mardi 3 avril 2018


Ready Player One
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Steven Spielberg déclarait autrefois que pour juger de la qualité d’un film, il fallait pouvoir le regarder en entier sans le son. C’est à dire sans dialogue pour en dévoiler l’intrigue, et sans musique pour y indiquer les émotions à ressentir. Il serait intéressant de passer Ready Player One à l’aune de ce filtre-là : il est clair que le dernier opus Spielbergien retournerait à la table de montage, voire au stade précoce du développement.

Car Ready Player One est totalement incompréhensible. Cette avalanche de poursuites, bagarres, et fusillades virtuelles sur fond d’épopée technico-fantastique (« Retrouvez les 3 clefs, LA SURVIE DE L’OASIS EN DEPEND !!! ») n’est que le clone 2010 (boostée aux amphétamines CGI-3D) de Tron, premier du nom : des gamers s’introduisent dans la matrice pour affronter un grand méchant capitaliste dirigeant la grande méchante Corporation. Mais le film maudit de Disney avait l’avantage de la nouveauté, et celui d’engendrer un immense sentiment poétique*. Poésie dont est totalement dépourvu le Spielberg, entièrement perdu à son rythme frénétique insoutenable.

Car même si le talent du « Spielberg de l’enfance » (E.T., I.A., Hook) transparait parfois (dans le regard des personnages 3D plus que dans les acteurs, d’ailleurs) il n’est pas suffisant pour insuffler des émotions à ses personnages, leurs enjeux étant inexistants. Pourquoi ces enfants se battent-ils dans une lutte à la vie, à la mort ? Pour gagner une partie d’un immense jeu vidéo qui leur permettra d’hériter d’une entreprise qui vaut des milliards de dollars… Quel sorte d’enjeux spielbergien est-ce là ? Quelle sorte de morale ? Le film hésite en permanence entre un futur dystopique à la Minority report où le jeu vidéo est devenu le nouvel opium du peuple, et une éloge-hommage du gaming, sa culture, et ses geeks. A la fin, on conclut mi-chèvre mi-chou que le jeu vidéo c’est vraiment bien, mais pas le mardi et le jeudi, où l’on devra se déconnecter, car « la réalité, c’est le seul endroit où les choses sont (SIC)… réelles**… »

Ready Player One est donc triplement incompréhensible. On ne comprend pas l’intrigue, on ne comprend pas la morale de cette histoire, mais surtout, on ne comprend pas le projet : à qui s’adresse ce film ? Soit c’est l’adaptation d’une œuvre de littérature adolescente et dans ce cas, à quoi servent les références, pour la plupart inaudibles, aux années 80*** ? Soit c’est l’hommage à cette culture pop des quadras/quinquas, à laquelle Spielberg a tant participé et tant bénéficié, et dans ce cas, pourquoi autant de simplicité, pour ne pas dire de bêtise ?

* Notamment grâce à une fabuleuse direction artistique, qui manque totalement ici, vu que ce n’est que l’empilement des tous les jeux vidéos (et de leur direction artistique afférente) depuis trente ans
** « Because reality is real »
** On voit ce que peuvent en faire les frères Duffer, les nouveaux Spielberg de Stranger Things