mardi 26 octobre 2010


The Social Network
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Devant tant de perfection, il n’y a qu’à s’incliner : David Fincher, 8 films, et toujours pas un seul de raté.

Avec The Social Network, le réalisateur de Fight Club et de Seven ne cherchait pourtant pas la facilité : une œuvre de commande, un scénariste qui fait de l’ombre (Aaron « Maison Blanche » Sorkin), un biopic (genre casse-gueule par excellence), pire, un biopic sur un type encore vivant, Mark Zuckerberg, dont quasiment tous les lecteurs de ce blog ont accepté un jour de « Confirm » qu’ils étaient notre ami : il n’y a toujours pas de biopic sur Bill Gates – qui a à l’évidence encore plus changé nos vies – mais voila déjà un biopic sur Zuckerberg, le petit con qui a seulement affiché nos vies sur le net.

Et pas n’importe quel biopic : un biopic signé David Fincher.

Paradoxalement, le réalisateur wonderboy chrétien* étale ici d’autant plus son génie qu’il la joue étonnement profil bas. Biopic, film pédago, satire sociale, film de procès, success story, Fincher tente tous les coups, joue toutes les ouvertures, et fait mat en cinq coups, en s’effaçant entièrement derrière son projet. Là où tout un chacun ne résisterait pas au plaisir d’étaler un peu de maestria (Michael Mann, Soderbergh, pour ne citer que deux contemporains), Fincher se réfugie derrière le scénario-dialogue à la mitrailleuse lourde sorti des Usines Sorkin. Mais quel dialogue ! Si ce n’est pas une surprise pour les habitués de West Wing, un tel déluge d’informations doit surprendre le spectateur lambda. La première scène, par exemple, où Zuckerberg tient deux conversations à la fois… Ou encore ces explications informatiques sur les algorithmes de programmation, où le béotien ne trave que dalle, mais saisit quand même les enjeux…

La mise en scène, discrète, sort du même tonneau : du simple champ contre champ pour la première scène, Fincher résistera à toute esbroufe visuelle jusqu’au dernier travelling, très léger, de la scène finale. Et quand bien même il s’offre un gadget visuel, ce faux gros plan de modèle réduit sur la course d’aviron, il amène du sens ; ces rich kids de l’Ivy League ne seraient-ils pas que de enfants (avec des jouets plus chers ?)

Il reste le fond. Même si le film est une commande, même si – comme d’habitude -, il n’a pas touché au scénario, The Social Network parvient à être un « Fincher », c’est à dire un film sur la morale, sur le Bien et le Mal, sur la tentation, et sur le pacte faustien.

Avec – on a fait pire – Justin Timberlake dans le rôle du diable, et une boîte de nuit de San Francisco pour signer un pacte avec le démon. Quant les pauvres malheureux (les jumeaux Winklevoss) s’en réfèrent au prêtre local (en fait, le Doyen de Harvard), pour déterminer le right du wrong, on les redescend sur terre dans une scène hilarante.

Quant à la rédemption, indissociable climax du biopic, Fincher fait là aussi preuve de subtilité : pas de mentor moralisateur, pas de scènes annonciatrices d’un quelconque mouvement intérieur… Non, tout simplement la brutale franchise d’une avocate sexy, dans une punch line qui va devenir culte.

Bien sûr, on pourra dire que ce n’est pas le plus grand Fincher, et qu’il a tendance à s’effacer dans ses films récents (Zodiac, par exemple). Mais la marque du génie, ce n’est pas de faire l’artiste, c’est bien de faire une œuvre…

The Social Network, le chef d’œuvre invisible.

* Relire CineFast depuis le début, please
** Pendant les bandes-annonces, on a vu celle, trépidante, du nouveau Tony Scott, Unstoppable, Based On A True Story, évidemment. A la sortie de The Social Network, elle semblait atrocement démodée…