dimanche 21 juin 2015


Game of Thrones : où est passé le magicien ?
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Quand on commence à remarquer la technique de l’œuvre art, c’est mauvais signe. Si l’on voit le coup de pinceau derrière un Poussin, si l’on repère que chez Michel Houellebecq, il y a une scène de cul toutes les dix pages, si l’on commence à trouver répétitive le boogie-woogie éternel des Rolling Stones, c’est que l’artiste a déjà perdu la partie.

L’artiste, ou plutôt, dans le cas du cinéma, le magicien. Immuable Odéon de Nickel, attraction de fête foraines depuis l’aube du vingtième siècle, le cinéma est avant tout un tour de passe-passe. Ce n’est pas les Rocheuses qu’on voit au fond de la Mort aux Trousses, c’est un matte painting. Bruce Willis ne se jette pas dans le vide, c’est un cascadeur attaché un fil. Ce ne sont pas les seins de Lena Headey qu’on voit dans le final du Trône de Fer, mais ceux d’une doublure. Et ces deux acteurs ne sont pas amoureux, ils font seulement semblant de s’embrasser sur la bouche. On s’y croirait, pourtant.

Comme dans un tour de magie, le prestidigitateur nous oblige à regarder sa main droite pendant que tour est fabriqué de la main gauche. Si jamais on voit cette main gauche, la magie disparait. C’est ce qui se passe – espérons provisoirement – sur cette cinquième saison de la plus grande série du monde, Game of Thrones. Ce qui a si bien marché pendant quatre saisons ne marche soudain plus. Où est passé le magicien ? Soudain, la main gauche de David Benioff et de D. B. Weiss nous est apparue dans la lumière.

Pour une raison très commerciale, en fait : George Martin n’a pas fini sa saga, mais pourtant, HBO doit la finir. Car si l’on peut étendre des romans sur trente ou quarante ans, écrire quand cela nous chante ou quand l’inspiration vient, c’est impossible dans l’univers très cadré de la télévision. Une saison chaque année, un créneau spécifique chaque semaine, et surtout, battre le (trône de) fer quand il est chaud. Le public veut son frisson hebdomadaire, il l’aura. Dans deux ans, ce sera trop tard.

Ce sera trop tard aussi, techniquement. Les acteurs jeunes grandissent trop vite, plus vite que dans le livre, comme le montre cette incroyable photo, deux ans avant les premiers épisodes. Dans le livre, quelques mois seulement ont passé. Mais nous en sommes déjà à la cinquième année de tournage. Arya n’aura bientôt plus rien d’une adolescente.

HBO sait ça, comme il sait qu’il ne peut guère espérer plus de deux ou trois saisons supplémentaires, quel que soit les volontés scénaristiques de George Martin.

Le cahier des charges de Benioff/Weiss est donc très clair : finir en deux ou trois saisons ; pour cela il faut inventer une fin et donc réorienter les arcs narratifs existants vers cette direction. Et c’est là, on le voit bien, que nos scénaristes sont à la peine. Les intrigues créées sont peu probables (Jaime qui va chercher seul sa fille) ; les raccourcis se voient (les changements en un tournemain des pouvoirs religieux à Port Réal) ; les personnages sont caricaturées (La relation entre la Khaleesi et ses dragons ne déparerait pas chez Disney) ; et même s’ils sont effectivement tués dans le livre, les personnages meurent trop rapidement dans cette saison.

Si les scénaristes n’y croient pas, comment un comédien pourrait le faire ? Les dialogues sont creux, et les plus grands personnages en deviennent faibles (Jaime, Tyrion). Pire, voilà soudain une pléthore des dialogues explicatifs censés faire progresser l’intrigue rapidement : péché mortel au cinéma, et habituellement apanage des NCIS et autre RIS : Police Scientifique : les personnages expliquant ce qu’ils vont faire et pourquoi. Cette incapacité d’expliquer les choses autrement que par le dialogue, c’est la défaite du cinéma, et c’est bien la défaite du Trône de Fer saison cinq, la série ayant su brillamment échapper à ces facilités jusque-là ! De sorte que l’on est bien en peine*, de citer une ou deux grands dialogues de cette saison. Pas de « Knowledge is not power ; power si power ! » ou autre « You know nothing, Jon Snow ! ».

Autre défaillance : la construction ratée des arcs narratifs de cette saison. Tout semble s’être concentré sur les derniers épisodes, laissant en jachère la majeure partie de la saison, bien ennuyeuse par moments. Le syndrome episode nine a-t-il frappé ? HBO est-il phagocytée par le marketing de sa série phare ? On se sait.
Il est compréhensible – voire souhaitable – que les auteurs de raccorder plusieurs histoires et trouver enfin cette voie divergente aux romans. Mais encore faut-il que ce soit bien fait. Il reste donc deux saisons pour finir en beauté ; être Six Feet Under plutôt que Lost, c’est ce qui reste comme espoir à l’aficionado.

* à part une exception ici.


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