jeudi 18 avril 2024


13 Hours
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

13 Hours, c’est la démonstration mathématique – par l’absurde – du poison qu’est le BOATS ou le Biopic pour un cinéaste. Dans les mains d’un tâcheron, le poison fait des ravages (Le Discours d’un Roi, Bohemian Rhapsody, Moi, Tonya, etc.) Dans celle d’un auteur, au minimum, ils l’abîment.

C’est le cas de 13 Hours, où l’artiste Michael Bay ne peut donner que qu’il a, c’est-à-dire son talent inné de détruire des voitures et de filmer des fusillades. Car 13 Hours est le BOATS sur l’attaque en 2012 de la mission diplomatique de Benghazi. Six agents de sécurité vont défendre seuls ce Fort Alamo lybien contre les attaques répétées des milices djihadistes d’Ansar al-Charia.

Le film raconte ces treize heures, concluant comme il se doit (Masters of the Air, Band of Brotehrs, American Sniper…) d’un petit post scriptum final de jolies photos en noir et blanc nous rassurant sur le destin – heureux, forcément heureux – de nos héros : « John est retourné vivre dans l’Alabama où il cultive des carottes, entouré de sa femme et de ses filles, Melissa et Oggy. »

Si ce n’était pas un BOATS, ce serait un bon film de Michael Bay, un peu trop long (trop de de pan-pan et de boum-boum), mais il manque les aspérités habituelles qui font tout le sel de la tourte baysienne :  le-facho-pas-mauvais-dans-le-fond, le-petit-gros-sympa, la-fille-pointue-qu’a-pas-froid-aux-yeux …  Comme on parle de vraies gens, on n’y touche pas trop. Et il y a beau avoir de bons acteurs (sortis de The Office !), on s’ennuie ferme…

C’est ça le biopic.  




mardi 6 février 2024


La Zone d’Intérêt
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

A priori, les astres étaient alignés. Jonathan Glazer, le formaliste ultra doué de Under the Skin semblait le parfait écrin pour quelque chose d’aussi indicible que la Shoah. Le parfait adaptateur également du très drôle, et très pénétrant, livre de Martin Amis.

Mais voilà, Glazer n’adapte pas La Zone d’Intérêt, mais plutôt La Mort est Mon Métier de Robert Merle. Le romancier français y biographiait/psychanalysait Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz.

Martin Amis, lui, sait – règle numéro un du Biopic réussi – qu’il faut s’écarter du sujet pour mieux le cerner. Il transformait Höss en Paul Doll, un commandant falot auquel il adjoignait deux co-narrateurs : Angelus Thomsen, officier nazi dragueur qui se rapprochait de la femme de Höss, et Szmul Zacharias, un Sonderkommando juif, pris tragiquement au cœur de ce trio d’opérette. Avec un humour ravageur, sans jamais tomber dans le mauvais goût (autant dire une performance sur ce sujet), Amis montrait la racaille nazie dans toute son incommensurable bêtise, et dans toute sa veulerie.

Ici, Glazer se contente de filmer sérieusement la famille Höss (Monsieur, Madame, la belle-mère et les enfants) comme une sorte d’installation d’art contemporain qui pourrait s’appeler Nazis Love Their Children Too.  

Vouloir montrer la banalité du mal (les enfants jouant dans la piscine tandis que les crématoires tournent à plein régime), ou l’avidité revancharde (se « venger des juifs » dont ils étaient la boniche, comme le dit la belle-mère, en volant leur manteau de fourrure, leurs bijoux et leur rouge à lèvres…), ne suffit pas à faire film.

On est plutôt devant des tableaux (des enfants qui jouent, une mère qui jardine, un père qui administre…), tableaux d’une exposition qui aurait pour fond sonore l’extermination. Si l’exhibition du mal est parfaite, si le propos est glaçant, cela n’apporte pas grand-chose à son sujet.

Une heure et quarante-cinq minutes plus tard, nous sommes toujours dans la zone d’inintérêt…




vendredi 27 octobre 2023


24 Hour Party People
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films -Les gens -Playlist ]

Le temps passe, on regarde 24 Hour Party People, le film de Michael Winterbottom pour la troisième fois. Le film a vingt ans, mais il ne vieillit pas, pas plus que son sujet.  Cette chronique ultra ciblée de la scène de Manchester aux tournants des années 80, Joy Division, New Order, Factory est une tragi-comédie qui ne cesse de faire rire et d’émouvoir.

À la base, l’histoire est extraordinaire. Tony Wilson, présentateur télé local, assiste au fameux concert mancunien des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall.  Nous sommes en 1976, les Pistols débutent, et, selon la légende, ils ne sont que 42 dans la salle. Pourtant, ils vont tous – ou presque – devenir célèbres. Ian Curtis, Peter Jook (Joy Division), Morrissey (The Smiths), Howard Devoto, Pete Shelley (Buzzcoks) assistent à ce concert*.  Tony Wilson, lui, ne montera pas de groupe, mais ouvrira un lieu pour les accueillir, puis un label pour les produire (Factory Records), puis une boîte pour les faire danser (The Hacienda), tous devenus légendaire, engendrant une scène qui révolutionnera plusieurs fois la musique populaire : Joy Division, New Order, Happy Mondays…

Au lieu d’emprunter aux codes classiques du Biopic, Michael Winterbottom invente l’autobiopic. Pour cela, il a un véhicule idéal : le toujours génial, toujours ultrabritish Steve Coogan. Tony Wilson brise le quatrième mur, commente l’action (la sienne comme celles des autres), fait intervenir les vrais protagonistes en cameo, qui eux-mêmes commentent l’action ou corrigent le propos. Tout cela foisonne, comme la réalisation : images d’époque, vidéo, 35mm… Quand la forme est en symbiose avec le fond, on ne s’ennuie pas.

Un montage épique, pour une épopée.




jeudi 20 juillet 2023


Oppenheimer
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il a suffi d’un petit quart d’heure pour que le Professorino retourne le paternel comme une crêpe. Pourtant, en sortant de l’Opus Magnus de Christopher Nolan, le Ludovico avait un mal de crâne épouvantable. Trois heures de violon albanbergien avait eu raison de son ouïe, et de son cortex cinephilo-spinal.

Mais bon sang ne saurait mentir… Formé dans les meilleures écoles (Eric Taylor Elementary School à Dillon, Texas, Master en Social Network à Harvard, pour finir à la James McNulty University de Baltimore), le garçon a des lettres.

Lui était sorti enchanté du cours de physique nucléaire de Monsieur Nolan, et tenait à peu près ce langage : on ne peut pas reprocher tout et son contraire au réalisateur du Prestige. Pour une fois, il tient son sujet. Nolan a un point de vue clair sur Oppenheimer, l’homme, son génie, ses ambigüités. Pas de gloubi-boulga capitalo-marxiste façon Dark Knight Rises. Pas d’intrigue incompréhensible façon Tenet. Pas de cours nébuleux d’astrophysique façon Interstellar.

Pourtant Oppenheimer, ça commence mal : deux heures de docudrama sur la jeunesse du grand homme, ses recherches, ses amours, ses convictions changeantes, et le passionnant problème de la construction de bâtiments au cœur du Nouveau Mexique. Ce pourrait être Secrets d’Histoire, avec Stephane « Nolan » Bern.  La pédagogie est réussie (particules, fission, fusion, etc., mais on a perdu Nolan le cinéaste. Champ / contrechamp, musique insupportable (et permanente), le cinéaste esthète ne reprend jamais son souffle (ni le nôtre). Il ne s’arrête jamais pour contempler la beauté du monde, lui qui sait si bien le faire. Les quelques images d’électrons, de trous noirs en création, de neutrons en collision durent une microseconde, alors qu’on nous inflige le visage émacié de Cillian Murphy

Mais la troisième heure vient sauver tout ça. La bombe a explosé, et Nolan a le bon goût de ne pas s’extasier devant le nuage radioactif. Au contraire, le film commence. Oppenheimer a des doutes. Oppenheimer comprend (dans une très belle scène de discours) qu’il vient de donner aux hommes l’arme ultime. Il voit les dégâts infligés aux habitants d’Hiroshima (là aussi, Nolan a le bon goût de ne pas les montrer). Il exprime ses doutes et devient un personnage dangereux, qui voudrait éviter la course aux armements. Potentiellement, Oppenheimer devient un traitre.

Commence alors un film de procès, spécialité américaine, mais où le talent, la vivacité Nolanienne, excellent. Porté comme à son habitude par des acteurs exceptionnels, même dans de tout petits rôles (Gary Oldman en Truman), Oppenheimer – le film révèle enfin ses enjeux : le génie qui a sauvé l’Amérique va-t-il être voué aux gémonies ? Son mentor, Lewis Strauss, va-t-il connaitre le même destin ? Enfin, on a peur pour nos personnages, enfin on sort du docu-biopic…  Pour une fois, le propos est d’une rare clarté, tout en laissant son personnage principal dans ses zones d’ombres…  

Oppenheimer, le film, ne lève pas le voile sur Oppenheimer l’homme, et c’est tant mieux comme ça…




mardi 30 mai 2023


Héritage de Succession
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Pour en finir avec ... -Séries TV ]

Peut-on enfin mesurer l’incroyable succès artistique que représente Succession, désormais un des 8000 télévisuels après cette season finale d’exception ? Là où il n’y a plus beaucoup d’oxygène pour les series faiblardes, mais en bonne place à côté des autres Everest que représentent Sur Ecoute, Mad Men ou Les Soprano ? C’est-à-dire une série parfaite de bout en bout, sans accroc, ni failles ?

Sur le papier, pourtant, Succession accumulait les tares. Une série sur le monde de l’entreprise, très rarement filmé correctement par nos amis du Monde Merveilleux de la Scène et du Spectacle. Au cinéma, le travail est souvent ridiculisé. Les cadres sont stupides, les ouvriers opprimés… Succession a évité ce premier écueil en proposant des personnages tous aussi horribles les uns que les autres, évoluant dans un cadre réel : un conglomérat de la presse et de l’entertainment. Ce qu’ils font n’est pas idiot, ils constituent des empires, les défont, les revendent : en un mot, ils travaillent.

Le deuxième récif était de faire un Biopic. On ne peut s’empêcher en effet de penser aux Maxwell, aux Murdoch*, et aux Lagardère. Mais en choisissant justement de ne pas traiter un sujet en particulier – faiblesse du BiopicSuccession devient universel en passant du particulier au général. Et fait œuvre.

Troisième point d’achoppement possible : la description du luxe. Si Hollywood, pour des raisons évidentes, est plus à l’aise sur le sujet, il fallait néanmoins soigner le réalisme de chaque détail, à l’aune desquels la série serait jugée**. Yacht, hélico, montres de luxe, vins fins, niveau de langage : tout sonne juste dans Succession.

Après, la série a les qualités habituelles des grandes œuvres : un propos fort, et des personnages solides extrêmement bien joués, sans fausse note aucune. Aussi bien le Front Row (le père et ses quatre enfants, Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin, Alan Ruck, Sarah Snook) que les personnages annexes, Tom et Greg (Matthew Macfadyen, Nicholas Braun), le CODIR Waystar (Peter Friedman, Dagmara Domińczyk, David Rasche) et les vautours qui les survolent (Arian Moayed, et le toujours génial Alexander Skarsgård). Casting parfait, qualité HBO : à simple titre d’exemple, on notera la présence de J. Smith-Cameron, une habituée HBO, dans le rôle de la directrice des affaires juridiques. Elle incarnait quelques années auparavant, une white trash louisianaise dans True Blood.

Dernier succès et non le moindre, avoir su tirer une histoire d’un ensemble de rebondissements répétitifs. Chez ces Atrides de new-yorkais, on s’aime, on s’allie, on se trompe et on se trahit… Pourtant le spectateur n’a jamais l’impression que la série se répète, tant elle est capable de renouveler ces jeux d’alliance (le frère et la sœur, le père et le frère, l’ami et le traitre, etc.), tout en dévoilant petit à petit les fractures intimes des personnages. Roman Roy, interprété par le fabuleux Kieran Culkin, en est le plus vibrant exemple.  

Il y a enfin la capacité du showrunner à bâtir, à partir de ces intérêts particuliers, un propos plus vaste. Comme cette saison 4, où les déchirures familiales peuvent potentiellement amener à l’élection d’un clone de Trump.

On constatera l’impact, au sens physique du terme, de ces décisions puériles sur la vie de ceux-là mêmes qui auront créé ce chaos…

* Inspiration originelle de Jesse Armstrong, qui voulait d’abord ne réaliser qu’un film…

** Un contre-exemple possible étant l’adaptation indie – donc fauchée – de l’American Psycho de Brett Easton Ellis par Mary Harron. Pour que le film marche, il fallait des restaurants luxueux, des appartements gigantesques, ce que la production ne pouvait s’offrir.




vendredi 24 février 2023


A Spy Among Friends
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

A Spy Among Friends tente quelque chose d’extrêmement risqué : le biopic sur un sujet qui passionne le Professore Ludovico ; l’affaire Philby. Rappelons les faits : en 1951, on découvre que Burgess et McLean, deux espions britanniques sont en fait des agents doubles, qui s’enfuient aussitôt pour l’URSS. Leur ami Philby est accusé d’avoir laissé faire, voire pire : les avoir prévenus. Il se défend. Philby est isolé, placardisé, mais innocenté. Il quitte le MI6, devient journaliste à Beyrouth, mais la CIA ne le lâche pas. En 63, sous la pression, il rejoint lui aussi l’URSS. De la même manière, un de ses meilleurs amis, Nicolas Elliott, est accusé de l’avoir laissé partir.

A Spy Among Friends commence là, en suivant Elliott – le toujours très bon Damian Lewis* – et presque accessoirement, Philby (Guy Pearce**).

Là où la série fait très fort, c’est qu’elle ne s’intéresse pas à l’action mais bien aux souvenirs. Que s’est-il passé ces trente dernières années entre ces deux personnes ? A Spy Among Friends entremêle les flash-backs, de sorte qu’on ne sait plus où l’on est, ni quand l’on est. Interrogatoire à l’arrivée de Philby à Moscou (en 63), opérations en Autriche (en 38), dîner amical avec Angleton, futur patron de la CIA (en 41) : la série réussit l’exploit de nous faire entrer dans la tête des protagonistes, ce qui est la nature même de l’espionnage. Pas de coups de feu, pas d’échange sur un pont à Berlin, pas de parapluie empoisonné. A Spy Among Friends est un immense mindfuck.

Interprété avec une immense sensibilité, la minisérie révèle lentement sa grande intelligence, alors qu’elle peut paraître au début longue et confuse.

C’est la marque des grands.




mercredi 16 novembre 2022


L’Innocent
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Miracle ! Est-il possible de voir encore un film comme cela en 2022 ? Une comédie policière, qui ne traite pas un sujet sociétal (transgenre/migrants/inceste/féminicide) ? Qui a un scénario qui se tient, passionnant de bout en bout ? Qui est drôle et profond à la fois ? Musclé, mais qui prend son temps ? Esthétique, sans être esthétisant ? Interprété par des acteurs géniaux qui font juste ce qu’il faut, c’est à dire ni trop, ni trop peu ? Un film qui sort des usines françaises, que l’on croyait délocalisées en Iran dans le garage Fahradi, ou – version écolo-électrique -, Made in Oregon par l’usine Reichardt ?

Ce film c’est L’Innocent, écrit et interprété par Louis Garrel, que l’on imaginait condamné par atavisme familial aux oubliettes de la Politique des Auteurs. Certes, le Professore arguera que c’est son chouchou Desplechin qui a incité Garrel à raconter cette histoire, et qu’il y a aussi la mafia de Roubaix (Roschdy Zem, Grégoire Hetzel, avec même des extraits musicaux de Roubaix, Une Lumière) …

Mais ce serait faire un bien mauvais procès au film, car il n’a besoin d’aucun parrain, avec dans les poches le meilleur acteur français de sa génération (Roschdy Zem), le come-back retentissant d’Anouk Grinberg, et la révélation Noémie Merlant, un peu coinçouille chez Audiard, mais qui révèle ici l’étendue de son talent. Garrel, lui, joue parfaitement ce rôle de fils perdu, à forte composante autobiographique…

Et si c’était cela la recette du succès ? Pas le Biopic, based-on-a-true-story, mais un truc très simple : la sincérité ?




vendredi 22 juillet 2022


Casque d’Or
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films -Les gens ]

Jacques Becker, voilà un gars qui n’est pas manchot. Casque d’Or a beau raconter une histoire vraie, Becker ne s’emmerde pas avec le biopic*. Il a un film à faire, des enjeux à poser, une structure narrative à mettre en place. C’est ça qui compte.

On est en 1900, Casque d’Or est une jolie blonde qui tapine pour les voyous de l’époque, les Apaches**. Elle est avec Roland, un gars de la bande à Lecca. Mais justement le patron lorgne sur elle. Mais bien sûr, elle est amoureuse d’un autre, Manda (Serge Reggiani), ancien voyou reconverti en menuisier, évidemment marié.

Le triangle des tensions est installé, et tout ça va mal finir. C’est toute la force de Casque d’Or, de Heat, du Faucon Maltais ou de La Fièvre au Corps ; faire planer le fatum sur la tête des personnages. Tout pourrait s’arranger, mais tout va de plus en plus mal, car les hommes et les femmes sont comme ça… Hitchcock disait que la tragédie, c’est des gens qui font le contraire de leur intérêt. Casque d’Or, c’est exactement ça. Parfaitement amené, parfaitement mise en scène, parfaitement écrit (et bourré d’injures qui sonnent juste), ménageant son lot de surprises (le « tapin » final), Casque d’Or est un très grand film, étonnement moderne.

Et pas seulement parce qu’au milieu de Casque d’Or trône la reine Simone. Signoret, au sommet de sa beauté, comme un rayon de soleil. Becker l’a compris, et il la filme.

Comme on filme le soleil.

* Il inverse ainsi la réalité : C’est Manda qui avait agressé Lecca.

**Appelés ainsi parce que la presse – déjà ! – compare les affrontements entre bandes à ceux du Far West




samedi 16 juillet 2022


Love & Mercy
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

On se fout un peu des Beach Boys, de Pet-Sounds-le-plus-grand-album-de-tous-les-temps, mais on nourrit une passion coupable pour Paul Dano, l’un des plus grands acteurs de sa génération, passion partagée au-delà du Rideau de Fer avec Karl Ferenc. Qu’on en juge : Little Miss Sunshine, There Will Be Blood, Night and Day, La Dernière Piste, Looper, Prisoners, Twelve Years a Slave…

Il y a Paul Dano dans Love & Mercy, donc on regarde. Mais il y a aussi John Cusack, un acteur assez sous-estimé qui a traîné ses guêtres un peu partout : chez John Hughes, Rob Reiner, John Sayles, Clint Eastwood, Terrence Malick, Spike Jonze, David Cronenberg. Excusez du peu* !

Dans Love & Mercy les deux acteurs jouent un dispositif intéressant : Brian Wilson jeune est joué Paul Dano, tandis que la version actuelle est jouée par Cusack. Le tout raconte l’éternelle histoire du manager/toubib/parasite (ici le Dr. Eugene Landy, avec le toujours bon Paul Giamatti) qui prend sous coupe réglée une star qui n’en peut mais, coincée par ses problèmes psychologiques et ses différentes addictions. Elvis Presley, Brian Wilson, Britney Spears, you name it.

Si le dispositif est rigolo, il tient surtout aux performances des deux acteurs, forcés de sous-jouer (Wilson est un timide maladif) : on est loin des performances à Oscars.  

Pour le reste, Love & Mercy est le biopic tradi, déroulant le Parcours du Héros version Rock’n’roll : ça ne va pas bien, et puis ça va mieux, le connard drogué/infidèle/prétentieux devient un type sympa et généreux, et trouve en général l’Amour. En même temps, l’Amour, c’est Elizabeth Banks, donc on le comprend.

On aimerait bien qu’un jour on nous raconte le contraire : crises diverses, conneries à tous les étages, addictions en tout genre et SURTOUT pas de rédemption !

Les Rolling Stones, pour ne pas les nommer.

*Sixteen Candles, Stand by Me, Eight Men Out, Les Arnaqueurs, Les Ailes de l’Enfer, Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal, La Ligne Rouge, Dans la Peau de John Malkovich, High Fidelity, 2012, Maps to the Stars…




dimanche 9 janvier 2022


American Crime Story: Impeachment
posté par Professor Ludovico dans [ Les gens -Séries TV ]

Ryan Murphy est le plus fort. Une fois de plus, l’homme de Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Scream Queens, Feud, Hollywood, Ratched fait mouche avec sa troisième saison de American Crime Story, dédiée à l’affaire Clinton-Lewinsky.

Pourtant, il y a plein de raisons de renoncer. Clive Owen en Bill Clinton et Edie « Carmela Soprano » Falco en Hillary, vraiment ? Un gros nez en maquillage pour Bill et Paula Jones ? Une histoire qui ne touche pas forcément les Français ? Et le filmage très académique, la Murphy’s touch ?

Mais voilà, Ryan Murphy sait qu’une bonne histoire commence avec de bons personnages. Et ça, il sait faire. Au lieu du biopic traditionnel, (les-faits-rien-que-les-faits, puisqu’on vous dit que c’est-réellement-arrivé), Murphy commence par motiver ses personnages. Pourquoi Paula Jones dénonce-t-elle Clinton ? Parce qu’elle a un mari arriviste… Pourquoi Kenneth Starr s’entête sur le couple présidentiel ? Parce que les Républicains ne peuvent supporter ces jouisseurs de gauche au pouvoir… Pourquoi Linda Tripp, une employée du Pentagone décide de faire copine-copine avec une petite stagiaire rondouillette ? Pour se venger de sa carrière en pente douce…

Alors que le spectateur ne pense qu’à une petite robe bleue, le showrunner ne la sortira (et encore, furtivement) qu’à la cinquième heure…  Parce que Ryan Murphy est un formidable conteur, qui aime ses personnages et veut vous les faire aimer…  Et il les aime tellement qu’il prend toujours les mêmes acteurs, quel que soit la série, le genre, le rôle…

Mais au fait, où est Sarah Paulson, sa chérie, sa muse ? En fait elle est devant nous depuis quatre heures, métamorphosée en Linda Tripp, quinqua épaissie et gauche, et on ne l’a même pas reconnue !  L’immense Sarah Paulson, capable de tout jouer. Se pliant aux fantasmes de Murphy, elle a déjà incarné dans American Horror Story une journaliste, une sorcière, une freak bicéphale, une junkie, une actrice, une mère paranoïaque… Dans American Crime Story, la Procureure Marcia Clark, dans Ratched une infirmière folle…  

Mais dans un Murphy, tout le monde est bon, car tout le monde a quelque chose à jouer… Il semble d’abord que ACS:I tourne autour de Tripp, mais à mi-parcours, Monica grandit, sort de son rôle de jewish american princess et devient l’héroïne, avant d’être supplantée par Hillary. Si tous ces personnages sont chargés (assoiffée de vengeance, nunuche sentimentale, cocue résignée), elles sont aussi mises en valeur (Tripp utilisée puis rejetée dans les poubelles de l’histoire, Lewinsky petit bout de femme capable de redresser la tête, Clinton lancée dans la course politique)…

Il en va de même pour tous les rôles annexes, de l’agent du FBI (Colin Hanks), à la journaliste ultra-droite Ann Coulter (Cobie Smulders), ou la mère de Monica (Mira Sorvino)… La véracité des personnages permet d’envisager tous les points de vue, tout en permettant à Murphy de soutenir le sien : la sexualité ne devrait rien avoir à faire avec la politique…

Continuez, Mr Murphy. On en redemande…