseauiste un peu perdu dans ses pensées mystiques.

Au final, on conviendra que c’est un film qu’il faudra avoir vu.

Qu’il vous plaise ou non sera une autre affaire.

*La Ligne Rouge
James Jones