jeudi 26 janvier 2006


From Hell
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Par des effets dont le hasard a le secret, me voilà replongé dans Jack L’Eventreur. Mon beauf, fou de BD, m’a offert From Hell de Alan Moore il y a deux ans. Je l’ai lu, je suis poli, c’est mon beauf. En fait c’est pas vrai, j’avais vraiment envie de le lire. Mais ca ne m’a pas plu. Faussement intello dans le dessin, vraiment intello dans le scénar. Incompréhensible. Je vois le film, From Hell, objet de cette chronique (ça vient, ça vient…) : nul. Simpliste. BD. Cliché. Anti-Hitchcokien.

Mais quand même ça me traîne dans la tête. Je m’achète un jeu, London 1888, sur le même thème. Ca me donne envie de la relire, cette BD. Que je trouve géniale cette fois-ci (sauf le dessin). Et puis, pourquoi pas revoir le film ? C’est fait depuis ce soir. J’avoue qu’il remonte un peu dans mon estime, parce que je l’ai vu d’un autre œil. Attention, la chronique commence là :

En fait, c’est le même problème que le Seigneur des Anneaux. Si on juge comme un film lambda, c’est nul. Si on accepte de voir l’immensité de la tâche que ça représente, le résultat est acceptable (voire plutôt réussi pour le SDA).

Dans From Hell, BD multi-acclamée par la critique, il y 500 pages ; on parle de Whitechapel, du socialisme, des Francs Maçons, de l’histoire de Londres, de la Reine Victoria, de la vie du flic qui enquête, Abberline. Et surtout, on hitchcockise : dès le départ, on sait qui est Jack. Comme dirait Alfred, on s’en fout de savoir qui c’est, on veut juste savoir s’il va se faire prendre.

Dans un film hollywoodien d’une heure trente dont le but avoué est de toucher les kids US qui jouent à Vampire, Le jeu de Rôle, et à tous les fans de musique gothique, c’est pas si facile. On vulgarise. Et c’est là que From Hell, le film devient intéressant, parce qu’américain. Je précise qu’Alan Moore est anglais.

Or From Hell, le film, aligne toutes les américaneries nécessaires.

J’ai une théorie, en effet. Pour les américains, l’ennemi, c’est l’anglais. Il suffit de voir le nombre d’anglais qui jouent les méchants dans les films américains. Alan Rickman dans Robin des Bois (alors que le reste du cast de Nottingham est US, il y a même Morgan Freeman), Alan Rickman dans Die Hard, Jeremy Irons dans Die Hard, Geoffrey Rush dans Pirates des Caraïbes, Kenneth Branagh dans Harry Potter, Ralph Fiennes dans La Liste de Schindler ou Dragon Rouge, Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux, Ian Holm dans Alien, etc., etc. Si ce ne sont pas des anglais, ils prennent l’accent anglais…

Pourquoi ? C’est assez simple. Dans l’imaginaire américain, ce sont les colons, les Habits Rouges, les brits. Les vrais américains sont italiens, norvégiens, allemands ou… irlandais. Les autres ne sont que l’incarnation de la puissance occupante. (Voir également The Patriot, où les anglais sont traités comme des nazis…)

Et comme par hasard, dans From Hell, on retrouve ces éléments, extrêmement grossis par rapport à la BD, alors qu’ils ne sont que des détails dans cette dernière. Par exemple, l’aspect Irlandais de Marie Kelly devient très important dans le film. Jouée par une blonde (Heather Graham outrageusement teinte en rousse), Mary Kelly l’irlandaise est sauvée dans le film, alors qu’elle meurt (comme dans la réalité) dans la BD. Elle passe d’ailleurs du statut de victime anecdotique à un rôle de personnage principal, puisqu’une intrigue amoureuse la lie à Johnny Depp (Abberline). D’autres références à l’Irlande sont présentes : l’ami d’Abberline lance une fausse bombe en craint « Libérez l’Irlande !!!» pour détourner l’attention de la police qui le cherche. La fin du film, grandiloquente happy end à l’opposé de la BD, se déroule dans une Irlande de rêve, sur la côte verdoyante de l’atlantique (le côté qui regarde les Etats-Unis)

Autre point américain : la persécution des juifs est amplifiée dans le film (on sait l’identification très forte des américains au peuple hébreu, l’un des trois mythes fondateurs des Etats-Unis).

Ensuite, les frères Hughes qui réalisent ce film prennent un parti anti-hitchcokien : ils font un whodunit. Qui, effectivement, est Jack ? Ce parti-pris semble un peu ridicule puisqu’on a lu la BD ! Mais non, bêtes que nous sommes, le film ne s’adresse pas à nous ! On n’est pas en Europe ! On s’adresse à la masse des mangeurs de pop corn qui peuple les salles US. Pas le malheureux littéraire qui a lu le Da Vinci Code ! Donc on peut tout se permettre. Et, à la revoyure, ça marche pas mal. Des indices contradictoires sont glissés dans tout le film, qui peuvent suivre l’une ou l’autre des pistes. Ce suspens est finalement assez bien fait. Ensuite, on résume, on simplifie, on fait dans le cliché : WhiteChapel, c’est sale, on le montre. Pourtant les filles, présentées comme moches et bêtes dans le BD, sont plutôt bien maquillées dans le film. Elles ont des robes facilement reconnaissables : rouge pour l’une, verte pour l’autre, comme ça on peut pas se tromper. Elles ont un accent à couper au couteau, ça fait bien couleur locale. Les méchants ont des gueules de méchants. Les francs-maçons ont les cheveux blancs. Les gars de la haute sont insupportables. Facile. Efficace.

Et au final, on realise qu’ils ont réussi à glisser pas mal d’idée de la BD dans le film. Même s’ils ont perdu l’esprit en route, comme dans le Seigneur des Anneaux…


6 commentaires à “From Hell”

  1. FrameKeeper écrit :

    Comme je dis souvent.. « le cinéma n’est pas une science exacte ».. la première fois, j’ai adoré  » la femme public » avec Valérie K…

    Et comme je dis depuis avoir vu King Kong III, « ce Jackson, il n’a vraiment pas grand chose à dire »

    Bref, je me cite souvent, cela donne du piment à ma conversation.. et ça c’est pas de moi…

    Biz

  2. Pr Ludovico écrit :

    petite précision, je viens de finir From Hell. Moore laisse entrouverte, de manière très elliptique, l’existence d’une happy end pour M. Kelly…

    voilà qui est corrigé.

  3. Le Beauf écrit :

    Comme tout amateur de BD (voir le Professor Ludovico ci-dessus), il est évident que la nouvelle d’une adaptation de « From Hell » faisait à la fois peur et envie.
    En partant d’un livre d’une densité tout à fait hors du commun, on était curieux de voir comment le scénariste s’en sortirait. Que dire d’autre ? Il en a fait un film d’action an demeurant assez classique en prenant la matière et en écartant le fond.
    Pour ceux que l’oeuvre (la vraie) intéresse, on se reportera avec avantage à cette interview de Alan Moore où il décortique (entre autre)ses rapports avec Hollywwod : http://www.avclub.com/content/node/24222

  4. Pr Ludovico écrit :

    rien que la légende de la photo définit toute l’ambiguité d’adapter des BD en film : « In my world, the actors and the director are all made of paper, and they do exactly what I say. »

    tout est dit.

  5. CineFast » L’illusionniste écrit :

    […] Comme l’a théorisé mon ami Olivier B., ces films sont malhonnêtes (il prenait 9 reines en exemple, qui est pourtant d’un tout autre niveau) ; car il est facile d’embrouiller le spectateur. Le réalisateur a toutes les billes en mains, il peut faire ce qu’il veut ; il est le dieu omniscient de son univers. Le génie, c’est justement de laisser des indices et d’associer le spectateur à un personnage, pour lequel on se préoccupe, quelqu’un pour qui l’on vibre. Pour cela, il faut l’imminence d’un danger, la concrétisation d’un péril. Le principe de l’enquête ne marche pas au cinéma. Il est 100 fois plus payant de craindre Dark Vador que de chercher qui est Dark Vador. Un excellent exemple de cette contradiction est fourni par la géniale de BD d’Alan Moore, From Hell : on sait qui est Jack L’Eventreur, et on tremble à chacun de ses actes, des mots qu’il prononce. Dans le film, on doit chercher qui il est (si on a lu la BD, c’est doublement raté). Le twist peut fonctionner comme accessoire, comme dans Usual Suspects, qui est un twist ironique : on cherche qui est Keyser Sosé, alors qu’il est là, devant nous. Mais ça ne peut être le ressort de la relation si particulière qui unit le spectateur, son cul posé dans le noir si douillet de l’UGC Bercy, venu, selon la belle définition de David Lynch « mourir, passer un bout de temps à rêver, et revenir »… […]

  6. CineFast » Watchmen écrit :

    […] même dire que c’est la première œuvre de Moore, après les adaptations calamiteuses de From Hell ,V for Vendetta, et La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, qui soit […]

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