samedi 14 mars 2009


USS Alabama
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Nous partageons avec quelques-uns un culte étrange pour le Film de Sous-Marin. Genre mineur (en nombre de films), le Film de Sous-Marin exerce une fascination certaine, difficilement explicable au néophyte.

De Torpilles sous l’Atlantique, à A la Poursuite d’Octobre Rouge, ce sous-genre du film de guerre existe finalement au travers de quelques figures de style bien senties (affrontement des officiers supérieurs, courage des machinos, claustrophobie pour tout le monde) et surtout de répliques cultes, photocopiées à l’infini. « Immersion périscopique ! » « Torpilles 1 et 4 parées ! » et l’inévitable : « Si on dépasse les 300 m, la coque ne tiendra pas le choc, Capitaine !!* »

Il était normal que le duo de choc des années 80-90, Don Simpson et Jerry Bruckheimer, apporte lui aussi sa contribution au genre, avec Crimson Tide.**

Adoré à l’époque, comme parangon de la GCA, il était temps de vérifier l’usure du bouzin. Mis en cale sèche sur le disque dur de la Freebox, il a subi un examen complet de la coque : étonnamment, le film passe très bien la barre et – osons le dire -, presque mieux qu’en 1995. Plus subtil qu’il n’y paraît, il révèle (maintenant qu’on connaît Armageddon, mais aussi Déjà Vu, ou Le Plus Beau des Combats), une des clefs de voûte de l’œuvre Simpsonio-Bruckheimerienne, car œuvre il y a.

Le film néon
Esthétiquement, USS Alabama possède les caractéristiques d’usine Simpson-Bruckheimer : grosse cylindrée, couleurs pétantes (rouge-bleu-vert), montage cut, gros plans léchés, tout brille ! Même le casting : Gene Hackman-Denzel Washington, of course, mais aussi plein de petits qui vont aller loin : Viggo Mortensen, James Gandolfini, Ryan Philips, Lilo Brancato…)

Tous pour la Marine !
Dans l’excellent livre de Jean-Michel Valantin « Hollywood, le Pentagone et Washington , Les trois acteurs d’une stratégie globale », l’auteur explique les liens tissés par les différents cadors d’Hollywood avec les armées US, pour les aider à réaliser des films, qui parfois, n’ont plus grand-chose à voir avec des films de guerre (Independance Day, par ex.) Après le carton Top Gun, qui amena un afflux de recrutement pour l’Aéronavale, les deux compères Simpson-Bruckheimer ont dû garder les cartes de la visite de la Navy, car ici encore, la marine est glorifiée (et l’Air Force moquée, via une blague au début du film)

Le film russe
Nous avons déjà vu qu’Armageddon est un grand film russe (les pionniers pragmatiques, le courage, le fatalisme…) USS Alabama est paradoxalement, un film très russe, lui aussi… Sa musique est un long requiem digne des chœurs de l’Armée Rouge, et le film, un soutien objectif à la Russie Eternelle… Les méchants russes sont des démagogues qui veulent renverser le gouvernement actuel (pourtant pas un modèle de démocratie, mais, à la fin, le pouvoir en place (la Russie Eternelle) triomphe, écrasant la rébellion, à la satisfaction générale.

Le cœur de l’Amérique
Républicains convaincus, les deux compères n’ont jamais caché leur préférence pour le cœur de l’Amérique (Oklahoma, Texas, Virginie), plutôt que pour la décadente Los Angeles, la cynique New York ou la tyrannique Washington… Surnommer leur sous-marin Alabama n’est donc pas un hasard, c’est à la fois l’état de l’affrontement racial*** c’est aussi l’état qui vit le commencement de la fin de la ségrégation. Comme le dit Gene Hackman, le commandant blanc et un peu facho, à propos de son bateau : « It bears a proud name, doesn’t it, Mr. Cob? It represents fine people. Who live in a fine, outstanding state. In the greatest country in the entire world. » Ça c’est non seulement l’Alabama, mais le coeur du public des films Simpson-Bruckheimer : leur objectif, avaient-ils coutume de dire, est que ça plaise aux gars de l’Oklahoma (comprendre, pas aux tafioles de New York ni aux gauchos de Los Angeles). Objectif atteint.


L’affrontement racial

C’est à la fois le fil rouge du film et un leurre : un capitaine blanc, un second noir, rednecks opposés aux blacks soul , et cette métaphore, sublime, qui sublime le débat : l’anecdote des chevaux lippizans blancs immaculés, « parfaits », mais « qui naissent noirs ». Cachés derrière cette pseudo-confrontation raciale, il y a en fait la vérité de la Nation, qui dépasse la race, les convictions politiques et religieuses. Là où le film possède cette deuxième couche, c’est bien ici : entre l’intello noir et le chef hard-boiled blanc, la différence, au final sera mince : tout deux se battent pour la liberté, et pour « the greatest country in the entire world. » De même pour l’équipage, où chacun tentera de compter ses troupes, mais où la ligne de partage ne sera pas raciale, mais idéologique.

On retrouve exactement le même thème, transposé à l’univers du College Football, dans Le Plus Beau Des Combats. Ici le « méchant » est Denzel Washington, un coach dur à cuire qui remplace – contre l’avis de tous – le coach blanc (Will Patton, vu aussi dans Armageddon), compétent et sympa. Comme dans USS Alabama, la réconciliation est au bout du chemin, contre le racisme et les préjugés des deux camps.

Le thème racial n’est pas innocent chez Simpson-Bruckheimer : ce duo de producteurs, très à droite, (voir plus loin), a fait dès le début une large place aux noirs dans leurs films. Le Flic de Beverly Hills ainsi, fut le premier blockbuster de l’histoire avec un héros noir (Eddie Murphie, en 1983 !) Une intuition marketing, bien sûr, mais plus que ça. Les noirs dans les films Simpson-Bruckheimer, ont toujours une place de choix, ce ne sont jamais des victimes. Denzel dans Le Plus Beau Des Combats est un leader, pas une victime de la ségrégation. Il emmène ses élèves désunis au petit matin se recueillir sur le champ de bataille de Gettysburg, où tant de jeunes américains blancs, désunis comme eux, sont morts pour ou contre l’esclavage (« United we stand, divided we fall », selon le célèbre mot d’Abraham Lincoln). Le Flic de Beverly Hills, Bad Boys I&II proposent des rôles de flic très proactifs, qui ne subissent ni les gangsters, ni les brimades d’autres collègues.

La compassion pour l’extrême droite
A l’opposé, la droite dure est toujours vue avec une certaine compassion dans les films du duo. C’est le très beau personnage de Déjà Vu, incarné par Jim Caviezel, c’est Ed Harris, le colonel « à principes » dans The Rock, ici c’est Gene Hackman, un facho, mais aussi un grand chef, apprécié de ses hommes.

Au final, USS Alabama propose plutôt un combat de principe, entre les légalistes et les pragmatiques. Un peu ridicule en 1995, ce l’est moins aujourd’hui, quand on voit l’usage que l’administration Bush a pu faire du concept de guerre préventive. On a ainsi droit, au plein milieu du film, à une scène d’explication – surréaliste dans un film US – sur Clausewitz. Devant James Gandolfini en beauf médusé, Denzel périme le penseur prussien : « A l’ère nucléaire, le véritable ennemi, c’est la guerre elle-même. »

A bas Washington !
A la fin, le méchant blanc pardonnera à l’intello noir, et vice-versa, car c’est comme d’habitude l’Etat qui a merdé : l’Etat centralisateur, en créant un bug dans la prise de décision nucléaire.

CQFD.

*prophétie qui, bizarrement, ne se réalise jamais…
** USS Alabama cite d’ailleurs, via un bizutage, un des parangons du genre, Torpilles sous l’Atlantique. Denzel Washington en appellera ensuite aux mânes de Star Trek, qui lui aussi s’apparente au Film de Sous-Marin (relisez les trois phrases-type et vous comprendrez)
*** cf. la chanson de Neil Young, et la réplique de Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama